Pourquoi je gênais

JMP a encore changé de casquette. En exclusivité, il explique sans faux fuyants pourquoi.

Le stade de Lokeren est moins glamour, moins bling-bling que la grande maison de verre (si peu transparente) de l’Union belge. Mais Jean-Marie Philips (65 ans) y a vite trouvé ses marques. Il nous y accueille quelques heures après sa prise de fonction de CEO. Et quelques semaines après son éviction de la Fédération. Aigri, l’ex-numéro 1 du foot belge ? A priori, pas du tout. Son nouveau défi à Daknam semble le passionner. Il travaille désormais au quotidien avec une forte tête de notre D1 : le président Roger Lambrecht. Deux dures caboches ensemble. Deux hommes qui ont l’habitude de crier tout haut ce que la majorité pense tout bas.  » J’ai appris à apprécier Roger Lambrecht quand j’étais président de la Ligue pro, et lui vice-président. Nous avons tous les deux une certaine franchise. Je préfère ça à des gens qui vous embrassent en vous plantant un couteau dans le dos : ça fait très mal. Lambrecht est direct et rude. Je suis moins rude mais tout aussi direct. « 

Qu’allez-vous faire pour Lokeren ?

Jean-Marie Philips : Je découvre le club, je dois voir ce qui fonctionne et ce qui ne marche pas. J’aurai beaucoup de boulot administratif et juridique. Mais je n’ai aucune responsabilité sur le plan sportif. C’est l’apanage de Roger Lambrecht, de Willy Reynders et de Peter Maes. De toute façon, tout le monde sait que je n’y connais rien en sport. (Il rigole).

C’est ironique ?

Non, c’est la réalité. Ce qui ne m’empêche pas de donner régulièrement mon avis sur les matières sportives. D’ailleurs, ce n’est pas toujours apprécié.

Vous aurez besoin de temps pour prendre vos distances par rapport à la Fédération ?

Non, c’est fait. Pour moi, c’est fini. J’ai encore reçu une série de mails de la FIFA et de l’UEFA en juillet, je les ai transmis à l’Union belge. Ce n’est pas mon style de tout garder pour moi. Je ne suis pas parti content mais je ne suis pas parti en guerre. La Fédération m’a payé ce qu’elle me devait. Il n’y a pas eu de rupture bête et brutale comme dans la chanson de Jacques Brel. Mes mandats à l’UEFA et à la FIFA viennent même d’être prolongés pour deux ans. Je les honorerai, sauf si on m’en empêche.

Tué pour une photo

Quand on passe du top de la Fédération à un petit club comme Lokeren, on n’a pas l’impression de passer du grenier à la cave ?

Non, c’est ce que les gens peuvent penser mais je ne vois pas les choses comme ça. La première question à se poser est celle-ci : vous laisse-t-on travailler quand vous êtes au sommet de la Fédération ? Je n’ai pas toujours eu l’impression de travailler comme j’aurais dû ou pu le faire. Le comité stratégique avait décidé, il y a quelques années, de nommer un CEO avec les pouvoirs d’un véritable directeur général. Mais je ne les ai jamais eus. Et je gênais. Je constate que depuis mon départ, il y a déjà eu un virage à 180 degrés. L’Union belge va maintenant travailler avec un secrétaire général dont le contrat stipulera explicitement qu’il ne sera qu’un simple exécutant. Est-ce que mon licenciement était destiné à permettre cette nouvelle construction ?

Quel type de contrat aviez-vous à l’Union belge ?

Un contrat qui est devenu à durée indéterminée en avril de cette année, avec des indemnités de licenciement fixées dès le départ. Je suis assez prévoyant.

Après votre C4, vous n’avez pas envisagé de partir à la retraite ?

Jamais. Je ne sais rien faire. Je ne jardine pas, je ne bricole pas, je ne cuisine pas. Si je reste à la maison, on divorce dans deux jours.

Quand ont commencé vos problèmes à la Fédération ?

Le départ a été la fameuse interview que je vous ai donnée, et surtout la photo où je tiens une batte de base-ball, en plus dans le couloir où il y a les posters des anciens présidents de l’Union belge. Tous mes problèmes sont partis de là. Cette photo ne devait pas paraître. Elle donnait l’impression que je voulais assommer la Fédération entière et ça a fait mal à beaucoup de personnes, en particulier à De Keersmaecker. Trois jours après la sortie de l’article, un comité extraordinaire se réunissait et prenait une première décision : interdiction pour moi de partir en mission en Chine dans le cadre de la préparation des Jeux olympiques. On m’a aussi dit : -Maintenant, tu te tais, tu exécutes. On ne m’a plus beaucoup entendu après cela. On a méchamment limité mes pouvoirs. Je ne dirais pas que la presse a cassé ma carrière en publiant cette photo qui devait être la vingtième du shooting, mais…

Pris en grippe par Advocaat

Vous trouviez normal que Dick Advocaat vous attaque personnellement dans sa première conférence de presse ?

Il pouvait m’attaquer. A condition qu’il y ait des gens de la Fédération pour me défendre. Ce qu’il n’y a pas eu. C’est un des épisodes à l’Union belge dans lesquels je n’ai pas été soutenu. Mais je ne sais même pas d’où venait le problème d’Advocaat par rapport à moi. J’avais simplement dit qu’on n’avait pas assez d’argent pour payer son contrat. Tout le monde pensait qu’il était impayable pour la Belgique, j’ai été le malheureux qui a osé le dire et on me l’a reproché. Mais je n’ai jamais remis ses qualités en question.

Vous étiez contre la prolongation de René Vandereycken, contre l’engagement de Frankie Vercauteren comme adjoint, contre la venue d’Advocaat : on ne vous a pas reproché de ne vouloir aucun entraîneur ?

Je ne votais pas, je n’étais qu’un greffier mais ça ne m’empêchait pas de dire ce que je pensais, ou au moins de le montrer. On voit comment ça a fini avec Vandereycken. Un duo Vercauteren-Vandereycken sur le banc, je trouvais ça assez particulier. Deux personnalités pareilles… Et pour Advocaat, je suis allé le rencontrer avec Philippe Collin à Saint-Pétersbourg : je répète que je n’avais pas de doutes sur ses compétences sportives. Par contre, j’avais ma philosophie sur la durée des contrats, une philosophie qui n’était pas celle de la Fédération. Je suis pour des contrats qui expirent à la fin de l’année civile, et qu’on prolonge automatiquement de six mois en cas de qualification pour l’EURO ou la Coupe du Monde. En donnant des contrats qui se terminent en été, on prend le risque de payer pendant six mois un entraîneur qui ne fait plus rien si les Diables ne sont pas qualifiés et si on décide de ne plus faire la campagne suivante avec le même coach. Il faut alors en payer deux. J’ai obtenu ça avec Vandereycken, Vercauteren et Advocaat, puis ça a de nouveau changé avec Georges Leekens.

Vous aviez souvent l’impression d’être seul contre tous ?

Je ne pense pas que j’étais seul contre tous mais j’étais le seul à oser dire ce que je pensais. Je crois que beaucoup d’autres personnes avaient le même raisonnement que moi.

Le cumul Diables/AZ interdit noir sur blanc

Vous sentiez depuis longtemps qu’Advocaat ne serait plus là pour le début des qualifications ?

Non. Au tirage au sort des groupes éliminatoires pour l’EURO, en Pologne, je l’ai vu discuter avec le président de la Fédération russe, qui avait été son président à Saint-Pétersbourg. Mais pour moi, il n’y avait rien de louche.

Mais les nouvelles qui arrivaient de Russie semblaient confirmer qu’il allait vous quitter.

Moi, je n’avais aucun contact avec Advocaat. Pas plus qu’avec la commission technique. C’est une chasse gardée de De Keersmaecker et de Collin.

Vous souhaitiez avoir des contacts avec le département sportif ?

J’estime que c’est la moindre des choses pour un directeur général. Ne pas vouloir se parler alors qu’on est dans la même maison, ce n’est pas normal.

Advocaat dit qu’il n’avait même pas de bureau.

Il estimait qu’il n’avait qu’une arrière-cuisine. Moi, j’avais une salle de bal mais je n’allais pas la couper en deux pour lui faire plaisir. Surtout pour les rares fois où il venait à la Fédération. Et on le voyait encore moins après sa signature à l’AZ Alkmaar.

Ce cumul aussi était inacceptable.

C’était acceptable puisque ça a été accepté ! De Keersmaecker et Collin voulaient absolument garder cet extraterrestre et ont donc fait la concession du cumul.

Vous vous y êtes opposé ?

Même pas puisque je n’avais pas les compétences pour intervenir dans ce dossier. Le CEO n’avait rien à dire puisque c’était du sport. Toujours ce cloisonnement total.

Vous étiez au moins au courant que le contrat d’Advocaat autorisait le cumul avec un club ?

Vous êtes mal informé : son contrat lui interdisait de travailler pour un autre employeur. L’article 2 disait :  » L’entraîneur fédéral consacre l’entièreté de son temps à l’équipe nationale belge.  » Mais De Keersmaecker et Collin ont réussi à vendre le cumul au comité exécutif, qui l’a accepté.

Advocaat venait-il aux réunions de la commission technique ?

Jamais. Vandereycken, lui, y a encore assisté. Mais il nous a vite fatigués parce qu’il voulait toujours nous prouver par A + B que nos défaites étaient grandioses…

Silence svp !

Quel est le rôle exact du président ?

C’est un grand travailleur, un excellent juriste qui connaît parfaitement le règlement et ses dossiers. Moi aussi, j’ai une formation de juriste. Et dans le milieu des avocats – un métier que j’ai pratiqué et que De Keersaecker pratique toujours -, il y a surtout des individualistes. Un avocat ne demande pas 50 avis autour de lui : il a le sien et il s’y tient. Sur certains dossiers, nous pensions tous les deux avoir la solution. Mais ce n’était pas toujours la même. Il fallait encore savoir qui avait la décision finale : le président De Keersmaecker ou le directeur général Philips ? Et là, il y a eu pas mal de discussions. Parfois, il répondait blanc à un courrier dont j’avais reçu la copie, alors que moi je répondais noir. Nous nous mettions mutuellement en difficulté.

Chacun avait aussi l’ambition de se profiler personnellement ?

Tout le monde me connaît, on sait que je ne suis pas de nature à rester dans l’ombre. Je ne sais pas si le président a envie de se cantonner dans les coulisses. Est-ce que je posais un problème en apparaissant trop, en étant trop bavard ? Sans doute que je parlais trop. Mais j’ai toujours joué la transparence, sans jamais trahir des secrets. J’estimais simplement que tout le monde avait le droit de connaître les vérités et les décisions prises. Quand Herman Wijnants, qui représente la Ligue professionnelle, lâche maintenant dans la presse qu’il n’a pas l’autorisation de s’exprimer, je me pose vraiment des questions.

On vous a reproché d’être trop souvent sur le devant de la scène, dans les journaux et à la télévision ?

A mots couverts, oui.

De Keersmaecker est plus ambitieux qu’il le laisse croire ?

Je ne réponds pas. Quand nous avons négocié mon départ, je me suis engagé à ne critiquer ni le fonctionnement de la Fédération, ni les personnes. On a d’abord voulu m’imposer une obligation de silence. J’ai dit que ça, ce n’était pas possible. On a alors trouvé une autre solution : je continuerai à parler mais je m’abstiendrai de critiquer. Donc, je fais attention. Je n’ai pas envie de devoir rembourser des indemnités que j’ai déjà dépensées en partie… (Il rit).

Finalement, qui est le vrai président de la Fédération : De Keermaecker ou Collin ?

Le seul fait de poser la question veut dire qu’il y a un problème… Ils s’entendent très bien, disons ça comme ça. Ne me mettez pas en difficulté.

Vous êtes encore allé en Afrique du Sud pour le congrès de la FIFA, la veille de l’ouverture de la Coupe du Monde. Vous saviez à ce moment-là que vous viviez vos dernières heures à la Fédération ?

Absolument pas. Nous avons passé une semaine ensemble là-bas et il n’a jamais été question de mon licenciement. Nous avons mangé et bu ensemble, je me suis même retrouvé dans la chambre du président pour lui régler son wifi… Nous avons assisté au congrès où j’ai pris la parole pour demander des éclaircissements sur les droits TV à l’UEFA. Je me suis comporté comme un dirigeant fédéral et on ne m’a jamais rappelé à l’ordre. Nous sommes rentrés en Belgique le dimanche matin et on m’a annoncé le mardi après-midi que j’étais dehors. Evidemment, j’ai été surpris. Vous passez huit jours en copains ou presque avec deux hommes, puis ils vous annoncent subitement : -C’est fini, la porte est là. En fait, c’est Roger Lambrecht qui m’a mis au courant le mardi matin que j’allais être licencié. Et il m’a directement proposé de venir travailler à Lokeren. Je ne suis pas resté une heure sans boulot !

Vous n’avez pas essayé de les faire changer d’avis ?

Dire  » Non non non, s’il vous plaît, je veux rester, gardez-moi  » ? C’est mal me connaître. Quand c’est cassé, c’est cassé. J’aurais encore compris qu’on m’annonce que je devais partir prochainement parce que j’allais avoir 65 ans, j’aurais trouvé logique de former un successeur. Mais là, j’ai dû vider mon bureau alors qu’il n’y a aucune alternative. Il faut maintenant voir quelle va être la réaction de la Ligue pro, qui avait justement plaidé pour une approche plus professionnelle au sommet de la Fédération, pour un CEO avec des responsabilités très étendues.

L’affaire Charleroi

Si une place se libère au comité exécutif, vous serez candidat ?

Bien sûr. Mais ça ne veut pas dire que je serais élu.

Ce serait quand même bizarre !

Pour moi, non. Pour eux, peut-être… Je serais alors assis juste en face du président, de Philippe Collin et du trésorier, en tant que nouvel arrivé. C’est comme ça, on tourne en fonction de l’ancienneté et le plus ancien finit à la droite de dieu le père… Mais je n’irais pas là-bas avec un esprit revanchard. J’irai à la Ligue pro pour défendre les intérêts de Lokeren, et j’irais au comité exécutif pour défendre les intérêts de la Ligue pro.

L’affaire des arrangements avec Charleroi la saison dernière n’a-t-elle pas achevé de compliquer les relations entre les patrons de l’Union belge ?

Les demandes de Charleroi ( NDLR, qualification d’Ederson, report de la suspension d’Habib Habibou) étaient antiréglementaires mais légitimes à partir du moment où le club mettait de la bonne volonté pour sortir de l’impasse du calendrier. Le conseil d’administration a voté pour ces compensations. La voix du président a été prépondérante puisqu’il y avait ballottage. Moi, je ne votais pas mais j’ai dit que j’étais contre les arrangements puisqu’on bafouait les règlements. Le règlement fédéral, c’est ma bible. Que ça arrange Anderlecht ou Bruges, que ça dérange Charleroi ou le Cercle, je ne veux rien savoir. Il faut respecter les règles écrites.

Le président juriste qui accepte des décisions antiréglementaires, c’est étonnant !

Ne me faites pas critiquer…

par pierre danvoye et peter t’kint

« Je ne suis pas parti content mais je ne suis pas parti en guerre.  »

« La commission technique. C’est une chasse gardée de Collin et De Keersmaecker. « 

« Lambrecht et moi avons une certaine franchise. Je préfère ça à des gens qui vous embrassent en vous plantant un couteau dans le dos : ça fait mal. « 

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