Pourquoi Elji Kawashima a retrouvé la cote Zéro

Parfois discuté la saison passée, le gardien japonais est invaincu depuis le début du championnat : il vit une belle transfiguration populaire el sportive.

Le pays de Sclessin fournit depuis toujours des gardiens de buts prêts à offrir leur dernier souffle de vie pour leurs couleurs. L’histoire de leur terre, carrefour des civilisations, est riche de guerres, de résistances, d’occupations, de révolutions, de libérations. Liège outragé, Liège brisé, Liège martyrisé mais Liège régulièrement libéré en s’appuyant sur ses derniers remparts. A ce jeu-là, Jean Nicolay, ChristianPiot, Michel Preud’homme, Gilbert Bodart, Vedran Runje et Sinan Bolat, hommes d’exploits, parfois de drames sportifs et humains, ont largement mérité leur place au Panthéon de l’histoire du Standard.

Pour les autres, les inévitables comparaisons sont souvent cruelles.  » Oui, c’est vrai mais je rappelle que le Standard a été champion avec Aragon Espinoza « , souligne Renaud Demany, président du PHK. Le plus grand exploit de l’Equatorien est synonyme de ce plongeon dans la Meuse pour fêter le titre en 2008.  » Mais il était protégé par une grande défense « , prolonge Demany. La saison passée, EijiKawashima a de temps en temps bu la tasse. Le public a évidemment noté les hésitations et incertitudes du dieu vivant nippon. Il encaissa 33 buts lors de la phase classique (4e défense de D1) et 17 à l’occasion des PO1, 6 de + qu’Anderlecht et 5 de + que Genk.

A Lokeren, une de ses sorties aériennes ratées fut à la base de la défaite des siens (4-1) en PO1. Mircea Rednic n’affirma pas grand-chose ce jour-là mais son sourire en disait beaucoup quand on lui parlait de Bolat. Le T1 roumain aurait préféré aligner le portier belgo-turc. Le public rêvait du retour de son idole chauve. Roland Duchâtelet, lui, lassé par le  » non-transfert  » de Bolat, longtemps blessé, vers l’Angleterre, ou ailleurs, le raya définitivement de la carte en janvier. Un hara-kiri à la belge. Les supporters n’ont pas compris cette décision et le dialogue s’est fait sur le dos de Kawashima : la polémique le dépassait.

 » C’est exact : son manque d’autorité a apporté de l’eau à notre moulin « , continue Demany.  » Nous n’avons jamais critiqué l’homme, correct et même très gentil, mais bien ses prestations sur le terrain. Pour nous, il incarnait, involontairement, la politique sportive du Standard qui ne nous convenait pas. Eiji commettait des erreurs et nous aurions préféré que le jeune Anthony Morris joue à sa place. Morris n’a pas eu sa chance alors qu’il aurait pu apprendre son métier. Au Standard, le public réagit au quart de tour, vit les matches et les événements à fond, dit et chante ce qu’il a sur le coeur.  »

En incendiant de temps en temps Kawashima, les supporters critiquaient d’abord Duchâtelet dont les options semblaient plus commerciales que sportives. Une fameuse difficulté supplémentaire pour le Japonais.  » Il faut le dire : Eiji n’a pas gagné beaucoup de points pour nous la saison passée « , ajoute Demany.  » Ce gardien a du métier mais on ne passe pas sans difficultés du Lierse au Standard. Sclessin, c’est une autre planète. A mon avis, il a eu besoin d’un an pour trouver ses marques. La défense est désormais en place et on devine que le dialogue n’y pose plus le moindre problème. Nous apprécions et on n’en fait pas un secret.  »

L’apport de Jos Beckx

Figure fidèle et sympathique du club des supporters des Red Champions, Nadine Descendre abonde dans le même sens :  » Il faut le féliciter pour sa ténacité. D’autres auraient laissé tomber les bras alors que le public scandait le même refrain : – Bolat, Bolat, Bolat. Cette fois, ses réponses sont claires et nettes. Il peut s’appuyer sur une grande défense qui compte le meilleur arrière central de D1, Kanu. On parle beaucoup de nos attaquants, et à juste titre, mais le Standard n’encaisse plus de buts et, sans l’égaler car c’est impossible, elle rappelle celle de René Hauss des années 70. Kawashima se bat chaque fois comme un forcené pour préserver ses filets. Maintenant, il gagne des matches. C’est pour cela que le public l’apprécie, l’encourage sans pour autant en faire sa coqueluche. Il y a eu un déclic mental, il veut réussir sa saison pour prendre part à la Coupe du Monde avec le Japon. Mais, au-delà de cet aspect psychologique, un tel retour s’explique d’abord, selon moi, par une remise en question et beaucoup de travail.  »

Après avoir bossé un an avec Eric Deleu, Kawashima a fait la connaissance d’un autre entraîneur des gardiens de but, Jos Beckx. C’est une grosse pointure dans son métier car il a largement contribué à la formation de Thibaut Courtois, SimonMignolet et Koen Casteels, entre autres. Beckx a étudié attentivement les derniers matches d’Eiji dans la cage de l’équipe nationale du Japon. Il a alterné le bon et le moins bon à l’occasion de la récente Coupe des Confédérations au Brésil. Beckx s’est appuyé sur des programmes informatiques pour analyser tous les matches de championnat du Japonais pour le compte du Standard. Cela lui a donné une masse d’informations sur la façon dont Kawashima gère les sorties, le trafic aérien, les phases arrêtées comme les corners, le jeu au pied, etc.

 » Je ne citerai ni les atouts ni les points faibles de Kawashima « , précise d’emblée Beckx.  » Nous avons parlé de tout cela, de ce qui devait être fait dans le travail au quotidien. Eiji est un énorme travailleur. On n’est pas un gardien durant 90 minutes et puis terminé jusqu’au prochain match. Non, pour atteindre le top, on est gardien de but 24 h sur 24, 7 jours sur 7. Tous les détails comptent, comme son régime alimentaire par exemple. Au début, Eiji s’est demandé si les changements à l’entraînement lui convenaient. Puis, petit à petit, il s’est rendu compte que cela fonctionnait avec, à la clef, des résultats probants sur le terrain. Il se sent bien. Au Standard, on bénéficie aussi d’un outil de travail exceptionnel. Tous les gardiens, que ce soit Kawashima Yohann Thuram, Moris ou Guillaume Hubert, sont de gros bosseurs.  »

Peut-on comparer des gardiens de but ?  » C’est impossible « , rétorque Beckx  » Mignolet et Courtois sont différents l’un de l’autre mais ils ont atteint tous les deux le top européen, même mondial. On vit un truc formidable avec Kawashima et je suis certain que ce n’est qu’un début. Le premier but qu’il encaissera en championnat ne le déstabilisera pas, au contraire.  »

PAR PIERRE BILIC

 » Pour atteindre le top, on est gardien de but 24 h sur 24, 7 jours sur 7.  » (Jos Beckx, entraîneur des gardiens du Standard)

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