« Pourquoi pas Wilmots ? »

Les Français en sont fous, mais il se sent Belge et les problèmes récurrents de notre équipe nationale le touchent.

D’un côté, il n’est encore qu’un jeune joueur de 19 ans et ce n’est sans doute pas à lui à dicter à l’Union belge la ligne de conduite à suivre. D’un autre côté, il est appelé à guider les Diables Rouges vers le succès au cours des 10 ou 15 prochaines années, si tout se passe bien. Il est donc concerné au premier plan par cette crise sportive déclenchée par le départ de Dick Advocaat, laissant l’équipe nationale sans entraîneur. Une crise sportive qui, par une curieuse coïncidence, est survenue quasiment en même temps que la crise politique déclenchée par le départ de l’Open VLD et qui a laissé la Belgique sans gouvernement. Eden Hazard, tout juste nominé au titre de meilleur joueur du championnat français, nous a reçus en exclusivité, à Lille, pour évoquer essentiellement les Diables.

Comment as-tu appris le départ d’Advocaat ?

EdenHazard : C’est un ami qui me l’a annoncé. Je suis un peu déconnecté de la Belgique, et je n’ai pas suivi toute l’évolution de cette affaire de très près. J’essaie surtout de me concentrer sur mes matches avec Lille.

Quelle a été ta première réaction ?

Je me suis dit que c’était dommage, mais je n’en ai pas fait tout un foin non plus. Il y a d’autres bons entraîneurs. C’est vrai qu’un coach de ce calibre-là, c’est plutôt rare, et que le voir à la tête d’un petit pays comme la Belgique, c’était encore plus exceptionnel, mais voilà : il est parti.

Certains l’ont qualifié de traître…

Ce sont des propos excessifs. J’ai entendu ce qu’il gagnait en Belgique et ce qu’on lui proposait en Russie. Sur le plan financier, il n’y avait pas photo. J’avoue que, si je m’étais trouvé à sa place, j’aurais probablement agi de la même manière. Lorsqu’un autre employeur vous propose autant d’argent, quel est le commun des mortels qui pourrait résister ? Après, c’est vrai, il y a la parole donnée. Il l’a un peu mangée, et la belle histoire qu’on avait commencé à écrire ensemble, s’est terminée prématurément. Il faut tourner la page, c’est tout.

 » Eric Gerets, c’était le rêve de tous « 

Lorsque tu dis qu’il y a d’autres bons entraîneurs, tu penses à qui ?

Je pense qu’il ne faut pas nécessairement vouloir aller chercher ailleurs ce qu’on a peut-être sous la main. Il y a aussi de bons entraîneurs en Belgique. Je ne comprends pas, par exemple, qu’on n’ait pas directement promu Marc Wilmots au poste de T1. C’était tout de même une suite logique, non ? Lorsqu’on perd son T1, le T2 doit être le candidat n°1. Personnellement, je n’ai eu qu’à me louer de ma collaboration avec Wilmots. En tant que francophone, j’ai eu des contacts privilégiés avec lui, puisque ma connaissance du néerlandais est quasiment nulle et qu’on pouvait dire la même chose d’Advocaat en ce qui concerne le français. En outre, le fait que Wilmots ait joué en France me rapprochait encore davantage de lui. C’est un ancien Diable Rouge, il a participé à la Coupe du Monde, il a joué à Schalke 04 et à Bordeaux, il est parfait bilingue : que demander de plus ? Son expérience comme entraîneur de club, à Saint-Trond, n’a pas été un échec non plus, que je sache.

Michel Preud’homme, Georges Leekens et Eric Gerets avaient aussi été cités. Ces noms évoquent-ils quelque chose pour toi ?

Bien sûr. Je ne suis tout de même pas totalement ignare en ce qui concerne les réalités du football belge. La réputation de Preud’homme et Leekens est arrivée jusqu’à Lille, je vous rassure. Je n’ai jamais travaillé avec ces gens-là, mais à priori, cette perspective ne m’aurait pas déplu. Je connais forcément mieux Gerets. J’ai vécu de France tout le travail, fabuleux, qu’il a accompli à la tête de Marseille la saison dernière. Lorsque j’ai affronté l’OM avec le LOSC, j’ai eu l’occasion de discuter avec lui. Le voir à la tête des Diables Rouges, c’était le rêve de tout le monde. Mais, apparemment, la fédération marocaine a plus de moyens que la belge.

Et un entraîneur français ?

On n’aurait pas eu Laurent Blanc, Didier Deschamps ou Claude Puel. On ne doit pas se faire d’illusions. Et puis, je préfère un homme qui connaisse les spécificités du football belge, les valeurs de notre pays. Chaque football a ses spécificités, et il n’est pas dit qu’un étranger aurait immédiatement décortiqué le mode de fonctionnement propre aux Diables Rouges. La force de la Belgique, cela a toujours été l’unité, le collectif, le dépassement de soi. Vu ce qu’il se passe dans le pays, le football a des leçons à donner au monde politique : on doit démontrer, sous le maillot de l’équipe nationale, que la Belgique existe toujours.

 » Mes parents ont assisté à mes débuts, c’est le principal « 

Tu n’a pas connu Jean-François de Sart, puisque tu es passé directement de Bob Browaeys à… René Vandereycken. Selon ce qu’en disent les anciens Espoirs, penses-tu qu’il aurait fait un bon coach fédéral ?

Peut-être, oui. La plupart en disent du bien. C’est un autre style, apparemment. Plus cool. Trop cool, disent certains. Mais comme je n’ai jamais travaillé avec lui, il m’est difficile de porter un jugement. Je trouve en tout cas que l’Union belge aurait été bien inspirée en consultant les joueurs. Je ne sais pas si les cadres de l’équipe nationale l’ont été. Moi, en tout cas, on ne m’a pas demandé mon avis. C’est peut-être logique, vu mon jeune âge, mais les joueurs sont tout de même les premiers concernés.

Tu comptes douze sélections et tu t’apprêtes à travailler sous la direction d’un… quatrième sélectionneur !

C’est fou, hein ! Je ne suis pas arrivé à la meilleure période, c’est clair.

Tu te souviens de ta première sélection ?

Bien sûr. Je venais d’être titularisé pour la première fois en Ligue 1, face à l’AS Saint-Etienne. Frankie Vercauteren, à l’époque adjoint de Vandereycken, était dans la tribune du Stadium Nord de Villeneuve d’Ascq. Je ne sais pas s’il s’était déplacé pour visionner Kevin Mirallas ou moi-même, toujours est-il que j’ai livré un bon match et que j’ai marqué. J’étais en train de rejoindre ma chambre au Domaine de Luchin lorsque mon téléphone portable a retenti. Il faisait noir, c’était l’hiver. A l’autre bout du fil, il y avait l’Union belge. J’étais prié de me présenter au centre national de Tubize, le lundi après-midi, pour l’entraînement des Diables Rouges. Mon père est venu me chercher à Lille, le lundi matin, pour m’y conduire.

C’est Mirallas qui t’y as accueilli ?

En effet. Il avait déjà joué le rôle de grand frère pour moi lorsque j’ai intégré le noyau pro à Lille. Je ne connaissais personne, en équipe nationale, à part Kevin. Les autres Diables, je ne les avais encore vus qu’à la télévision.

Trois jours plus tard, tu débutais dans un match amical très décrié au grand-duché de Luxembourg…

Oui. Grande affiche, grand stade, ambiance incroyable. Il y avait 80.000 spectateurs, si je me souviens bien. ( Ilrit). Mais bon : j’étais très content quand même. Une première sélection, cela ne s’oublie pas. En plus, je me suis bien débrouillé. Je suis monté au jeu lors de la dernière demi-heure, et j’ai failli inscrire un but à ma première touche de balle, après avoir dribblé trois adversaires.

Mais, à part les quelques centaines de  » privilégiés  » présents dans le stade, personne ne l’a vu puisqu’aucune télévision n’a retransmis le match.

C’est un fait. Mais, comme ce n’était pas un très long déplacement, mes parents avaient pu se rendre à Luxembourg. Eux ont vu mes premiers pas sous le maillot des Diables Rouges, et à mes yeux, c’est peut-être le plus important.

Tu étais, à l’époque, le 7e plus jeune Diable Rouge de l’histoire.

J’aurais aimé être  » le  » plus jeune, mais le 7e, c’était déjà très bien. Aujourd’hui, je ne suis plus que le 8e : Romelu Lukaku m’a dépassé.

 » Lukaku a intérêt à rester un ou deux ans de plus à Anderlecht « 

L’Anderlechtois a débuté lors du dernier Belgique-Croatie, dans une effervescence médiatique sans précédent. Toi, tu avais débuté dans l’indifférence quasi générale : lors de ton premier entraînement à Tubize, certains journalistes belges ne te… connaissaient pas !

Je ne m’en suis jamais formalisé. J’ai été formé à Lille depuis mes 14 ans, je n’ai jamais joué dans le championnat de Belgique : quelque part, c’est logique que j’ai un peu échappé aux regards. Romelu, lui, joue à Anderlecht, où il a débuté à 16 ans. Il a offert au Sporting son 30e titre dès sa première saison, ce qui en fait un phénomène. Il est très fort. A son visage poupon, on voit qu’il n’a encore que 16 ans, mais sinon, on le dirait pas, hein ! Au centre de formation de Lille, j’ai aussi déjà vu quelques blacks bien baraqués ! ( Ilrit)

Tu t’es directement bien entendu avec lui ?

Il a l’âge de mon frère Thorgan. Rien que pour cela, j’ai suivi son évolution. On a discuté et on s’est découvert des points communs. La précocité en est un. Si j’ai un conseil à lui donner, c’est de rester encore un ou deux ans à Anderlecht, car il doit encore parfaire son apprentissage. Ce serait mieux pour lui… et aussi pour les supporters anderlechtois, qui ont envie d’encore rêver un peu avec lui.

A Anderlecht, en tout cas, on est très fier de te compter parmi les supporters du Sporting.

Supporter, moi ? On exagère toujours tout. Lorsque j’étais tout petit, j’ai effectivement avoué une préférence pour Anderlecht, par rapport à d’autres clubs belges, mais cela s’arrête là. Je trouve que le 30e titre du Sporting est mérité, mais je ne suis pas allé parader en rue avec un klaxon, pour le fêter.

En équipe nationale, tu côtoies un Thomas Vermaelen qui joue à Arsenal, un Vincent Kompany qui joue à Manchester City, un Daniel Van Buyten qui joue au Bayern Munich : le genre de clubs que tu es amené à rejoindre, tôt ou tard. En discutez-vous entre vous ?

Pas vraiment. On a d’autres thèmes à débattre. Lorsque je vois que Daniel va disputer une finale de Ligue des Champions, cela me fait rêver, c’est sûr. C’est le genre d’événement que j’aimerais vivre. J’espère que cela viendra, mais cela ne doit pas obligatoirement être l’an prochain, déjà.

On sait qu’outre le Real Madrid, Arsenal est un club qui te séduit. Vermaelen t’a-t-il déjà éclairé sur le sujet ?

Non, on ne discute pas de cela. Et ce n’est pas qu’une question de langue : Thomas parle le français. En équipe nationale, on a d’autres sujets de discussion.

L’ossature de l’équipe nationale est constituée par les anciens Espoirs, qui ont été demi-finalistes de l’EURO 2007 et demi-finalistes des JO 2008. Tu t’es facilement fondu dans ce groupe ?

Oui, j’ai été habitué à jouer avec des garçons plus âgés que moi. C’était déjà le cas à Lille. Je me contente de jouer au football, comme on me le demande, sans faire trop de bruit. Je parle avec le ballon au pied. A Lille non plus, je ne suis pas un leader. J’essaie de briller sur le terrain, c’est tout.

En équipe nationale, qui sont les leaders ?

Vermaelen, Vertonghen, Van Buyten… Wesley Sonck aussi, lorsqu’il est là : il aime faire entendre sa voix.

Tu aurais aimé participer aux JO?

J’aime participer à toutes les grandes compétitions. Mais je ne peux pas dire que je vivrai éternellement avec des regrets pour avoir loupé cet événement-là. Un an plus tôt, j’avais participé au Championnat du Monde des -17 ans, en Corée du Sud. L’Asie, je l’ai donc découverte avant les Espoirs. Je n’y ai pas livré le meilleur tournoi de ma carrière : temps chaud et lourd, élimination au terme de la phase de poules. Mais j’ai aussi déjà vécu une demi-finale : celle de l’EURO 2007 des -17 ans.

 » En Espagne, j’avais l’impression qu’on avait tous 45 ans « 

Que reste-t-il, trois ans plus tard, de cet événement ? Tu es le seul de cette génération à avoir percé…

Quelques joueurs, comme Dimitri Daeseleire et le gardien Jo Coppens, ont déjà joué en D1. L’un ou l’autre, comme mon grand copain Christian Benteke, joue aujourd’hui en Espoirs. On est encore régulièrement en contact. D’ailleurs, je suis allé voir Barcelone-Inter Milan chez lui, mercredi passé.

A-t-il les capacités pour devenir Diable Rouge ?

Je le pense, oui, s’il continue à travailler. Son passage à Courtrai lui a fait le plus grand bien. Aujourd’hui, il est prêt pour s’imposer au Standard. S’il y parvient, le reste devrait suivre. N’oublions pas qu’il n’a encore que 19 ans, lui aussi. C’est le même style que Lukaku : un grand costaud, bien musclé, capable d’inscrire des buts et de donner le tournis à une défense. C’est peut-être là son problème : il risque de faire double emploi avec Romelu.

Jusqu’ici l’équipe nationale est allée d’illusions en… désillusions. Tu as vécu le 5-0 en Espagne, la défaite en Arménie, celle en Estonie. Tu ne t’es jamais senti honteux ?

Honteux, non. Un peu gêné, parfois, oui. En Espagne, j’avais l’impression que c’était une équipe de vétérans sur le terrain. Des gars de 45 ans, qui en avaient marre du football. Plus personne n’avait envie de se mouiller le maillot. On pouvait encore s’estimer heureux avec le score de 5-0, car Jean-François Gillet avait sorti un grand match. La défaite en Arménie a marqué la fin du règne de Vercauteren. Celle en Estonie, c’était sous le règne d’Advocaat.

L’entraîneur qui devait incarner le renouveau. Que vous a-t-il apporté, en fait ?

L’envie, la fierté de porter le maillot de l’équipe nationale.

Des sentiments qui n’existaient plus ?

Le groupe était moralement atteint par les deux défaites contre la Bosnie-Herzégovine, celles qui ont fait le plus mal car elles scellaient notre élimination de la Coupe du Monde. Elles ont aussi marqué la fin du règne de Vandereycken.

Et ont donné lieu à toutes ces polémiques dans la presse…

Ces polémiques ont surgi à cause des mauvais résultats. Si l’on avait gagné ces deux matches, on n’aurait jamais parlé des quelques bêtises que certains ont peut-être commises.

Car certains ont donc bel et bien commis quelques bêtises ?

Je n’en sais rien. C’est ce qu’on a raconté, et en principe, il n’y a jamais de fumée sans feu. Moi, je n’ai rien vu. J’étais dans ma chambre à 22 heures, vous me connaissez ! ( Ilrit). C’est clair : des paroles malheureuses ont été échangées. Mais elles découlaient de la frustration liée à l’élimination. On dit souvent que les équipes nationales, c’est une question de cycles. Les Diables Rouges étaient dans le creux de la vague et on essaie de remonter la pente.

Toi, tu as toujours gardé la foi envers les Diables Rouges ?

Oui, parce que je constate qu’il y a un vrai potentiel et une belle génération en devenir. Je suis le premier à dire que le talent seul ne suffit pas, mais il vaut mieux avoir une génération talentueuse que le contraire. Maintenant, la situation étant ce qu’elle est, il est clair qu’il va falloir revoir toutes les structures.

 » Jouer avec Thorgan, c’est aussi un rêve « 

Outre la réalisation d’exploits sportifs, ton rêve est d’évoluer un jour chez les Diables Rouges avec ton frère Thorgan ?

Ensemble chez les Diables Rouges, ce serait le summum. Mais même si cela se produisait en club, ce serait déjà très bien. Que l’on joue ensemble ou… l’un contre l’autre. Dans le championnat de France, d’Angleterre, peu importe. Cela signifierait qu’il a atteint la D1, lui aussi.

A un moment donné, on disait qu’il était plus fort que toi…

J’avais lancé cela. Pour l’encourager. A 17 ans, il vient de signer un contrat pro à Lens jusqu’en 2014… comme moi à Lille. Mais il n’intégrera pas encore le noyau pro, il débutera seulement en CFA la saison prochaine. Il est un peu en retard sur moi, mais chacun avance à son rythme. C’est peut-être moi qui étais trop précoce, finalement. Je suis allé le voir à trois reprises, ces derniers temps, et il progresse bien.

Il n’est pas jaloux de ton succès ?

Je ne le pense pas, non. Ou, s’il l’est, il le cache bien. Mais c’est précisément pour cela qu’on l’a placé à Lens : pour qu’il ne souffre pas perpétuellement de la comparaison avec moi. Il pourra y grandir à l’aise, sans pression, et s’il continue à bosser, je suis certain qu’il peut réussir également. Il en a les moyens. On a des qualités différentes, mais il est très doué lui aussi.

« A la place de Dick Advocaat, j’aurais agi de la même manière. »

« L’Union belge aurait été bien inspirée en consultant les joueurs… « 

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