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Premières dames

Les audiences de la Coupe du monde ont fait entrer le football féminin dans une nouvelle ère. Et pose désormais la question de la cohabitation à moyen terme d’un football durablement dégenré.

Si toutes les révolutions sont destinées à renverser l’ordre établi, alors peut-être pourra-t-on dire un jour que le football féminin a vécu en ces mois de juin et juillet 2019 un soulèvement probablement historique.

Plus regardée chez nous que la Coupe d’Afrique des Nations et la Copa América réunies, le Coupe du monde féminine s’est installée pendant plus d’un mois tout en haut des événements qui comptent.

De ceux qu’on commente à l’envi et qu’on hystérise dès que possible. Une dérive souvent synonyme de bonne santé. Et, de fait, pendant un mois, la France du foot a vibré en même temps qu’elle découvrait ses Bleues.

Une équipe en forme de catalyseur de l’extrême qui aura permis aux 23 autres sélections engagées de bénéficier d’une formidable fenêtre d’exposition médiatique et de stades biens garnis.

Du Havre à Reims en passant par Nice, Rennes, Grenoble, Montpellier, Valenciennes, le Parc des Princes parisien et Lyon, théâtre de l’apothéose de dimanche dernier, jamais, auparavant un Mondial féminin n’avait autant suscité d’engouement dans un pays organisateur.

Mais surtout jamais, auparavant, cette épreuve n’avait autant ressemblé à un Mondial masculin. Récupération politique comprise, polémiques misogynes en bonus. À bien y regarder, la France n’a pas seulement joué au foot pendant un mois, elle nous a vendu un nouveau produit d’appel grand public.

Caricaturée en Une de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo le 12 juin dernier – sous le crayon du dessinateur Biche, un ballon rond sort d’un vagin avec ce titre équivoque :  » On va en bouffer pendant un mois !  » – l’entrée du football féminin dans le salon des footeux ne devait initialement pas faire que des heureux.

C’était écrit, on allait s’en moquer. De ce football trop lent pour être beau, de ces gardiennes trop peu agiles pour être efficaces. Faux, archi-faux. Un mois plus tard, le football féminin s’est acheté une crédibilité en mondiovision. Une plaie ouverte en plus pour ces anti foot qui profitait jusqu’ici des années impaires pour passer un été plus tranquille.

Les Bleues plus regardées que les Bleus

Une aubaine pour tous les autres. Diffuseurs compris. On retiendra donc qu’en juin 2019, les Bleues ont parfois fait mieux que leurs homologues masculins en dribblant certains scores d’audience de leur campagne victorieuse de Russie en 2018.

Le dimanche 23 juin, avec 11,9 millions de téléspectateurs en moyenne devant le huitième de finale France-Brésil (2-1 a.p., sur TF1 et Canal +) et le vendredi 28 juin avec 11,8 millions de téléspectateurs branchés sur le quart de finale éliminatoire contre les États-Unis (1-2, sur TF1 et Canal +), elles ont ainsi attiré plus de monde que les hommes de Didier Deschamps pendant certains matchs du Mondial il y a un an*. En allant plus loin, on se rend compte que sur TF1, le match d’ouverture entre la France et la Corée du Sud (4-0, le 7 juin) a attiré plus de téléspectateurs que celui pourtant qualificatif pour le Championnat d’Europe 2020 des Champions du monde masculin en Turquie 24 heures plus tard.

Le Mondial féminin 2019 aura servi de révélateur. Celui qui veut que quand on aime le foot, on l’aime sous toutes ses formes. Et à tous les prix aussi.

Plus surprenant encore, en Italie, la Rai Uno a pu capitaliser sur deux millions de fidèles supplémentaires lors de la diffusion de la rencontre perdue par la Squadra féminine contre le Brésil (0-1, le 18 juin) comparativement à son pendant masculin qui avait été gagner en Grèce (0-3, le 8 juin) quelques jours plus tôt.

Et en Belgique, le France-Brésil féminin des huitièmes a attiré plus de monde devant le poste que le match des Espoirs belges contre les Italiens lors de l’EURO Espoirs. Un succès d’audience en forme d’adoubement qui aurait évidemment encore pris d’autres proportions si les Red Flames d’ Ives Serneels avaient validé à l’automne dernier leur ticket pour la France en barrage contre la Suisse.

La Belgique sous le charme aussi

Une absence toutefois moins préjudiciable qu’attendue pour Michel Lecomte.  » Malgré une certaine expérience des courbes d’audiences, j’avais été vraiment surpris du succès de masse lors de l’EURO 2017 « , se souvient le patron des sports à la RTBF.

 » Ici, les bons résultats étaient donc plus facilement anticipables, malgré l’absence d’une équipe belge. On avait d’ailleurs prévu de sortir des obligations de diffusion imposées en télé ( match d’ouverture + les deux demis-finales + la finale, ndlr) pour y ajouter 4 rencontres supplémentaires histoire de faire mieux vivre l’événement.

Déjà parce que nous avions le point de repère de l’EURO, mais aussi parce qu’il était prévisible que nous profitions de la promotion de l’événement faite en France pour ramener de l’audimat chez nous. »

Résultat des courses, une pointe à 270.000 téléspectateurs belges (139.000 sur TF1, 131.000 sur la RTBF) pour le France-États-Unis du 28 juin et une part de marché globale de 27% ce soir-là.

 » C’est mieux que lors du formidable GP d’Autriche deux jours plus tard par exemple. C’est bien mieux aussi qu’un GP Moto « , continue Michel Lecomte.  » C’est bluffant et évidemment de bon augure pour la suite parce que le football féminin régit maintenant aux mêmes lois que le football masculin en terme de succès d’audience.

Autrement dit, c’est un sport roi qui jouit de moyens de captations exceptionnels et qui, en cas de présence d’une équipe belge, peut amener à de nouveaux records d’audience très vite. »

Des tarifs publicitaires revus à la hausse

Des parts de marché qui flirtent avec les 50%, comme en France, en télévision, cela s’appelle faire un carton. Mais jusqu’ici, cela restait bien souvent l’apanage du seul sport masculin. À titre de comparaison, la palme revient évidemment à la finale France-Croatie de 2018 qui avait été suivie par 19,4 millions de personnes – soit 81,9% de parts de marché – ce qui correspond à la septième meilleure audience historique de la télévision française.

Des succès qui s’anticipent généralement des mois à l’avance. Le problème, outre-Quiévrain, c’est que le groupe TF1 n’avait cette fois-ci pas vu venir l’engouement soudain pour le foot féminin. Faute de précédent – lors du Mondial de 2015, les matchs de l’équipe de France avaient vivoté avec une audience moyenne plus confidentielle autour des 4 millions de téléspectateurs sur W9 – il y avait visiblement comme un parfum d’improvisation en début de compétition.

Une chance pour les annonceurs qui avaient misé sur le match d’ouverture pour assurer leur promo et qui auront ainsi pu bénéficier de prix anormalement bas pour une diffusion en prime time d’un événement majeur. Surpris par les près de 10 millions de téléspectateurs rassemblés devant leur écran contre la Corée du Sud (4-0, sur TF1 et Canal +), TF1 n’allait évidemment pas manquer de rectifier le tir.

Dès le deuxième match contre la Norvège, les tarifs publicitaires avaient déjà augmenté de près de 60%. Plus en adéquation avec la politique globale d’une chaîne dont Patrick Le Lay, un des ancien PDG du groupe, rappelait en 2004 que ce qu’il vendait à ses annonceurs n’était autre que  » du temps de cerveau humain disponible « .

Ainsi, si 30 secondes de publicité se vendaient 63.000 euros lors du match d’ouverture, ils allaient par la suite se négocier autour des 95.000 euros, contre 116.000 euros brut pour un spot diffusé à la mi-temps. 30.000 euros de moins seulement que pour un spot équivalent pendant un match des Bleus de Deschamps en Russie.

Une vague de fraîcheur

Une manne céleste et une prise de conscience. Avant même l’élimination des Françaises en quart de finale, le Groupe TF1 avait pris soins d’officialiser le basculement de TMC (la deuxième chaîne du groupe) à TF1 des deux demi-finales et du quart de finale entre la Norvège et l’Angleterre. Preuve qu’avec ou sans ses Bleues l’événement aura su trouver son public. Et TF1 remplir ses caisses.

Et pour cause, puisque l’institut de sondage Odoxa, qui a réalisé plusieurs enquêtes d’opinion pendant le Coupe du monde en France, n’avait pas attendu la fin du Mondial pour démontrer que le public du foot féminin était finalement assez semblable à celui du foot masculin. Selon leur dernière étude, six hommes sur dix ont vu au moins un match de la Coupe du monde, contre quatre femmes sur dix. Soit une légère féminisation du foot quand on sait qu’elles ne sont en France que 31% à déclarer s’intéresser au football.

Pari en partie gagné donc. Le Mondial 2019, le troisième seulement organisé sur le sol européen, aura servi de révélateur. Celui qui veut que quand on aime le foot, on l’aime sous toutes ses formes. À tous les prix aussi. Toujours pour le France-États-Unis des quarts de finales, le site américain spécialisé dans la revente de billets Stuhhub annonçait que le tarif des places à la revente oscillait entre 449 et 10.000 euros. Bien plus que les prix parfois en vigueur en Russie il y a un an pour les plus belles affiches de la compétition masculine.

Comparaison n’est pas toujours raison, mais le dynamisme d’un marché parallèle dit souvent beaucoup d’un succès de masse. Et celui qui a parcouru l’Hexagone au cours du mois écoulé est réel. Une vague de fraîcheur autour du sport roi comparable dans sa spontanéité à celle qui avait envahi la France en 1998. Les premières ont cela de particuliers qu’elles laissent des traces. Cela tombe bien, le football féminin avait justement besoin de repères.

* En Russie, le deuxième match de poule des Bleus contre le Pérou (1-0) un jeudi à 17 h n’avait accueilli  » que  » 10,7 millions de téléspectateurs sur TF1. Tandis que la rencontre contre le Danemark (0-0) en clôture de groupe un mardi à 16 h avait seulement rassemblé 8,67 millions de personnes devant leur petit écran.

Premières dames
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Les Néerlandaises plus fortes que l’Ajax

La question sous-jacente à ce qui peut-être unanimement considéré comme un succès de foule résultera maintenant de la gestion de l’après-Mondial. En France, certains rêvent maintenant de voir les Bleues de Corinne Diacre, confirmée à son poste malgré l’élimination en quart, plus souvent en prime time à la télévision.

Et pourquoi pas suivre leurs matchs de qualifications pour l’EURO 2021, qui se déroulera en Angleterre ? Et cette question en filigrane, le football féminin peut-il, à moyen ou long terme, venir sérieusement concurrencer le monopole télévisuel du football masculin ?

Depuis 2017, un premier élément de réponse est à trouver de l’autre côté de la frontière néerlandaise. C’est que, depuis deux ans, la passion n’est pas retombée dans un pays soudainement devenu foot féminin addict après un EURO 2017 remporté à la maison dans une ambiance similaire à celle qui aura traversé l’Hexagone en ce début d’été.

Un premier titre international pour une sélection néerlandaise jusque là anonyme chez elle qui fera entrer les filles au panthéon du sport local. Deux ans plus tard, chaque rencontre de la bande à Lieke Martens et Vivianne Miedema aura suscité une impressionnante marée orange dans les différentes villes hôtes.

À Valenciennes, les 15 et 29 juin derniers, pour les matches contre le Cameroun et l’Italie, ils étaient à chaque fois quelque 16.000 Néerlandais à avoir fait le court déplacement jusqu’au Stade du Hainaut.

Un parfum de douce folie populaire qui résonnait encore bien plus fort au pays. Aux Pays-Bas, le dernier match de poule des Néerlandaises, contre le Canada, a ainsi été regardé par 2,755 millions de téléspectateurs, soit 65% de parts d’audience. C’est un record pour un match de Coupe du monde féminine, et un peu plus que le chiffre enregistré pour les huitièmes de finale de la Ligue des champions entre l’Ajax Amsterdam et le Real Madrid plus tôt cette année (2,6 millions).

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