Pourquoi ça coince

Plus d’argent, plus de profs : le  » plan Dupont  » suffira-t-il à endiguer la spirale infernale entre  » privilégiés  » et pauvres  » ? Certains en doutent.

Tout le monde l’accorde : d’une certaine manière, l’encadrement différencié est une réelle avancée. Cette fois, la logique est  » donner mieux à ceux qui ont moins « , plutôt que de  » donner plus à ceux qui ont moins « . A discuter avec les acteurs du terrain, les professionnels de l’éducation, financer les écoles selon leurs besoins et leurs publics, c’est le menu 3-étoiles. Oui, mais voilà, la préparation de la nouvelle recette et ses ingrédients révèlent en réalité les maladies chroniques qui grippent notre école. Aperçu.

La pénurie de profs

On le sait, être prof, ça n’emballe plus vraiment les jeunes. Au métier colle une image (fondée ou non) d’une profession à risques, aux conditions de travail dégradées. La stabilité de l’emploi ? La fiche de paie ? A leurs yeux, ce ne sont pas des arguments. Cette crise des vocations surgit en tout cas au plus mauvais moment. D’après les estimations de l’administration, on manque d’instituteurs primaires, de profs de langues, de sciences, de maths, de pratique professionnelle… Pas facile de dresser des bilans. Un rapport, daté de 2006, stipule pourtant que, en raison des départs à la retraite, près d’un quart des effectifs devront être remplacés en 2011. Les futurs enseignants n’y suffiront pas. Parce que tous n’atterriront pas dans une classe. Et parce qu’une fois dedans il faudra les retenir : au bout de cinq ans, la moitié d’entre eux prennent leurs cliques et leurs claques.

La pénurie est bien plus forte dans les écoles en discrimination positive

La mobilité y est aussi plus grande. Les profs ne sont pas assez formés, s’y cassent les dents et désertent dès qu’ils le peuvent, bouleversant à chaque rentrée scolaire les troupes. Marie, 25 ans, a préféré se faire engager ailleurs. Institutrice depuis trois ans dans une école en discrimination positive, la jeune femme avoue qu’elle n’était pas préparée à exercer quatre métiers à la fois :  » J’étais aussi gendarme, éducatrice et assistante sociale. « 

Or la stabilité des équipes pédagogiques demeure l’une des clés de la qualité de l’enseignement. Cette fuite en avant, les élèves la paient cash.  » Ici, il nous faut les meilleurs, les plus chevronnés, les plus expérimentés, des profs dont les compétences collent aux besoins concrets de nos élèves, comme la remédiation et le français langues étrangères : je les trouve où, moi ?  » interroge le préfet d’un athénée classé en discrimination positive. Où 92 % des élèves viennent de milieux défavorisés. Où la moyenne d’âge des enseignants dépasse à peine 30 ans. Car c’est aussi dans les écoles  » en difficulté  » que l’on rencontre les plus jeunes profs.

Des profs au profil plutôt  » hybride « 

Faute de candidats, et sous peine de voir le cours suspendu parfois durant de très longues semaines, voire des mois, l’établissement peut recruter des personnes qui n’ont pas le titre requis pour enseigner, c’est-à-dire sans aucune formation pédagogique. Un traducteur-interprète peut enseigner le néerlandais, par exemple.

Les spécialistes de l’éducation pointent un autre indice inquiétant, disent-ils : en raison de la pénurie de profs, le nombre de dérogations aux titres requis est en augmentation. Ainsi Frédérique, 29 ans, issue de journalisme, bricole-t-elle sa méthode pédagogique sur le tas, au jour le jour. Depuis deux ans, elle effectue des remplacements dans le secondaire supérieur, en français, histoire et morale. Son bagage : quelques cours théoriques et uneà semaine face à une classe lors de son agrégation décrochée lors de sa maîtrise à l’ULB.

Plus inquiétant encore : on en compte nettement plus dans les écoles en discrimination positive.  » Sans doute estime-t-on que, pour ces élèves, tout candidat enseignant sera toujours bon « , lâche Yvonne Charlier, du mouvement Changement pour l’égalité.

Ça marche, ce traitement de  » faveur  » ?

En d’autres termes, les résultats sont-ils à la hauteur ? Jusqu’ici, les effets de la discrimination positive sur le terrain n’ont jamais été évalués. Impossible donc à chiffrer avec précision. En tout cas, le bilan est plus que mitigé : pas assez de moyens, pas assez d’écoles reconnues, trop stigmatisant. Mais, en dix ans, la discrimination positive est loin d’avoir comblé le fossé entre les écoles d’en haut et celles d’en bas. Comme l’épinglent régulièrement les évaluations externes et autres enquêtes Pisa : nos bons élèves sont très, très bons ; nos mauvais élèves, très, très mauvais. Rappel : aux tests Pisa, les scores des élèves bien moins nantis en maths étaient inférieurs de 126 points à ceux de leurs camarades  » privilégiés « .  » L’écart ne se réduit pas, alors que la situation économique s’est dégradée. C’est plutôt alarmant « , déclare André Rea, professeur de sociologie à l’ULB.

Autre signe : le redoublement. Celui-ci a augmenté ces dix dernières années, passant, dans le secondaire par exemple, de 10,4 % à 13,4 %. Le redoublement continue de frapper inégalement selon le milieu social. Il entraîne aussi, chez les élèves les plus démunis, une relégation vers des filières poubelles, que les autres fuient.

Cinq ans pour réduire les échecs

Les résultats seront enfin évalués. Il était temps. En effet, tous les cinq ans, on établira un état des lieux dans les écoles qui reçoivent un financement  » différencié « . Comment ? En y organisant des inspections, en soumettant leurs élèves à des évaluations externes. Au bout du compte, ces écoles auront dû améliorer significativement leur taux de réussite et réduire les redoublements.

Ce qu’il faudrait aussi faire d’urgence

De meilleurs salaires pour les profs et une meilleure formation des futurs enseignants. Mais le nerf de la guerre n’est pas que financier. Lors de la dernière étude Pisa (2008) sur la qualité de l’école secondaire, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a demandé au bureau de conseil McKinsey d’enquêter sur les points communs entre les pays les plus performants. Résultats : on n’y dépense pas plus pour l’enseignement et le taux d’encadrement n’y est pas plus favorable. Mais on y recrute comme enseignants les meilleurs candidats ; ceux qui sont engagés sont épaulés par des profs expérimentés et aidés à améliorer leur enseignement ; on ne laisse aucun élève décrocher et on intervient très rapidement auprès de ceux qui éprouvent des difficultés.

S.G.

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