POURQUOI ça foire ?

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Le directeur technique explique pourquoi les Zèbres déçoivent depuis 10 ans.

Saison 1992-1993 : Charleroi termine sixième et joue la finale de la Coupe de Belgique. Saison 1993-1994 : quatrième place finale (qualification pour l’UEFA) et quart de finale de Coupe de Belgique. Tout cela avec Robert Waseige.

Et depuis ? Que des malheurs, ou presque. Au cours des 10 dernières saisons, le Sporting n’a terminé que deux fois dans la colonne de gauche. A deux reprises, il a sauvé sa peau lors de la toute dernière journée. Et la Coupe de Belgique ne lui a valu que des désillusions, avec un interminable enchaînement d’éliminations dès le premier tour.

Raymond Mommens est bien placé pour analyser ce parcours chaotique. Depuis 1986, il a vécu presque sans interruption au rythme des Zèbres. Il fut joueur à Charleroi de 1986 à 1997, ensuite directeur technique, entraîneur, et à nouveau DT. Il ne fut infidèle à ce club que pendant deux petites années (de mars 2000 à janvier 2002). Il répond à nos tentatives d’explication de la chute en enfer.

1994-1995 : 13e

Georges Leekens avait-il suffisamment d’atouts pour remplacer le monument qu’était devenu Robert Waseige à Charleroi ?

Raymond Mommens : La sauce n’a jamais pris. Je ne remets pas en question les qualités d’entraîneur de Georges Leekens. Il a suffisamment prouvé, avant et après son séjour à Charleroi, qu’il était un tout bon entraîneur. Mais sans doute pas pour ce club. Il y avait incompatibilité. Son premier tort a été d’amener lui-même quelques joueurs : Franky Frans, Didier Frenay, Ivan Desloover, Graham Arnold. Il les a titularisés, au détriment des joueurs qui avaient participé aux deux saisons dorées avec Waseige. Le club n’a pas compris qu’il était très dangereux de donner beaucoup de pouvoir sportif à un entraîneur. En Belgique, on n’a toujours pas saisi qu’un coach n’était qu’un homme de passage. Il n’y avait plus d’équilibre dans l’équipe de Leekens, et des clans s’étaient formés. Les titulaires écartés ne digéraient pas leur nouveau statut. L’ambiance n’avait plus rien de comparable avec ce que nous avions vécu au cours des deux années précédentes. Leekens a aussi voulu imposer le 5-3-2 au lieu du sacro-saint 4-4-2 de Waseige. Les cinq défenseurs devaient balancer de longs ballons vers l’avant, l’entrejeu n’existait plus.

1995-1996 : 7e

Le Sporting s’est retrouvé cette saison-là avec Luka Peruzovic et a lutté pour une qualification européenne jusqu’à la dernière journée : comment expliquez-vous ce revirement ?

Luka Peruzovic est un des meilleurs entraîneurs que j’aie connus pendant mes 22 ans de carrière. Il avait un impact incroyable sur son groupe, plaçait parfaitement ses pions sur le terrain et composait un mélange idéal de physique et de football. Par rapport à Leekens, il avait aussi le gros avantage de connaître la maison et la région, puisqu’il y était déjà passé au début des années 90. Il a fait le grand nettoyage dans le noyau, en écartant notamment les protégés de Leekens.

1996-1997 : 13e

Toujours avec Peruzovic, vous ne vous êtes sauvés qu’à deux journées de la fin. L’explication, c’étaient les départs de Jean-Jacques Missé Missé, Fabrice Silvagni, Eric Van Meir et Edi Krncevic ?

L’équipe a en effet été décapitée. Ces joueurs ont été remplacés par des hommes qui avaient moins de qualités, cela sautait aux yeux. Le niveau du noyau était en baisse, et le niveau de l’entourage aussi ! On commençait à parler de dettes, le club a dû vendre ses business seats à la Ville. Il n’était plus possible d’offrir de très bons contrats. On sentait déjà que Jean Pol Spaute perdait peu à peu le pouvoir. En montrant qu’il cherchait des solutions à l’extérieur, il laissait sentir que la fin de son règne s’amorçait.

1997-1998 : 13e

On a assisté, durant l’été 1997, à la phase finale de la mise à mort de la belle équipe des saisons 1992-1993 et 1993-1994. Marco Casto, Michel Rasquin, Olivier Suray, Tibor Balog, vous-même : trop de départs simultanés pour un club comme Charleroi, non ?

Certainement. C’est à ce moment-là que l’arrêt Bosman a vraiment frappé le Sporting. Gaston Colson a un jour déclaré que la plus grosse erreur de sa carrière de dirigeant avait été de ne pas croire en un arrêt Bosman. Du jour au lendemain, il s’est retrouvé avec le couteau sur la gorge.

Waseige, qui entamait son deuxième séjour à Charleroi, avait-il toujours la même flamme ?

Non. Son discours ne passait plus aussi bien. J’étais devenu directeur technique et nous n’avons jamais collaboré parce qu’il ne le souhaitait pas. Il fuyait le contact. En fait, il rêvait depuis longtemps d’occuper un poste comme le mien dans un club comme Charleroi, et il râlait certainement de ne pas l’avoir obtenu.

Pourquoi n’a-t-il plus eu le même impact que lors de son premier passage ?

Attention : les résultats inespérés du début des années 90 auraient pu être atteints avec beaucoup d’autres entraîneurs. L’explication principale, ce n’était pas le coach mais l’immense talent qu’il y avait dans cette équipe. Il y avait un entraîneur sur le banc et 11 autres sur le terrain. De vraies personnalités. Istvan Gulyas, Cedo Janevski, Olivier Suray, Rudy Moury, Pär Zetterberg, Eric Van Meir, moi-même, Dante Brogno, Neba Malbasa. Il n’y avait aucun point faible dans cette équipe. Il était presque impossible de ne pas faire de bons résultats avec un groupe pareil.

1998-1999 : 14e

Les problèmes extra-sportifs continuaient à prendre de l’ampleur : l’équipe pouvait-elle être efficace dans de telles conditions de travail ?

Difficilement. Ça explosait de tous les côtés. Le club était sur un volcan. Il y avait une pression infernale sur Jean Pol Spaute et on sentait qu’il y avait du changement dans l’air. Pour les joueurs, ce n’était pas évident.

Gaston Colson est parti dès cette saison-là : une grosse perte ?

Enorme. Colson est un personnage extraordinaire. Tenir aussi longtemps dans un club pareil, il fallait le faire. Il n’y a pas plus honnête que lui. Quand il était là, il n’y avait jamais un jour de retard dans le paiement des salaires. Il était aussi le confident des joueurs. Il formait un duo parfaitement complémentaire avec Jean Pol Spaute. On parlait finances avec l’un, football avec l’autre.

1999-2000 : 16e

Trois présidents et trois entraîneurs (dont vous-même) en une saison : dans la coulisse, c’était plus torride que jamais !

Mon année la plus noire à Charleroi… La Ville a obligé Jean Pol Spaute à quitter la présidence. Luc Frère, qui l’a remplacé, m’a appelé pour me dire que Peruzovic allait être viré. Je lui ai répondu : -Ça ne va pas, non ? Frère est allé plus loin : -On éjecte Luka et c’est toi qui le remplaces. C’est ça ou rien. Je ne voulais pas quitter mon poste de directeur technique mais j’ai compris que, si je voulais rester dans le club, je devais en devenir l’entraîneur. Je n’étais pas motivé, pas préparé, ce n’était pas mon choix. Je n’aurais jamais dû accepter. J’ai commis, ce jour-là, la plus grosse erreur de ma vie. Quelques semaines plus tard, en arrivant au stade pour le match, Luc Frère attendait notre bus… en compagnie de Manu Ferrera. J’avais compris : on allait me faire sauter. La totale !

Cette saison-là, il y eut aussi la saga Mandaric qui a tenu toute la ville en haleine.

Je suis persuadé que la Ville travaillait de son côté à une autre solution : la venue d’Enzo Scifo. Il a été intronisé en décembre 1999 mais je crois savoir que les négociations étaient en cours depuis un bon bout de temps. Dans le plus grand secret.

Le Sporting ne s’est sauvé que lors de la toute dernière journée : logique ?

Je ne vois pas comment les joueurs auraient pu faire pour se concentrer sur leur football. Le sportif passait vraiment au second plan. Ils voyaient défiler les entraîneurs et les présidents, ils n’avaient plus aucun repère.

2000-2001 : 9e

Charleroi a de nouveau terminé dans la première moitié du classement, mais au moment du limogeage de Manu Ferrera, l’équipe était carrément dans le Top 5. Abbas Bayat n’a-t-il pas commis sa première gaffe quand il l’a mis dehors ?

Je n’étais plus au Sporting à l’époque. Mais je crois savoir qu’il y avait entre eux des problèmes de communication insolubles.

Enzo Scifo comme entraîneur, était-ce la bonne solution ?

Pour moi, non. Scifo a commis la même erreur que moi en acceptant ce boulot. Toute la crédibilité dont il bénéficiait dans la région s’est effondrée quand son équipe a commencé à avoir des problèmes.

La première année d’Abbas Bayat à la présidence s’est clôturée par un déficit record.

Quand je suis revenu au club, en 2002, j’ai fait des bonds en voyant les contrats. Il y avait 58 joueurs sous contrat, dont 35 professionnels ! On a jeté l’argent par les fenêtres. Le président a fait confiance au duo Scifo-Gallinella mais cela lui a coûté très cher. C’était carrément la folie des grandeurs à Charleroi.

Un homme qui a fait ses preuves dans les affaires a-t-il le droit de déléguer comme cela à des novices ?

Il a fait confiance et les joueurs en ont bien profité. La masse salariale était complètement déraisonnable.

2001-2002 : 12e

Les problèmes financiers ne faisaient qu’empirer, le Sporting n’a obtenu sa licence qu’in extremis, on parlait de disparition pure et simple. Terminer à la 12e place dans ces conditions, c’était un petit exploit, non ?

Ce fut de nouveau une saison très compliquée pour les joueurs. Ils n’avaient pas de repères. Scifo était à la fois entraîneur, actionnaire et vice-président : ils ne savaient pas avec quels yeux ils devaient le regarder. En tout cas, j’ai toujours été sûr d’une chose : le Sporting n’allait pas disparaître.

2002-2003 : 16e

Confier l’équipe Première d’un club aussi instable à un jeune comme Etienne Delangre, n’était-ce pas une erreur ?

J’ai côtoyé Delangre pendant… une heure. Charleroi m’a réembauché, j’ai croisé Delangre dès que je suis arrivé au stade et nous avons convenu d’aller manger ensemble. Au moment de passer à table, il était viré ! C’était un jeune entraîneur qui promettait. Je pense simplement qu’il n’a pas eu de chance, que la sauce n’a pas voulu prendre. Dante Brogno a pris sa place en ayant la chance de connaître le club sur le bout des doigts.

2003-2004 : 15e

Tout le monde savait avant la saison que le Sporting n’avait pas assez d’attaquants de niveau mais le président n’a pas voulu transférer : une erreur ?

Il faut se souvenir du contexte. Le club a été menacé de faillite jusqu’en août et la licence n’a été obtenue que d’extrême justesse. Tenter ce pari, c’était le seul choix.

Associer Robert Waseige à des ennemis d’hier (Dante Brogno, vous-même), n’était-ce pas une nouvelle erreur de casting du président ?

Tout le monde, dans le staff, avait promis de mettre de l’eau dans son vin. Et tout le monde l’a fait… sauf Waseige. Il a directement mis l’accent sur l’extra-sportif et ne pensait qu’à sa propre image. Il voyait des fantômes partout et avait l’impression que tout le monde parlait de lui. Les joueurs ressentaient sa nervosité et ses angoisses. Il a aussi fait quelques choix sportifs très, très surprenants. Laurent Macquet, qui avait été la révélation du deuxième tour en 2002-2003, a disparu du jour au lendemain. Comme s’il avait perdu tout son football. Loris Reina, titulaire tout au long du premier tour 2003-2004, quand Charleroi avait une des meilleures défenses de D1, a aussi sauté de façon incompréhensible. Giovanni Cacciatore a également été éjecté après quelques bonnes montées au jeu. Il n’avait même plus le droit de jouer en Réserve. Stéphane Ghislain, un pur défenseur central, s’est retrouvé ailier gauche. Je ne sais pas si c’était du suicide, mais je n’ai plus jamais reconnu le Waseige du début des années 90.

Et maintenant ?

Que peut-on espérer du Sporting dans les prochains mois ?

En matière de recrutement, j’ai payé les pots cassés. Maintenant, le nettoyage de l’écurie est terminé. En un an et demi, nous avons placé ailleurs une vingtaine de joueurs qui étaient sous contrat chez nous. Miklos Lendvai est le dernier en date. Il y a une bonne base, avec notamment un axe central qui a prouvé ce qu’il avait dans le ventre : Bertrand Laquait, Ibrahim Kargbo, Laurent Macquet, Adekanmi Olufade. Autour d’eux, nous avons de bons jeunes comme Thibaut Detal, Mahamoudou Kéré ou Majid Oulmers. Tout est là pour faire quelque chose de bien ! Il faut que Charleroi devienne enfin une valeur sûre de la D1, un peu en retrait d’Anderlecht, du Standard, de Bruges et de Genk.

Pierre Danvoye

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