Pourquoi tant de haine

Il est temps pour les partis et candidats de repartir au casse-pipe. Les besaces bourrées de mots qui cognent, de slogans qui tuent, de phrases assassines et d’amalgames douteux. A déverser sur l’adversaire dans le feu de l’action, à l’artillerie lourde ou par frappes chirurgicales. Le Vif/L’Express compte les coups.

L’affaire doit être sérieuse, si même feu Saddam Hussein est de la partie. Cap sur le 25 mai, décrété jour de  » la Mère de toutes les élections « . La Belgique politique et médiatique ne recule devant rien pour grossir la portée de l’affrontement. Jusqu’à ressusciter le leader irakien et le cri de défi qu’il lançait en 1990 à la face du monde : la guerre du Golfe, la première du genre, devait être  » la Mère de toutes les batailles « .

Servie en boucle, la formule recyclée de l’ex-maître de Bagdad laisse Jos Geysels songeur.  » Qui eût cru que le grand discours d’un dictateur connaîtrait un prolongement dans notre langue ?  » s’est étonné l’ex-figure de proue des Verts flamands. On en est là… 541 jours de guerre de tranchées entre le nord et le sud du pays, en 2010-2011, ont laissé des traces. Et étoffé le répertoire belliqueux des deux camps.

 » Make Love, not War « , implore sur son blog Sven Gatz au plus fort de l’impasse politique. Le député Open VLD est affligé :  » C’est donc cela le paysage politique belge aujourd’hui : un front flamand à l’offensive face à un front francophone érigé en ligne défensive Maginot. Et un cratère bruxellois (Grozny ?) au milieu… Depuis quand parlons-nous de plus en plus en termes de guerre : fronts, plans d’attaque, stratégie, tactique, bombe atomique, état-major, bazooka, etc. ?  »

Prudence tout de même. Paul Magnette, président du PS, invite à la retenue au détour d’une interview :  » Les mots, c’est très important ! Le populisme gagne quand plus personne ne remarque qu’on a basculé dans un autre langage politique.  » Celui, très répandu, de la provocation, de l’outrance, de l’escalade.  » On n’est pas assez attentif, il y a trop de violence verbale. On parle des Flamands, des Wallons, des Bruxellois, on nous enferme dans des catégories « , relève Anne Morelli.

Ce ne sont pas là paroles en l’air. L’historienne de l’ULB versée dans la critique historique a condensé en quelques  » commandements  » les mécanismes de propagande de guerre identifiés dans l’entre-deux-guerres par lord Ponsonby, député travailliste anglais (1). Pas sûr que les états-majors des partis et les candidats aient pris la peine de potasser ce petit manuel, à l’heure d’entrer en campagne. Inutile d’ailleurs : ils connaissent leurs classiques. Florilège.

Nous ne voulons pas la guerre

Il faut jurer ses grands dieux ne pas chercher querelle, toujours se présenter comme  » épris de paix « , surtout communautaire.

Joëlle Milquet (CDH), ministre fédérale, ne s’abaissera pas à commenter le programme N-VA sur Bruxelles :  » L’heure n’est pas au retour de combats d’un autre âge.  » Denis Ducarme (MR), député fédéral, se dit lassé par une énième prise de bec N-VA – PS.  » Arrêtons ces diabolisations mutuelles, ces propos excessifs, ces attaques perpétuelles. Nous, nous prenons nos responsabilités, nous réformons, nous assainissons.  » Laurette Onkelinx (PS), ministre fédérale, invite les camarades à ne pas tomber dans le piège grossier tendu par les nationalistes flamands.  » De congrès en congrès, ils cherchent à nous attirer dans le bac à sable, dans la polémique infantile, qu’ils jouent tout seuls…  »

Le camp adverse est le seul responsable de la guerre

C’est toujours l’autre qui a commencé, qui pousse à l’escalade et oblige à rendre coup pour coup. Cela relève de la légitime défense. Bart De Wever, président de la N-VA, s’adresse aux Flamands : le 25 mai, ils auront à trancher entre  » patauger en privilégiant le modèle PS et oser le changement en optant pour le modèle N-VA « . Autant dire que le PS ne laisse pas le choix :  » Si l’on continue à privilégier le modèle socialiste, nous en serons réduits à jouer l’orchestre du Titanic, pendant que le bateau sombre.  » Un quart de siècle de dérive socialiste force ainsi la N-VA à s’engager dans la voie du confédéralisme.

La N-VA charge les socialistes ? Paul Magnette, président du PS, fera front, au nom de tous les siens.  » Sans tomber dans la provocation de bas étage, on ne peut pas laisser dire certaines choses. Chaque semaine, une nouvelle provocation. On dit que la Wallonie veut faire un Anschluss sur Bruxelles. Si on laisse dire l’Anschluss, on va laisser le niveau de civilité politique tomber.  » Riposter devient un devoir.

Eric Van Rompuy (CD&V) s’est étranglé en apprenant que les francophones mijotaient un plan B en plein marasme politique de 2011.  » Les francophones préparent la fin de la Belgique. Ils utilisent un langage de guerre en s’inscrivant déjà dans la logique du plan B « , fulminait le député régional. Qu’ils ne viennent pas dire après coup que ce sont les Flamands qui ont tiré les premiers…

Bart De Wever a repéré le même manège chez Paul Magnette :  » Il veut créer une nation Wallonie-Bruxelles… Il réfléchit déjà en termes de nation « post-Belgique ». Les francophones pensent que la N-VA est dangereuse parce qu’elle songe à la fin de la Belgique. Le PS est donc aussi dangereux.  » CQFD.

Charles Michel, pour sa part, préfère la guerre préventive. Le président du MR a mis ses militants en garde :  » A gauche, ils vont nous attaquer, ils vont tenter de nous abîmer.  » Autant dégainer le premier. Et pilonner à l’arme lourde les positions du PS encore muettes, au cri de  » Nous ne voulons pas de vos idées bolcheviques !  » Alerte rouge : le péril communiste est à nos portes.

Charles Picqué (PS), ex-ministre président bruxellois, en a froid dans le dos :  » La N-VA est un parti infréquentable dont l’attaque frontale contre Bruxelles et ses habitants s’inscrit dans une logique de destruction du pays.  »

Bart De Wever est chagriné de se voir rejeter à ce point :  » Moi, je n’ai aucune exclusive. Lui, Maingain, m’accuse de racisme. Il refuse des salles à Bruxelles à des associations de familles flamandes. Je ne suis pas là pour humilier les francophones, les mettre à genoux. Je ne suis pas le Milosevic flamand.  »

Sur ce dernier point, Yamila Idrissi (SP.A), députée régionale flamande, a visiblement de gros doutes. Bart De Wever n’est-il pas à la tête d’un parti qui  » veut faire de Bruxelles un deuxième Sarajevo  » ? Sarajevo, la ville martyre de la guerre des Balkans, victime d’un siège de trois ans qui a fait plus de dix mille morts entre 1992 et 1995. Aux armes, citoyens bruxellois !

L’ennemi a le visage du diable, il est  » l’affreux de service  »

Les acteurs politiques répugnent à jouer l’homme. C’est parfois plus fort qu’eux : il leur arrive d’appeler  » l’ affreux de service  » par son nom.

Laurette Onkelinx a un jour disqualifié d’un trait le ministre-président flamand Yves Leterme (CD&V) en le traitant d’  » homme dangereux « . Philippe Moureaux (PS) a depuis longtemps carbonisé Didier Reynders,  » ministre des rupins, à l’extrême droite fiscale « .

Olivier Maingain, le président du FDF, prend les paris en observant les oeillades décochées par Didier Reynders en direction de Bart De Wever :  » Il croit que son intelligence va dompter le diable (sic), qu’il sera plus rusé que le rusé…  »

Tant de fiel et de brutalité affolent Liesbeth Homans (N-VA), bras droit de Bart De Wever.  » Quand nous sommes en désaccord avec les francophones, nous le disons simplement. Eux, ils nous diabolisent et font peur aux gens. On nous présente comme des monstres caractériels qui vont tout prendre aux Wallons. C’est presque une incitation à la haine.  » Son coreligionnaireBen Weyts, abonde :  » Jusqu’à la dernière seconde de la campagne, les partis francophones cracheront sur notre parti comme s’il était le Royaume du Mal.  »

Bart De Wever a sa petite idée : il faut être mentalement dérangé pour en vouloir à ce point à sa cause.  » Les frustrations d’Olivier Maingain ne m’intéressent pas. Il y a des médicaments qui peuvent l’aider, mais je ne suis pas médecin.  » Le président du MR, Charles Michel, n’avait pas toute sa tête non plus, quand il clame sur un plateau télé sa détestation du nationalisme : De Wever diagnostique un  » discours plus psychiatrique que politique « .

Philippe Moureaux n’oublie jamais qu’il est historien. Avec une prédilection marquée pour le régime nazi, qu’il voit régulièrement renaître chez ses adversaires. Premier fait d’armes en 1993 : le ténor socialiste taxe le ministre-président flamand Luc Van den Brande (CVP) de  » gauleiter de Flandre « , l’équivalent d’un responsable politique régional du parti nazi. Aujourd’hui, le sénateur socialiste ne s’étonne nullement de l’attirance du patronat flamand pour la droite, en l’espèce la N-VA.  » N’oubliez pas que le national-socialisme a été soutenu par la majorité des grandes entreprises allemandes à l’époque. Dans les périodes de crise, le patronat inintelligent a souvent tendance à chercher des valeurs fortes, des valeurs de droite.  » Assassin.

L’ennemi provoque sciemment des  » atrocités  »

Ces  » atrocités  » sont souvent dignes des périodes les plus épouvantables de l’Histoire. Eric Van Rompuy (CD&V) s’est toujours insurgé à l’idée d’un élargissement de Bruxelles à la périphérie flamande.  » Ce serait réaliser l’Anschluss d’Hitler.  » Autrement dit, rééditer l’annexion forcée de l’Autriche par l’Allemagne nazie en mars 1938. Rien que ça.

Olivier Maingain, en 2010, ne comprend plus le refus persistant du ministre flamand de l’Intérieur Geert Bourgeois (N-VA) de nommer trois bourgmestres francophones de la périphérie. A moins d’envisager l’inconcevable :  » Ce sont des pratiques dignes de l’occupation allemande, lorsqu’on désignait des bourgmestres parce qu’ils étaient les alliés de l’occupant.  »

Inutile de remonter dans le temps pour découvrir les horreurs perpétrées sous nos yeux. Charles Michel, avant même de devenir président du MR, arrosait déjà le camp socialiste au lance-flammes. Avec une rare violence.  » Que ce soit en Corée du Nord, à Cuba, en ex-URSS ou à Charleroi, l’ultrasocialisme n’a engendré que de la misère et la dénégation de la dignité humaine.  » Didier Reynders (MR) raffole de cette comparaison :  » La Wallonie et la Corée du Nord sont les deux dernières régions socialistes au monde. En Wallonie, c’est comme en Corée du Nord : un parti, et même un homme.  »

Le paradis du socialisme wallon, avec Elio Di Rupo en Grand Timonier, est ainsi assimilé à l’un des pires régimes de la planète, une dictature que la communauté internationale accuse de laisser mourir son peuple de faim. Qu’attend-on pour épargner aux Wallons de tels crimes contre l’humanité ?

Tout n’est évidemment pas à prendre au premier degré. Il va de soi que Bart De Wever plaisantait quand le nom de Di Rupo lui vient à l’esprit, à cette question posée sur un plateau télé :  » Quel président utilise des armes chimiques contre ses propres citoyens ? « 

L’ennemi utilise des armes non autorisées

Faut-il s’en étonner ?  » L’affreux de service  » est capable de tout pour parvenir à ses fins.

Bernard Clerfayt, député-bourgmestre FDF de Schaerbeek, repousse les intentions de la N-VA qui veulent réduire les Bruxellois à  » des citoyens de seconde zone « .  » C’est ignoble. Aucune ville au monde ne peut fonctionner avec un système d’apartheid.  » Et ne voudrait vivre sous ce régime raciste qui a mis l’Afrique du Sud au ban des nations.

Guy Vanhengel (Open VLD), ministre régional bruxellois, vient prêter main-forte. Le marché de dupes que propose la N-VA aux Bruxellois revient  » à demander de choisir entre son père et sa mère « . Que peut-on exiger de plus atroce ?

C’est une cause noble et sacrée que nous défendons, non des intérêts particuliers

La lutte qui s’engage oppose le  » Bien  » et le  » Mal « .

Les francophones aiment se donner le beau rôle. Leur cible s’y prête admirablement.  » La N-VA est la somme de tous les conservatismes et de tous les égoïsmes « , dénonce Olivier Maingain. Paul Magnette abonde :  » On va continuer à dénoncer les idées du nationalisme : l’égoïsme, le repli sur soi, la recherche systématique du bouc émissaire.  » Charles Michel renchérit :  » Nous détestons le nationalisme, nous détestons les égoïsmes.  » Rudy Demotte (PS), ministre-président wallon, a trouvé l’antidote : un nationalisme wallon  » ouvert et constructif  » à opposer au nationalisme flamand,  » venin pour la Belgique « .

Avis à la N-VA, elle ne passera pas. No pasarán, criaient les républicains en pleine guerre d’Espagne. Olivier Maingain (FDF) en fait le serment, sur les barricades :  » Vous n’aurez pas Bruxelles, Bruxelles n’est pas la Flandre, le pouvoir de la N-VA ne s’étendra jamais à Bruxelles.  »

Résistance, à outrance. Benoît Lutgen, président du CDH, se prend pour le général US McAuliffe cerné à Bastogne par les Allemands en décembre 1944. En découvrant les visées séparatistes de la N-VA, son sang de bastognard n’a fait qu’un tour :  » Nuts ! »

Laurette Onkelinx (PS)exhorte à se préparer au pire,  » aux situations extrêmes : le blocage des institutions bruxelloises par la N-VA. Alors, clairement, il faudra une réponse proportionnée. Une réponse proportionnée, c’est prendre tous les moyens qui conviennent pour défendre Bruxelles. Et je ne lésinerai sur aucun moyen ! C’est un langage qu’on emploie souvent dans les négociations liées aux conflits armés « .

Ceux et celles qui mettent en doute notre propagande sont des traîtres

Honte à celui qui s’aviserait de retourner sa veste à l’heure du péril. Laurette Onkelinx, durant la crise politique de 2007, et alors que le PS est sur la touche, vitupère contre  » la mérule flamande en train de travailler l’Etat fédéral, avec la complicité des francophones assis aujourd’hui autour de la table de négociations « . La mérule n’est rien d’autre qu’un énorme champignon qui pourrit le bois.

Bart De Wever, la rupture du cartel CD&V/N-VA consommée en 2008, sait désormais à quoi s’en tenir :  » Le CD&V participe aujourd’hui à un gouvernement qui n’a plus la majorité en Flandre. C’est un gouvernement de Vichy.  » En clair : vendu aux francophones, à l’instar du régime du maréchal Pétain qui a versé dans la collaboration avec l’Allemagne nazie.

Olivier Maingain, lui aussi, attend les traîtres au tournant.  » Ceux qui font ce choix-là, s’acoquiner avec la N-VA, par l’intermédiaire ou non du CD&V, prépareront l’étape suivante, la dislocation de l’Etat belge.  » Bernard Clerfayt (FDF) se dispose à prendre les noms.  » Je me demande quel parti francophone pourrait s’asseoir autour d’une table avec ce parti (la N-VA) pour négocier un accord de gestion du pays ou de la Région bruxelloise.  »

Si ce n’est pas la guerre, cela y ressemble parfois.

(1) Principes élémentaires de propagande de guerre, par Anne Morelli, éd. Labor.

Par Pierre Havaux; P. Hx

Bart De Wever :  » Les frustrations d’Olivier Maingain ne m’intéressent pas. Il y a des médicaments qui peuvent l’aider  »

Une députée SP.A :  » De Wever veut faire de Bruxelles un deuxième Sarajevo  »

Didier Reynders (MR) :  » La Wallonie et la Corée du Nord sont les deux dernières régions socialistes au monde  »

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