Pourquoi se former à l’étranger ?

Anderlecht-Standard, c’est aussi un match entre les deux écoles de jeunes les plus performantes du pays. Rencontre avec leurs responsables, Jean Kindermans et Michel Bruyninckx.

Jean Kindermans est Directeur Technique de l’Ecole des Jeunes d’Anderlecht depuis 2005. Michel Bruyninckx occupe les mêmes fonctions au Standard depuis cet été. Malgré la concurrence, une grande complicité les unit :  » On s’entraide plutôt que de se tirer dans les pattes « .

Avant de diriger les Ecoles de Jeunes d’Anderlecht et du Standard, vous avez tous deux entraîné les classes d’âge de ces clubs. D’une époque à l’autre, où se situent les différences ?

Jean Kindermans : Essentiellement au niveau des infrastructures. Le Centre de Formation du club, à Neerpede, qui datait du début des années 50, avait fait son temps. A la longue, il était même devenu plus dissuasif qu’attractif. Le Sporting a raté les transferts d’Eden Hazard et Steven Defour, entre autres, parce que le package proposé par Lille et le Racing Genk était supérieur au nôtre. Là-bas, ils avaient droit à des accommodations modernes, un suivi au niveau des études et le transport. Au RSCA, nous avons résorbé ce retard via la création du projet Purple Talents, l’acheminement des joueurs aux séances de préparation ou aux matches et la modernisation de nos installations… pour tout ce qui touche au blé en herbe et à la Première.

Michel Bruyninckx : En 1997, lorsque j’étais moi-même actif chez les Mauves, je me souviens que le responsable du Département, Werner Deraeve, parlait de Neerpede en termes de : Un pont trop loin. Cette construction – le ring – séparait, et sépare d’ailleurs toujours, le stade Constant Vanden Stock, repère de la Première, des autres. Aujourd’hui, suite à la transformation du site, les deux entités ne font plus qu’une puisque les pros et les jeunes sont tous regroupés. A l’Académie Robert-Louis Dreyfus, il en est ainsi aussi. Avant, il y avait Sclessin d’un côté et le Sart Tilman de l’autre. A présent, tout le monde est logé à la même enseigne et l’émulation est garantie.

Kindermans : Par rapport à mon propre passé, comme joueur d’abord, puis en tant qu’entraîneur, j’observe tout de même une importance accrue à l’échelon de la formation. De tout temps, le club a pu tabler sur des éléments issus de son sérail. De ma génération, il y avait des garçons comme Enzo Scifo ou Georges Grün par exemple. Depuis mon retour au RSCA en 2004, je remarque que le mouvement s’est emballé, avec les éclosions des Vincent Kompany, Anthony Vanden Borre, Timothy Derijck, Mark Deman, Olivier Deschacht, Jonathan Legear, Geoffrey Mujangi-Bia, Vadis Odjidja Ofoe, Sven Kums, Romelu Lukaku. Il y aurait moyen de composer une fameuse équipe avec tous ces noms-là. Et la nouvelle vague actuelle formée de Ziguy Badibanga, ou encore Denis Praet. L’essor des jeunes est une réelle préoccupation chez nous, actuellement.

Bruyninckx : Le Standard a la même motivation. Et elle a été couronnée de succès, ces dernières années, avec les percées d’Axel Witsel et Mehdi Carcela pour ne mentionner qu’eux. Deux gars qui, à mes yeux, font figure d’exemples, en ce sens qu’après leur apprentissage dans la filière traditionnelle, ils ont ensuite servi le club en équipe-fanion avant de choisir un autre employeur. C’est l’itinéraire idéal : les joueurs ristournent au club une partie de l’investissement qui a été opéré pour eux. Mais tout le monde n’agit malheureusement pas de la sorte. L’une de nos plus belles promesses, Marnick Vermijl, a préféré opter pour Manchester United. Et Anderlecht a perdu Adnan Januzaj de manière identique.

L’herbe n’est pas plus verte ailleurs

Kindermans : Quand j’ai débuté comme coach au Sporting, mon ambition était de bonifier les adolescents que j’avais sous la main. A présent, je passe le plus clair de mon temps à converser avec les parents et leurs enfants pour les convaincre du bien-fondé de rester ou de signer à Anderlecht. Car l’herbe n’est pas plus verte ailleurs. Beaucoup sont obnubilés par l’argent ou le nom. Les clubs anglais, comme Manchester United ou Chelsea, exercent un véritable pouvoir d’attraction par exemple. Mais savez-vous que 4 % à peine des jeunes Britanniques sont arrivés en Premier League ces dix dernières années ? Pour y percer, le degré de difficulté est autrement plus élevé que chez nous. Mais peu de gens s’en rendent compte.

Bruyninckx : Floribert Ngalula a opté jadis pour les classes d’âge de Manchester United. Ibrahim Maaroufi, lui, a rallié les rangs de l’Inter Milan en pleine adolescence. Le premier est à l’OHL aujourd’hui après avoir transité notamment par Randers au Danemark et Turku en Finlande. L’autre est au Racing Malines après être passé par Bellinzona et le Wydad Casablanca. Je ne pense pas qu’ils avaient ce plan de carrière-là en tête. Finalement, il est peut-être heureux que par rapport à la plupart des jeunes d’origine allochtone les Belges soient physiquement mûrs plus tard. Dries Mertens, qui a été mon élève à l’Ecole Sport-Elite de Louvain, a transité par Anderlecht, La Gantoise et l’Eendracht Alost avant d’aboutir successivement à l’AGOVV Apeldoorn, le FC Utrecht et à présent le PSV. S’il avait rallié Eindhoven immédiatement, il n’y jouerait sans doute pas en Première à l’heure actuelle.

Kindermans : Le PSV a attiré une cinquantaine de joueurs belges ces dernières années. Ses responsables ont même mis en place une navette pour le transport de jeunes Sportingmen ou d’éléments du même âge du Racing Genk. Mais qui d’entre eux a fait son chemin entretemps ? Hormis Dries Mertens, qui n’est même pas un produit des Lampistes, il n’y a qu’un seul de nos compatriotes dans le noyau pro là-bas : Stijn Wuytens. Les autres végètent tous dans l’anonymat. Idem à Lille. La plupart n’ont qu’un seul nom à la bouche lorsqu’ils réfèrent à ce club : Eden Hazard. Ils oublient que le LOSC abrite une trentaine d’autres Belges qui, eux, n’ont pas du tout voix au chapitre.

Bruyninckx : Le PSV ratisse large. Il nous a piqué Zakaria Bakalli, qui est un immense talent. On peut faire des efforts pour garder nos jeunes pousses les plus prometteuses. Mais il y a des limites à ces largesses. Nous essayons de persuader les joueurs les plus courtisés qu’ils ont un avenir radieux au Standard. La preuve par Axel Witsel, issu des classes de jeunes, et qui a remporté le Soulier d’Or avant de tenter la grande aventure à l’étranger. L’exemple à suivre, c’est lui. Je ne suis pas sûr qu’il serait au même stade s’il avait quitté les Rouches en cours de route. La formation et la post-formation sont tout aussi pertinentes chez nous qu’ailleurs. Nous avons des entraîneurs de qualité et Anderlecht aussi. On peut très aisément soutenir la comparaison avec ce qui se fait ailleurs.

Le 3-4-3 explique la pénurie de backs

Vos clubs respectifs s’appuient, au plus haut niveau, sur des défenses composées majoritairement d’éléments étrangers. Pourquoi Anderlecht et le Standard ne forment-ils pas de bons joueurs dans ce secteur ?

Kindermans : C’est une demi-vérité. Vincent Kompany, Anthony Vanden Borre, Timothy Derijck, Mark Deman et Olivier Deschacht sont quand même tous des arrières, non ? Mais vous avez partiellement raison : ces dernières années, on n’a plus vraiment sorti de défenseurs de haut vol. Le système appliqué chez les jeunes en est en partie responsable. Longtemps, le 3-4-3 a été en vigueur chez nous dans la plupart des catégories d’âge. Dans cette conception, il n’est plus réellement question de backs, ou de stoppeurs, mais de joueurs hybrides qui ne sont ni l’un ni l’autre. C’est la raison pour laquelle, dès les U15, on en revient au 4-3-3 avec deux arrières centraux véritables et deux latéraux qui coulissent le long de leur flanc.

Bruyninckx : Le problème est lié aussi au manque d’attrait pour ces places. Lorsque vous demandez à un gamin où il veut jouer, la réponse est toujours : attaquant, numéro 10 ou gardien. Je n’ai encore jamais entendu quelqu’un me dire qu’il voulait évoluer au back. Bizarrement, c’est la position la moins en vogue dans une équipe alors qu’elle devrait être l’une des plus prisées. Car dans le football moderne, ce sont les arrières latéraux qui ont la plus grande liberté de man£uvre. Par rapport aux défenseurs centraux, dont la mission consiste avant tout à veiller au grain derrière, ils peuvent profiter des espaces pour monter et créer le surnombre. C’est très valorisant.

Kindermans : Au Sporting, la plupart des backs sont des ailiers qui ont reculé dans le jeu. A l’image de Denis Odoi aujourd’hui ou de Bertrand Crasson et Georges Grün jadis. Plus cette reconversion s’opère tôt, plus les chances de succès sont réelles. Guillaume Gillet a été permuté sur le tard à cette place. Voilà pourquoi il n’en maîtrise sans doute pas toutes les subtilités.

Bruyninckx : Tout apprentissage est lié à ce que l’on appelle une période critique. Le langage, par exemple, s’acquiert entre 0 et 6 ans. Passé ce délai, c’est trop tard. Pour le football, c’est la même chose. La spécialisation doit s’opérer le plus rapidement possible. Et, pour ce faire, il faut de bons formateurs.

A cet égard, peu d’anciens figurent dans les organigrammes de vos clubs respectifs. Pourquoi ?

Kindermans : Charly Musonda, René Peeters, Geert Emmerechts et Gunter Van Handenhoven ont tous un passé en D1. C’est vrai que le club aurait aimé pouvoir attirer davantage d’anciennes gloires. Bon nombre ont d’ailleurs été sollicités en ce sens mais refusent ou décrochent en raison des implications de cette nouvelle vie. Les cas de Pär Zetterberg et Mbo Mpenza sont significatifs à ce sujet.

Bruyninckx : Un nom ronflant n’est pas nécessairement synonyme de compétences. On peut être un bon mentor sans avoir été un grand joueur. Dans nos sélections nationales de jeunes, des coachs comme Mark Van Geersom ou Bob Browaeys n’ont peut-être pas un passé éloquent comme footballeur. Mais cela ne les empêche pas de faire du bon travail.

Les applaudissements de Jean Nicolay

Sans vouloir vous offenser, vos noms ne présentent pas des consonances familières non plus. Est-ce un handicap ?

Kindermans : Vis-à-vis du commun des mortels peut-être. Mais les vrais connaisseurs voient plus loin.

Bruyninckx : Quand je suis arrivé à l’Académie, ma première préoccupation fut de présenter ma vision du football au staff des entraîneurs de jeunes. Au bout de mon exposé, qui avait quand même duré une heure, un homme s’est levé et a applaudi à tout rompre : Jean Nicolay. Cet hommage-là vaut bien plus, à mes yeux, qu’une flopée de matches en D1.

Anderlecht et, dans une moindre mesure, le Standard, ont longtemps été synonymes de championnite aiguë chez les jeunes. En est-il toujours ainsi ?

Kindermans : Au moment de mon entrée en fonction, j’ai voulu modifier cette donne car la manière importait plus, selon moi, que le résultat. Mais j’en suis revenu tant, dans ce club, les deux sont liés. Chez nous, il faut être performant, tout en proposant un jeu chatoyant. A un moment donné, j’ai plaidé pour que dans les plus jeunes catégories, jusqu’aux U11 plus précisément, on ne publie plus de résultats et de classements. C’était peine perdue car les parents élaboraient eux-mêmes leurs tableaux en se renseignant à gauche ou à droite sur les scores de nos concurrents.

Bruyninckx : J’ai obtenu que les parents des joueurs en bas âge n’assistent plus aux entraînements. Car qu’est-ce qu’une Ecole des Jeunes ? C’est un endroit où on dispense un savoir aux enfants. Comme dans l’enseignement primaire. Là, on apprend à lire, écrire et calculer sans la présence d’adultes au côté des plus jeunes. Au football, il ne doit pas en aller autrement. Là aussi, on inculque des rudiments qui serviront encore ultérieurement : la technique, la conduite de balle, la passe. Il faut que les gosses puissent faire ça en toute quiétude. Et tant mieux si, plus tard, toutes ces notions qu’on leur a administrées leur permettent de faire carrière. Dans la vie, il n’en va pas autrement. Tout le monde n’entreprend pas des études universitaires.

Kindermans : Urbain Haesaert, chef de notre cellule prospection en Belgique, observe souvent que trop de jeunes veulent aller à l’université du football, lisez les grands clubs étrangers, alors qu’ils n’ont pas encore terminé leurs études chez nous.

Bruyninckx : Le résultat devrait toujours être secondaire chez les plus jeunes. Mais dans la pratique, on est loin du compte. Quand des entraîneurs se croisent, ils demandent toujours aux autres quels résultats ils ont fait. Je préférerais qu’ils s’informent plutôt sur la qualité du jeu produit. Car on peut perdre 2-0 après avoir bien joué et gagner 8-0 au bout d’un match pourtant médiocre. Le plus important, c’est le développement du joueur. Jusqu’à 12-13 ans, il doit apprendre, comme dans l’enseignement inférieur. Ce n’est que passé cet âge qu’il entame une formation professionnelle.

Un système de vases communicants

Anderlecht avait conclu, dans le passé, des accords de collaboration avec le FC Bibo en Côte d’Ivoire, la Gadji Sports Academy au Cameroun et on évoque à présent un partenariat avec le Tout-Puissant Mazembé au Congo. Quid au Standard ?

Bruyninckx : Le plus important, c’est ce qu’on a en magasin. J’ai donné des clinics au Nigeria et en Egypte, deux grandes nations du football africain, et je sais qu’une implantation serait parfaitement possible là-bas. Mais pour obtenir quels résultats finalement ? A part Cheikh Tioté et Sébastien Siani, ces synergies n’ont débouché sur rien de concret côté anderlechtois. Dans ces conditions, le jeu en vaut-il la chandelle ?

Kindermans : Il y a eu Bouba Saré également, mais ça reste peu. Avec le club de Lubumbashi, tout reste à définir. C’est surtout au niveau des noyaux de Première qu’une coopération est à l’étude.

Jonathan Legear est passé autrefois des classes d’âge du Standard à Anderlecht, tandis que de jeunes Sportingmen, moins connus, ont effectué le chemin inverse. Qu’en est-il du gentlemen’s agreement entre les clubs ?

Kindermans : Chacun, à son niveau, essaie de pouvoir disposer du meilleur matériel humain possible. Au départ, on recrute dans le voisinage immédiat, le Brabant par exemple mais, inévitablement, le champ de prospection s’étend. Tantôt on pêche alors dans le même vivier, tantôt on pêche carrément l’un chez l’autre. L’idée directrice n’est pas de déforcer un concurrent ou de se tirer dans les pattes. Ce sont les circonstances, le plus souvent, qui dictent cette attitude. Jonathan Legear n’était pas arrivé à un accord avec le Standard autrefois. Le Sporting a eu vent de cette affaire et nous avons trouvé un terrain d’entente avec le joueur. Aussi simple que cela.

Bruyninckx : Il arrive que pour certaines positions on ait l’embarras du choix mais qu’on soit à l’étroit pour d’autres. Si Anderlecht a plusieurs solutions au médian défensif dans les U14 et que nous n’en avons pas, je ne vois pas pourquoi le Standard ne pourrait pas approcher un de ces éléments surnuméraires. Le plus important est de le faire dans les règles de l’art et non de manière sournoise. Mais sur ce plan-là, nous sommes suffisamment adultes de part et d’autre. L’idée est de s’entraider en lieu et place de se tirer dans les pattes.

Quels sont vos rapports avec vos T1 respectifs ?

Bruyninckx : Je n’ai qu’à me louer de José Riga, qui est à l’écoute de tout, et qui favorise un système de vases communicants entre la Première et l’Académie. On se voit 4 à 5 fois par semaine pour discuter de tout et je suis même invité à assister ou à apporter mon écot à ses entraînements.

Kindermans : Le nouveau complexe de Neerpede favorise les contacts, puisque tout le monde y est rassemblé aujourd’hui. Il y a un intérêt pour tout ce que font les jeunes, même s’il y a toujours moyen d’en faire plus. Mais je comprends le coach des A. Son travail est déjà tellement absorbant et éreintant qu’il éprouve légitimement le besoin de souffler de temps en temps. Mais cela ne l’empêche pas de me prêter une oreille attentive et d’avoir un £il sur mon travail.

PAR BRUNO GOVERS

 » A peine 4 % des jeunes Anglais sont arrivés en Premier League ces dix dernières années.  » (Kindermans) .  » Les parents des jeunes sont les bienvenus aux matches mais pas aux entraînements. Les gosses doivent pouvoir apprendre en toute quiétude, comme à l’école primaire.  » (Bruyninckx)

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