» Pourquoi un footballeur doit-il être un modèle ? « 

Scifo, équipe de France, footballeurs privilégiés, système en carton, Standard : le capitaine des Dragons balaye tous les sujets avec le même ton grinçant.

Le Grand Large à Mons. Un point d’eau, du soleil et de nombreux bateaux. On est évidemment loin des ports de plaisance de la méditerranée. Ici, ça brille moins. On préfère miser sur la convivialité pour attirer le chaland. Un peu à l’image d’un club montois parfaitement bien dans ses baskets depuis son retour en D1. Benjamin Nicaise a, lui, choisi de la jouer moins  » sportif  » : chemise noire, pantalon classique. Sobre et efficace. Même le sac Vuitton du footballeur n’apparaît pas sur la photo.

Nicaise a toujours voulu s’extirper des clichés qui accompagnent le footeux. Même chose pour la traditionnelle langue de bois qu’il s’interdit. Avec les risques que cela comporte question image, carrière. Mais à bientôt 32 ans, l’homme semble très peu s’en soucier. Et on est les derniers à s’en plaindre.

Ton retour en forme est lié à l’arrivée de Scifo à Mons qui t’a directement re-titularisé et même nommé capitaine. Comment expliques-tu ce revirement total de situation ?

Benjamin Nicaise : Pendant l’ère Van Wijk, j’étais déjà le  » capitaine  » de l’équipe, ou plutôt j’étais le porte-parole du groupe vis-à-vis de la direction ou du coach. Je n’ai jamais attendu d’avoir un morceau de tissu autour du bras pour dire ce que je pense et pour tenter de faire avancer les choses.

Ca a toujours été le cas ?

Oui, dans tous les clubs où je suis passé. C’était déjà le cas à Nancy alors que j’ai intégré le groupe pro à 20 ans. Et quand l’équipe ne tournait pas, j’étais convié à la table avec le président. Les trois quatre anciens m’avaient désigné comme représentant des jeunes.

Tu l’ouvrais également au Standard, malgré ton statut de réserviste ?

Bien sûr. Et on m’écoutait. J’étais là pour dire parfois les choses que certains n’avaient pas envie d’entendre. Je suis quelqu’un qui ne se cache pas, qui ne va pas faire des coups en douce. Et quand j’ai quelque chose à dire, je le dis. Je commence à avoir de l’expérience et je vois certaines choses qui se passent.

Comme ?

La saison dernière, en début de saison, tout se passait bien. J’avais débuté les cinq premiers matches, Mons marchait bien. Mais on prenait trop de buts. Après en avoir discuté avec les joueurs, j’ai levé le bras dans les vestiaires et demandé si on ne pouvait pas à un moment donné travailler la défense et gommer nos points faibles. Après coup, j’ai été écarté de l’équipe par Van Wijk. C’est donc ça être une grande gueule ! ? Vouloir progresser et trouver une solution aux problèmes ?

As-tu encore des regrets de ne pas être resté plus longuement au Standard ?

Si j’avais pu, j’y serais resté le plus longtemps possible. C’est un club du top, avec un public incroyable et des conditions de travail splendides. Il y a tout dans ce club pour que le joueur fasse au mieux son métier.

A moindre échelle, Mons n’est pas mal non plus…

Le club fait des efforts chaque année. Ça peut paraître banal pour un grand club mais cette année, on a de nouveaux vestiaires, un jacuzzi, un sauna, une nouvelle salle de kiné, un ostéopathe. A part les grands, il n’y a aucun club belge qui possède des installations comme les nôtres. Je suis passé au Lierse et les installations étaient vétustes et de ce que j’entends c’est aussi le cas à Charleroi.

 » Scifo est d’une incroyable humilité « 

Qu’est-ce que Scifo a apporté depuis son arrivée en février ?

C’est le jour et la nuit avec l’entraîneur précédent. Malgré un palmarès formidable, lui ne nous parle jamais de sa carrière de joueur. Il ne met jamais ses performances de joueur en avant. Il est bien plus ouvert au dialogue.

Être trop proche de ses joueurs, ce n’est pas dangereux ?

Dialoguer ne veut pas dire qu’il accepte toutes les demandes des joueurs. Son but c’est d’emmagasiner un maximum d’infos et ensuite, c’est lui qui décide !

En quoi peut-il être critique ?

Ce qui est pas évident pour lui, après avoir été tellement fort comme joueur, c’est de concevoir qu’un footballeur ne sache pas faire tel ou tel exercice. Malheureusement pour lui, il ne coache pas des joueurs de son niveau.

Depuis ton arrivée en Belgique en 2007, as-tu le sentiment que le niveau régresse ?

Oui. Le niveau individuel baisse. Ce système des play-offs n’a pas permis une progression du football belge. Le championnat reprend le dernier week-end de Juillet pour se finir en Mars. Après on demande aux joueurs de repartir quasiment à zéro dans un mini-championnat. Et tout ça sans trêve hivernale. Faudra toujours qu’on m’explique pourquoi en août, tu joues quatre matches et en décembre six. L’hiver c’est mieux, il y a plus de monde, c’est bien connu. Et est-ce que financièrement, ces play-offs apportent tant que ça ? Quand on voit qu’un Standard-Anderlecht n’était même pas plein… Il n’y a pas un joueur qui m’a dit que les play-offs, c’est super !

Mais les play-offs 2, il faut reconnaître leur originalité dans la médiocrité…

Les play-offs 2, c’est bien, tu peux gagner les rencontres plus facilement. C’est simple : c’est celui qui a un tout petit peu plus d’envie que l’autre qui va gagner…

 » Le footballeur est un privilégié « 

C’est pas contradictoire de taper sur le milieu du foot et de vouloir en être partie prenante après ta carrière notamment grâce à ton diplôme en gestion des organisations sportives ?

Non. Je crois qu’il est possible de faire bouger les choses et je ne pense pas être utopiste. L’intitulé de mon mémoire était  » la gestion des clubs est-elle choisie ou subie ? « . Et j’ai tendance à croire qu’elle est majoritairement subie. Ce n’est pas non plus utopiste de croire qu’on peut rentrer dans le milieu du foot tout en gardant ses idées. Je ne prétends pas vouloir changer le monde du football, je n’ai pas cette prétention, mais il doit y avoir une alternative à ce qui se pratique actuellement.

Le milieu du foot est souvent en décalage avec son public qui est majoritairement issu des classes populaires. Est-ce que le joueur est conscient, par exemple, que le public se saigne pour encourager ses favoris à domicile comme en déplacement ?

Non, il ne s’en rend pas compte. Entre le Sart-Tilman et le stade de Sclessin, je passais devant les haut-fourneaux liégeois. Je me faisais toujours la réflexion qu’on devrait peut-être faire une visite, aller rencontrer les travailleurs, notre public. Mais bon, ce type d’initiatives doit venir des clubs et apparemment, ce n’est pas le cas.

Tu dis que les joueurs ne se rendent pas compte du rapport au public et pourtant une grande majorité d’entre eux est, elle aussi, issue de milieux populaires…

Oui mais à partir du moment où ils réussissent ils se disent : – Je suis doué, je mérite ce que je gagne, et ils ne le volent pas… Le footballeur est par définition un privilégié. Il l’est dès ses débuts pros jusqu’à ce que ça s’arrête et que les portes se referment derrière lui. Partout où il va, il est privilégié. Dans un resto, on lui offre un verre, dans un magasin, on lui offre des fringues. Mais ce n’est pas propre au footballeur. C’est valable pour tout personnage public (politique, artistique). C’est tout simplement lié à son statut.

 » Ce que réalise Ronaldo sur le terrain est énorme mais le personnage est arrogant « 

Quel regard portes-tu sur  » ton  » équipe de France et l’image que plusieurs de ses joueurs en ont donnée ?

Ça m’horripile. Que Nasri se prenne la tête avec la presse, ça peut arriver. Si en tribune, le supporter peut avoir des émotions, le joueur aussi. Quand tu es au milieu du terrain, au milieu de l’arène, que c’est chaud, qu’avec l’arbitre ce n’est pas facile, il peut arriver que tu exploses. Le joueur a aussi une vie privée. Ça s’est peut-être mal passé avec madame la veille ou t’as perdu un proche, etc. Si tu juges uniquement les faits, tu vas toujours trouver à redire. Concernant Nasri, la presse l’a dézingué avant le tournoi jugeant qu’il n’était pas assez bon. Ça été difficile à entendre pour quelqu’un à qui on a dit depuis qu’il a douze ans et demi : -T ‘es le plus beau, t’es le meilleur, etc. Donc le jour où on lui dit qu’il n’était pas bon, il n’a pas compris. Mais là où la Fédération doit se poser des questions, ce n’est pas concernant la lourdeur de la sanction à infliger à Nasri, Menez ou M’Vila mais plutôt s’intéresser à ceux qui entrent à douze ans dans un centre de formation. Il faut se poser la question de ce qu’ils deviennent comme homme, et leur capacité à réagir à la pression.

Le footballeur a-t-il tendance à oublier son rôle de modèle ?

Mais pourquoi un joueur de foot devrait-il être un modèle ? Pourquoi un acteur qui touche trois millions d’euros par film a le droit de se saouler, de se droguer, de changer de femmes chaque semaine et entendre comme commentaires à son sujet : – C’est normal, c’est ça les artistes. A partir du moment où le foot est devenu un spectacle, le footballeur est aussi un artiste. Pourquoi n’a-t-il dès lors pas droit au même traitement ?

Tu avais des modèles plus jeune ?

C’était Canto. Papin, pour moi il ne dégageait rien. J’ai adoré le joueur Zidane mais dès le coup de sifflet final, il ne représentait plus rien. Je peux aussi être contradictoire car entre Messi et Cristiano Ronaldo, je choisis Messi. Ce que réalise Ronaldo sur le terrain est énorme mais le personnage est insupportable. Il est dans le show total, comme Usain Bolt dans un autre registre qui, lui, est beaucoup plus sympathique, il donne l’impression de venir faire un barbec’ avec ses potes alors que c’est la finale des JO. Mais ils assurent au final.

Tu ne regrettes pas tes écarts, avec les arbitres notamment, qui t’ont parfois donné l’image d’un voyou des terrains ?

Pourquoi je regretterais ? Quand tu n’es pas dans l’action, c’est difficile de juger. Exemple : tu viens de te prendre un coup de coude, et l’arbitre ne bronche pas. C’est logique que je me prenne la tête avec lui. Et quand on se battait pour ne pas descendre avec Mons, c’était toutes les semaines carnaval. C’est normal de réagir et de dire aux arbitres : – Mais qu’est-ce que vous faites ! ? Evidemment, ça ne plait pas mais il faut bien quelqu’un qui le dise.

On parle de corruption là ?

De corruption je ne sais pas, mais j’ai joué à Mons puis j’ai joué au Standard. Je sais de quoi je parle. J’en rigolais même. Le mec, il était à peine touché, on sifflait pénalty. J’ai parfois eu le sentiment que les grands clubs sont avantagés ! Et c’est valable dans tous les championnats.

Mais être pénalisé par rapport à d’autres dans la lutte pour le maintien, c’est encore plus grave…

Il y a combien de clubs flamands et combien de clubs wallons en D1 ? Sur les trois clubs wallons, combien d’entre eux ont connu la descente sur les trois dernières années : deux. Il faut parfois analyser les choses simplement…

Que penses-tu du Standard de Duchâtelet par rapport à celui de D’Onofrio ?

J’ai encore beaucoup d’amis supporters du Standard et ils ont un point de vue critique. Pour ma part, je pense qu’il faut attendre avant de pouvoir juger. D’Onofrio a mis dix ans avant de remporter son premier titre. Certes, il a récupéré le club dans des conditions bien pires que celles de Duchâtelet mais ça a quand même pris pas mal de temps à tourner. Tous les transferts n’étaient pas des réussites. Il y a eu parfois quelques échecs. Dont je fais peut-être partie ?

Il y a un an tu avais déclaré dans S/F Mag que Mbokani était le coéquipier qui t’avait le plus impressionné mais que Witsel et Defour étaient surcotés. Tu tiens toujours le même discours pour Witsel ?

Je continue à dire qu’à l’époque ils étaient surcotés. Mais Witsel a, aujourd’hui, franchi le palier que Defour n’a pas réussi à passer. Je suis surpris par sa réussite, et si ça s’avère être vrai pour le Real Madrid, je le serai encore davantage. Et je me serai trompé. Je pensais aussi que Defour serait plus à-même de voyager car il a davantage la niaque que Witsel qui a plus besoin de son cocon familial. La carrière d’un footballeur est aussi dépendante du club et du coach qui te dirige. Qui dit que si Defour va à Benfica et Witsel à Porto, les schémas ne sont pas inversés ?

Carcela qui signe à Anzhi, tu comprends ce type de choix ?

Bien sûr. Il faut arrêter d’être hypocrite. Si demain, on te propose de multiplier ton salaire par dix mais que tu dois écrire une brève sur les chats ( sic) écrasés, tu ne le fais pas ?  » Il va brûler sa carrière, il est trop jeune, etc…  » mais de quoi on parle ? Il met à l’abri ses proches, tout simplement.

Tu donnes souvent l’impression d’être un personnage désabusé.

Non, Je peux m’éclater dans ce que je fais mais ma carrière est faite. A bientôt 32 ans, je ne vais pas dégoter un transfert et multiplier mon salaire par trois ou jouer dans un championnat plus huppé et gagner des titres. Mon objectif, c’est de rendre service à Mons, stabiliser le club, et de prendre du plaisir chaque week- end. Je ne suis pas désabusé, j’ai pris du recul sur mon métier de footballeur, tout simplement.

PAR THOMAS BRICMONT – PHOTOS: IMAGEGLOBE/ HAMERS

 » Il doit y avoir une alternative à ce qui se pratique actuellement. « 

 » Je ne suis pas désabusé, j’ai pris du recul sur mon métier de footballeur, tout simplement. « 

 » Quand on se battait pour ne pas descendre avec Mons, c’était toutes les semaines carnaval avec les arbitres. « 

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