» Pourquoi les clubs du top belge ne me voient pas ? « 

Malgré une grosse frustration de ne pas être plus reconnu, le voltigeur ivoirien a trouvé un super équilibre.

Barry Boubacar Copa (31 ans) se sent bien à Lokeren. Une rumeur l’avait également annoncé au Daguestan, à Anzji Makhatchkala, qui a transféré João Carlos (ex-Genk) au cours du dernier mercato et qui vient d’acquérir Mbark Boussafa. C’est également le club de Roberto Carlos, le champion du monde brésilien. Copa :  » Je dois beaucoup à Lokeren. Pas question de partir à présent. D’autant qu’il y a beaucoup de rencontres importantes qui nous attendent dans les prochaines semaines.  » Pour cela, le gardien ivoirien espère conserver la plénitude de ses moyens. A la suite d’une blessure aux ligaments du genou droit, il a manqué plusieurs rencontres aux cours des dernières semaines.

L’entraîneur des gardiens de but Erwin Lemmens affirme que vous avez souffert de diverses petites blessures durant toute la saison déjà. Qu’en est-il ?

Copa : En fait, depuis ma désignation de Gardien de l’Année en 2009, je n’ai plus jamais disposé de toutes mes possibilités. Il s’agissait souvent de détails auxquels le public et la presse n’accordent guère d’importance et dont ils ne tiennent pas compte au moment de juger la prestation. J’espère qu’une inactivité de plusieurs semaines aura mis fin au mal. Si ce n’était pas le cas, je n’en ferais pas un drame. Car qui suis-je ? L’équipe a continué à bien tourner sans moi. C’est un constat réjouissant, surtout pour le staff technique qui y a cru dès le départ. La confiance qu’il affichait a été bénéfique à tout le monde. Malgré des matches de préparation quelconques, Rudy Cossey ne cessait de répéter : -Vous verrez, ça va aller ! Si je me retrouve sur le banc, j’en chercherai la raison et je travaillerai encore plus fort. Un seul homme décide de la sélection : Peter Maes. Et il ne désigne pas les gens pour leurs beaux yeux…

Vos équipiers prétendent qu’ils découvrent cette saison un autre Copa. Plus serein, plus pondéré. Qu’y a-t-il de changé ?

Peut-être une expérience accrue. Nous possédons un groupe très jeune cette année. Cela exige davantage de conseils et de directives. Exemple : contre Westerlo nous sommes menés 0-1 à la mi-temps et hués par notre public. Au repos, j’ai calmement appelé les gars à se ressaisir. Cela a payé. Nous avons finalement gagné 3-1.

Une autre raison pourrait être l’assistance que vous avez trouvée auprès d’un coach mental, le Suisse Thierry Barnerat, également actif à Servette Genève.

Oh ! Mais il y a déjà quatre ans que nous travaillons ensemble. J’ai appris à le connaître avec l’équipe nationale ivoirienne dans laquelle le coach national Ulrich Stieleke l’avait introduit en 2006. Cela a tout de suite cliqué entre nous. Il me procure des DVD et on se téléphone souvent. Après deux ans de cette collaboration, j’étais plébiscité meilleur gardien du championnat belge. En fait, il s’agit d’une idée que j’ai piquée à Didier Drogba. Depuis plusieurs années, il dispose d’un conseiller personnel. Une espèce de kinésithérapeute qui lui prodigue des conseils et des massages destinés à libérer l’énergie et à favoriser la récupération. Je n’en suis pas encore là. C’est le top. Mais tous les détails comptent.

Beaucoup de footballeurs se moquent de l’approche psychologique dans le sport et vous en faites l’apologie.

Chacun détermine ces choses pour lui-même. Un gardien est un pion particulier dans une équipe. Il est souvent isolé et doit combattre une autre sorte de stress. Un attaquant peut gaspiller dix occasions de but mais devenir malgré tout le vainqueur du match à la faveur d’un seul goal. C’est impossible pour un gardien. S’il effectue dix arrêts miraculeux mais se laisse surprendre en fin de match, il est le dindon de la farce. Une bévue peut tuer un gardien. Il faut apprendre à évacuer ces choses. Je dois me loger dans une sorte de bulle imperméable à tout ce qui se passe autour de moi.

Comment y parvenez-vous ?

L’un des DVD que je regarde souvent projette une succession de scènes d’un film sur le golf The Legend of Bagger Vance avec Will Smith. Le golf est par excellence un sport qui exige de la concentration et de la précision. Auparavant, j’étais peut-être trop vite déconcentré. A présent, je n’entends ou ne vois plus le public quand je monte sur le terrain. Franchement, je suis moi-même très étonné des progrès que j’ai réalisés dans ce domaine. Parfois même, j’éprouve du mal à sortir de ma bulle.

 » Bravo à notre président « 

Y a-t-il beaucoup de choses de changées à Lokeren par rapport à la saison passée ?

Je trouve remarquable que le président Roger Lambrecht ait tenu parole : il a beaucoup investi de son argent personnel dans le club. Dans la personne de Peter Maes, le président a engagé un vrai gagneur, quelqu’un qui va au bout de ses convictions et est capable de les transmettre au groupe. Même au terme d’une série de cinq ou six victoires, il ne lâche pas la bride et maintient la pression. Ainsi, une mentalité de gagnants est en train de se développer à Lokeren.

Maes est aussi un ancien gardien de but. Ressentez vous davantage de compréhension ou vous sentez-vous davantage observé ?

Les deux. Je sais qu’après avoir commis une faute, je ne dois pas chercher d’explication. Mais Maes ne se préoccupe pas seulement du négatif, il commente aussi les choses positives. Contre La Gantoise, par exemple, il croyait que le premier but était une petite erreur de ma part. Mais après avoir vu les images, il a reconnu que je ne pouvais guère faire quelque chose.

On vous dit sensible par rapport à la critique. L’acceptez-vous plus facilement désormais ?

La saison dernière a été assez laborieuse pour le club. Dans ce cas, un gardien de but se sent particulièrement isolé. Je pars du principe qu’on gagne ensemble et qu’on perd ensemble. Si dans le second cas on s’en prend au gardien, je trouve cela très pénible.

Salomon Kalou, attaquant à Chelsea et votre équipier en équipe nationale de Côte d’Ivoire, a déclaré au cours de la dernière Coupe du Monde qu’il était visible que vous aviez eu une campagne difficile avec Lokeren. Et que l’équipe nationale semblait vous faire du bien.

L’ambiance de l’équipe nationale n’est en rien comparable avec celle d’un club. On ne se voit qu’épisodiquement et c’est super de se retrouver. En plus, avec des Drogba, Kolo Touré et Didier Zokora, l’équipe dispose d’assez de leaders pour que je puisse un peu plus me relâcher.

Ressentez-vous dès lors la présence au club davantage comme un boulot ?

Figurer en équipe nationale, c’est également travailler. Ce ne sont pas des vacances. On défend les couleurs de son pays. Ce n’est pas rien. D’autant que j’aime aussi y représenter un peu Lokeren et la Belgique. Parmi ces stars de Manchester City, Chelsea ou Stuttgart, c’est un honneur pour moi d’entendre le speaker crier à la composition des équipes : – Barry Boubacar Copa, de Lokeren, Belgique. Je suis alors très fier.

Vous avez été désigné pour négocier le montant des primes attribuées en équipe nationale avec Didier Drogba et Kolo Touré, nous supposons que les exigences de joueurs de Chelsea diffèrent de celles d’un joueur de Lokeren.

En effet, je suis beaucoup plus exigeant ! ( il rit). Demandez donc à Drogba comment se sont déroulées les discussions lors de la dernière Coupe du Monde. Kolo et Didier estimaient que j’exagérais. Mais nous avons déjà cédé beaucoup de ces montants au profit d’£uvres de bienfaisance et de la formation des jeunes.

En dehors du football, la Côte d’Ivoire n’est pas un exemple de stabilité et de calme. Quelle est exactement la situation politique actuelle ?

Très difficile, on ne peut pas le nier. Mais je ne suis pas un homme politique. Je n’aime donc pas m’aventurer sur ce terrain. La seule chose que nous pouvons faire, nous footballeurs, c’est de procurer un sourire à nos compatriotes en prestant bien sur le terrain. C’est notre souci depuis 2002 quand la guerre civile a commencé. Par notre exemple de solidarité et d’unité dans l’équipe et les bons résultats sportifs, la population a quelque peu atténué ses divergences.

 » La situation ivoirienne est très triste « 

En résumé, la situation actuelle en Côte d’Ivoire se présente comme ceci : lors des dernières élections présidentielles en novembre 2010, le président sortant Laurent Gbagbo a été battu par son adversaire Alassane Ouattara mais il a refusé de quitter le pouvoir. Il y a eu des incidents et le pays est entré dans une impasse. Aujourd’hui, Gbagbo est toujours président malgré la pression des Nations Unies. Quels effets exerce la situation sur la vie quotidienne ?

L’impasse paralyse l’économie, ce qui provoque une importante hausse des prix des produits de consommation. Le problème réside également dans la fermeture des banques, comme la Western Union, qui rend impossibles les transferts d’argent de Belgique vers Abidjan. Comment puis-je encore venir en aide à ma famille ? Il y aura peut-être une solution prochainement. En attendant, je tente chaque jour de téléphoner pour me rendre compte de la situation. Heureusement, la plus grande partie de ma famille habite en France. Mais ceux qui sont là-bas ont peur. Il y a souvent des manifestations, des tirs et il règne un climat de banditisme parce que les gens n’ont plus d’argent pour effectuer leurs achats.

Selon votre frère, vous avez connu une jeunesse heureuse à Abidjan. En revanche, selon votre entraîneur au Stade Rennais, Patrick Rampillon, elle aurait été dure. Qui dit la vérité ?

Bof, cela dépend à quoi on compare ! Nous sommes une grande famille de huit frères et deux s£urs. Entre-temps, un frère et une s£ur sont décédés. Mais nous ne manquions de rien. Nous recevions même des cadeaux à Noël. Mon père était un homme d’affaires, ma mère s’occupait du foyer. Sans doute Rampillon faisait-il allusion à la situation politique en Côte d’Ivoire, à l’instabilité et à la violence. Ou peut-être évoquait-il mes premières années à Rennes. J’y étais seul et m’entraînais avec les Réserves. J’avais six mois pour m’affirmer. C’était dur.

A Abidjan, vous avez votre propre académie de football, Copa FC, que vous avez mise sur pied quand vous étiez vous-même encore jeune stagiaire chez Jean-Marc Guillou.

En effet ( grand sourire). Après les entraînements dispensés par Guillou je répétais ces exercices pour les jeunes de mon quartier. Je veillais aussi à amener du matériel : des ballons, des maillots, des chaussures. A l’Académie, je recevais 90 euros par mois, une somme avec laquelle on pouvait faire beaucoup à Abidjan. Après mon transfert à Rennes, j’ai cessé ces activités durant un certain temps, puis j’ai remis Copa FC en mouvement. J’ai régularisé les documents d’inscription afin que ces jeunes soient réglementairement affiliés. J’ai acquis un petit bus pour véhiculer les garçons et installé un site, www.copafc.net. Le plus difficile était de trouver un terrain de jeu. J’ai loué un emplacement au Golf Hôtel, mais depuis les élections, l’hôtel est devenu la résidence d’Alassane Ouattara et nous avons été chassés. Par conséquent, ces jeunes s’entraînent à nouveau dans le quartier où j’ai grandi, sur un terrain abominable.

A Lokeren, vous organisez également des actions au profit de Copa FC…

Oui, je vends des cartes postales, des t-shirts et autres. Parfois, les supporters de Lokeren organisent d’initiative des récoltes au profit de Copa FC. Ainsi, je peux ponctuellement leur faire parvenir de l’argent ou de la nourriture. J’ai aussi réalisé un partenariat avec Lokeren. Willy Reynders s’est déjà rendu sur place et a été charmé par le projet. Durant les vacances de Pâques, deux jeunes gardiens de but de mon Académie viendront peut-être en stage à Lokeren. D’autres sont déjà arrivés au cours des dernières années : Soro Bakary au Germinal Beerschot, Mohamed N’Diaye à Gand ou Ouattara Sekou à Beveren.

Jusqu’à vos 15 ans, vous étiez en fait un médian. Mais parce que vous étiez d’un an trop âgé à votre arrivée à l’Académie de Guillou on vous a placé dans le but. Selon votre frère aîné Thierno, éduqué à Marseille puis footballeur à Grenoble, vous auriez tout aussi bien pu faire carrière dans le jeu. A-t-il raison ?

En fait, tout le monde se moquait de moi jusqu’au moment où j’ai joué mon premier match en équipe première de l’ASEC Mimosas en Supercoupe d’Afrique en 1999. Nous avons gagné. Je ne m’explique toujours pas la prestation que j’ai réussie ce jour-là. Sans réelle expérience de gardien, j’arrêtais tout ! J’étais imbattable. Jamais, je n’ai joué un match aussi parfait. En constatant l’euphorie autour de moi, j’ai décidé de persévérer.

Ressentez-vous encore l’envie d’évoluer dans le jeu ?

Non. Comme gardien africain, j’ai fait carrière en Europe. Je considère cela comme un réel exploit. Quand je suis arrivé à Rennes c’était en tant que gardien. Que les choses soient claires. J’ai pu y bénéficier des conseils d’un monument comme Bernard Lama, ancien gardien de l’équipe de France. Son professionnalisme était exemplaire. Plus tard, je me suis frotté à Petr Cech, dont j’ai également appris. Finalement, j’ai été prêté à Beveren et transféré définitivement un an plus tard. Vous le constatez : j’ai grandi pas à pas. Tout était sans cesse nouveau pour moi. C’est pourquoi les critiques essuyées durant mes premières années m’ont blessé.

Selon votre entourage vous rêvez surtout du top en Belgique plutôt que d’autres grandes compétitions internationales. Ainsi, vous avez déjà déclaré dans une interview antérieure que vous rêvez… d’Anderlecht.

Je ne comprends pas pourquoi les clubs du top belge ne me voient pas, même si je me trouve très bien à Lokeren. C’est frustrant. Je n’ai quand même pas été plébiscité Gardien de l’Année par hasard ? Et voilà plusieurs années que je suis gardien titulaire de l’équipe de Côte d’Ivoire, qui ne réunit pas non plus que des manchots. Mais je n’en dirai pas plus.

PAR MATHIAS STOCKMANS – PHOTOS: JELLE VERMEERSCH

 » Drogba m’a appris que tous les détails comptent : je fais de la préparation mentale ! « 

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