Premières fondations

En gagnant contre Eupen, le Sporting peut-il déjà travailler dans la sérénité et respecter ses prévisions ?

Scepticisme. Tel était le sentiment général après les quatre premières rencontres de Charleroi. Difficile d’y voir clair. Un projet de jeu mais des lacunes. Un calendrier extrêmement compliqué (déplacement au Cercle et à Genk, réception d’Anderlecht et de Gand). Et une campagne de transferts bizarre, en plusieurs temps (écrémage du noyau, arrivée d’inconnus, deux transferts ronflants avec Hernan Losada et Adekanmi Olufade rendant le sourire et l’espoir puis… le départ de Cyril Théréau pour plomber l’ambiance). Bref, pas grand-chose qui prêtait à l’optimisme.

Dans ce contexte particulier, un seul homme surnageait : Jacky Mathijssen. Après deux échecs consécutifs (un relatif et un complet) à Bruges et à Lokeren, le coach revenait au pays de ses plus beaux succès. Dès le début, Mathijssen a imprimé sa griffe. Il a réorganisé l’équipe à tous les étages, a largement étudié le noyau pendant la préparation, a établi les forces et les faiblesses de son groupe, a dressé une liste des profils à transférer. Facilité par le départ d’éléments qui n’avaient plus envie de rester à Charleroi, il a inculqué la valeur du travail à un groupe qui avait pris l’habitude de faire la loi.

Il a fait face. Il a grincé des dents à certaines occasions. Notamment après la gifle 7-1 contre Beauvais. Il a vu les lacunes mentales de son groupe, capable de montrer une belle solidarité durant deux rencontres (Cercle et Anderlecht) et de s’écrouler d’une pièce (Genk), voire de ne pas savoir rebondir après le premier but de Gand. Comme à son habitude, il a protégé son noyau, sauvant l’un ou l’autre joueur d’un mauvais pas en conférence de presse.

Il a également séduit. Par sa communication. En organisant deux conférences de presse par semaine, où il se montre affable et explicatif. Dans son discours, il a également évité que le club ne subisse trop de pression. Une fois le calendrier connu et voyant que son groupe n’évoluait pas assez vite à son goût lors de la préparation, il a annoncé la couleur en disant qu’il ne fallait pas tirer de bilan trop vite en cas de mauvais départ des Zèbres. Après les quatre premières rencontres, il a encore souligné l’énorme difficulté – le calendrier – que son équipe venait de surmonter :  » Contre Eupen, je tiens à rappeler que l’on disputait notre premier match contre une formation qui n’est pas européenne.  » Une façon de relativiser le 2 sur 12.

En se cachant derrière un calendrier difficile, il ménageait également ses dirigeants, connaissant très bien la politique carolo et sachant très bien que son groupe allait encore évoluer (avec départs et arrivées) lors du mois d’août.

Discours également prudent après la défaite de Genk. Face à des journalistes venant s’enquérir, après une telle déroute, de l’état mental d’un groupe jeune qui manque d’éléments d’expérience, il a lancé:  » Un 5-0 reste toujours dans la tête. Pour l’évacuer, j’ai revu le match et j’ai écouté également certaines paroles de l’adversaire qui avait dit qu’on lui avait compliqué la tâche lors des dix premières minutes. Prendre 5-0 et avoir plus de possession de balles et six fois plus de corners que l’adversaire, c’est rare. Cela m’a permis de remettre le match dans un contexte plus favorable.  » Ou comment retirer du positif d’une situation bien négative…

Il a également fait preuve d’indépendance. Tout en faisant confiance les yeux fermés à Mogi Bayat, Mathijssen a montré sa désapprobation lors du transfert de Théréau en signifiant clairement que le club était freiné dans son évolution suite à ce départ.

Un bilan encourageant

Sur le terrain également, la griffe Mathijssen se perçoit. A part le match à Genk, l’organisation montrait moins de laxisme et le groupe plus de volonté que la saison dernière. A chaque rencontre, les joueurs connaissaient leur rôle et s’y pliaient. Ce qu’on n’avait plus vu au stade du Pays de Charleroi depuis belle lurette.

Sur le plan offensif également, Charleroi a montré de belles dispositions. En déclarant vouloir remporter chaque rencontre, Mathijssen n’a pas bluffé. Il a véritablement mis ses hommes dans de telles dispositions, que ce soit au Cercle ou face à des formations plus dangereuses comme Anderlecht, Genk ou Gand.  » Sur le terrain, je veux une volonté de domination. Cela n’a pas trop réussi au Cercle, on l’a vu un peu contre Anderlecht et Genk, et encore un peu plus contre Gand et Eupen. « 

Le bilan comptable est également conforme aux prévisions : sauver la face et grappiller l’un ou l’autre point lors du premier mois démentiel, et conclure lorsque le calendrier se montrerait plus clément. Dont acte avec 2 points pris en un mois et une victoire acquise face à Eupen.

Cette équipe en construction a évité le pire : la crise. En effet, en gagnant contre Eupen, Charleroi peut continuer à travailler dans la sérénité car tout le monde est conscient qu’il y a encore du travail.  » Charleroi a montré deux visages « , explique Mathijssen.  » Nous avons effectué beaucoup de progrès au niveau football. Je suis satisfait du professionnalisme et de la mentalité du groupe. Par contre, le rendement n’est pas toujours présent. L’efficacité fait parfois défaut et on commet trop de fautes qui ont de graves conséquences. Le foot est un sport dans lequel on voit beaucoup d’erreurs. Il faut l’accepter mais il faut faire le nécessaire pour que ces fautes et ces erreurs ne se transforment pas en but. « 

Contre Eupen, on a encore vu des approximations mais le gardien, Cyprien Baguette, a sauvé les meubles quand il a fallu.

Un mercato mystérieux

Reste que tout n’est pas rose. Mathijssen s’est donné un peu de répit en gagnant contre Eupen mais est le premier à connaître les limites de son noyau et sait que cela prendra du temps avant d’avoir une équipe capable de ne pas lutter pour son maintien.  » Je suis conscient que tout ne va pas parfaitement mais il faut voir d’où on vient et quel est le projet. Des entraîneurs qui me disent qu’un travail d’équipe se fait en six semaines, je ne les crois pas. Au contraire, moi, je connais davantage de clubs qui ont construit quelque chose en deux ans. « 

Les dirigeants ne lui ont pas facilité la tâche en menant un mercato un peu bancal. En finissant la dernière saison, le club avait basé sa politique de renouveau sur trois axes : la mentalité, construire sur les jeunes auxquels on avait donné une chance en playoffs 2 et les entourer de joueurs expérimentés.

Le premier point a été scrupuleusement suivi.  » Tous les joueurs attirés respectent ce profil « , avait déclaré Mogi Bayat à la présentation d’Olufade. L’ambiance s’en est ressentie : travail et bonne humeur.  » Dans le vestiaire, on sent vraiment que c’est plus serein « , explique le capitaine Maxime Brillault.  » Il y a une meilleure ambiance. On peut se dire les choses sans que cela ne parte en conflit interne ou ne dégénère. Et sur le terrain, chacun a revêtu le bleu de chauffe.  »

Par contre, aucun des jeunes des PO2 n’est titulaire et seule la montée au jeu de Jeremy Serwy contre Eupen a marqué les esprits. Les Gregory Lazitch, Pietro Perdichizzi et Samuel Fabris doivent patienter alors que les Jan Lella, Cédric Ciza et Grégory Grisez ont été prêtés.

Enfin, au chapitre de l’expérience, il semble que cela restera un v£u pieux. En perdant les Badou Kere, Majid Oulmers et dernièrement Théréau, le Sporting a perdu des piliers. Et avec, au rayon des arrivées, Losada et Olufade comme seuls éléments ayant une connaissance approfondie de la D1 belge, la balance penche davantage du côté d’une perte que de celui d’un gain d’expérience. Voilà donc une des leçons que le club n’a pas su tirer de ces deux dernières saisons difficiles.

Au vu des premières rencontres de championnat et du noyau à sa disposition, Mathijssen sait qu’il ne manque pas de talent mais que la clé de la réussite se jouera au niveau du mental. Ce groupe jeune n’est pas armé pour faire face à une série de mauvais résultats. Trop de joueurs risquent de couler avec le bateau. Et c’est dans ce contexte, lors d’une passe plus difficile, que la présence d’anciens, de joueurs expérimentés ayant déjà connu de tels passages à vide et sachant comment les appréhender, devient nécessaire et salutaire. En raison de l’absence de tels joueurs, le noyau 2009-2010, qui ne manquait pourtant pas d’arguments, n’a rien prouvé.

Le cas Théréau

On peut également se poser des questions sur l’affaire Théréau. Alors que Mathijssen se débat depuis l’entame du championnat pour donner de la consistance à son attaque, on lui a retiré le seul joueur incontournable, sur lequel il avait basé toute sa politique offensive.  » Il avait l’état d’esprit Charleroi et un profil intéressant « , résumait Brillault.  » Je n’ai pas l’habitude de cacher mes émotions et j’ai été touché par son départ mais mon rôle est de rebondir et d’être là « , reconnaissait l’entraîneur carolo.  » Cela nous a aidé à regarder la réalité en face et à continuer à travailler. « 

Pour leur défense, les dirigeants clament que l’attaquant français voulait absolument partir. Mais si c’est le cas, cela ne date pas de la deuxième quinzaine du mois d’août. N’aurait-il pas fallu sonder Théréau dès le mois de juin et déjà plancher sur son successeur ?  » Le club y était préparé « , répond le secrétaire du club Pierre-Yves Hendrickx,  » mais il n’y avait pas d’offres. Mogi et Raymond Mommens travaillent toute l’année pour trouver des successeurs potentiels mais la liste du mois de juin ne répond plus nécessairement aux réalités du mois d’août. Or, ce n’est pas tous les jours qu’un club belge reçoit une offre d’une formation italienne.  »

En attendant, des voix s’élèvent déjà pour dénoncer ce qui ressemble davantage à du mercantilisme nauséabond qu’à une reconstruction réfléchie et en bonne et due forme d’un noyau qui reste sur deux saisons délicates.  » J’essaie de refaire ce que j’avais fait lors de mon premier passage à Charleroi : aller chercher nous-mêmes les renforts en établissant un profil et ne pas faire l’inverse, à savoir prendre quelqu’un qui viendrait à se présenter « , prévient Mathijssen. Quand le Sporting fonctionnera de la sorte, alors, seulement, on pourra parler de renouveau ou de nouvelle ère…

par stéphane vande velde – photos: belga

On peut se dire les choses sans que cela ne parte en conflit. (Maxime Brillault)

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