Pourquoi Artur Jorge

Luciano D’Onofrio a déjà réussi de beaux coups à la Roger Petit : sera-ce le cas avec le célèbre coach portugais ?

Un patron de club peut être comparé à un maître boulanger qui doit se lever tôt pour allumer son four, choisir soigneusement toutes ses céréales, pétrir la pâte avec un soin jaloux. Mais son travail matinal ne donnera jamais le jour à un pain chaud si la levure n’est pas bonne. Au Standard, les joueurs sont ces grains qui ont permis aux Rouches de gagner ce titre national tant attendu depuis 25 ans. Le départ de Michel Preud’homme a compliqué la donne pour Luciano D’Onofrio qui veut installer son club dans le top 20 européen. Il doit trouver un autre excellent coach, ce levain sans lequel une équipe manque souvent de sel, de consistance et de goût.

Des noms de bons artisans ont circulé à gauche et à droite : Marc Wilmots, Luka Peruzovic, Albert Cartier, Frankie Vercauteren, Eric Gerets, Javier Clemente, etc. D’Onofrio a probablement sondé ces pistes en fonction de ses exigences présentes, du chemin à parcourir, de son vécu, etc. Il faut tenir compte de son passé pour comprendre ses choix.

D’Onofrio est né à Porto en tant que dirigeant de club. En 1987, il est le manager de ce club qui remporte la Coupe des Champions face au Bayern Munich de Jean-Marie Pfaff. Tout le monde se souvient du magnifique but de Rabah Madjer. Zean-Marie doit encore en faire des cauchemars. Porto, c’était ce qui se faisait de mieux en Europe et le succès de ce club annonçait le retour des belles années d’un football portugais toujours technique mais moderne dans sa production athlétique et tactique. L’entraîneur de ce Porto-là n’était autre qu’ Artur Jorge, coach à la moustache gentille.

Jorge et D’Onofrio sont les deux doigts d’une même main. Tous les proches savent que D’Onofrio consulte régulièrement deux de ses vieux amis : Jorge et celui qui lui a succédé à Porto, Tomislav Ivic. Ce sont ses mentors. Le big boss du Standard a suivi la finale de la Coupe de Croatie et a fait du brainstorming avec Ivic. Il a ses relations et même un domicile au Portugal : pas difficile d’y croiser Jorge. Ivic a été le premier coach de D’Onofrio au Standard. En 1998, le patron devait redresser les comptes, bâtir une nouvelle équipe et inculquer une autre culture. Même si ce ne fut pas évident tous les jours, Ivic a réussi dans sa mission. Il n’a pas obtenu de trophée mais le Standard s’est modernisé et professionnalisé sous sa gouverne. Cette saison, il a mis son expérience au service des jeunes de l’Académie Robert Louis-Dreyfus avant de s’occuper de son épouse qui est malade. A près de 75 ans (qu’il fêtera le 30 juin), il s’est retiré à Split et vit désormais les affaires du football avec plus de recul.

Artur Jorge n’est pas Guy Roux

Pour son dernier défi (Europe et construction d’un nouveau stade), il est logique que D’Ono consulte son autre ami de toujours : Jorge. Le temps presse pour lui aussi car on dit que ses pépins de santé (ennuis cardiaques à répétition) le font réfléchir. A-t-il encore envie de tirer longtemps le diable par la queue ? La boucle se bouclera-t-elle avec son vieil ami Jorge ? Maîtres de l’Europe à deux en 1987, renaissance européenne du Standard 20 ans plus tard ? Cela peut faire réfléchir.

Mais qu’est-ce qu’il a ce Jorge ? Derrière sa moustache, il possède une carte de visite sans fin. Mais c’est aussi un battant de… 62 ans. A cet âge-là, est-on encore animé par la rage de vaincre ? N’est-on pas un peu retraité sur les bords ? Jorge n’est-il pas repu de succès, embourgeoisé ? Le vestiaire du Standard est peuplé de jeunes loups. MPH les avait compris, parlait leur langage, riait de leurs farces, était leur grand frère, tout au plus leur papa. Jorge est plus près d’être leur grand-père. Le grand âge de Guy Roux avait suscité le débat en France la saison passée quand il débarqua à Lens. Ce qui passait pour un plus à Auxerre, son club de toujours, devint vite un gros problème à Lens. Roux ne possédait plus la résistance physique nécessaire pour maîtriser un vestiaire actuel et il déposa rapidement son tablier.

Artur Jorge n’est pas Guy Roux mais le conflit des générations n’est jamais un vain mot au c£ur des effectifs où tout le monde se chambre. Les méchantes langues affirment que Jorge a dû s’en rendre personnellement compte à Créteil, en L2 française. Des joueurs l’estimèrent totalement dépassé par les événements et les obligations du football actuel. Mais quelle importance faut-il accorder aux inconnus et autres ratés de Créteil ? A Manchester United, l’âge de Sir Alex Ferguson ne pose aucun problème. A la décharge de Jorge, on peut préciser que c’était une grosse erreur d’aiguillage dans un plan de carrière : qu’est-ce qu’un tel coach venait faire à Créteil ? Si Jorge débarque au Standard, quel football lui imposera-t-on de pratiquer ? Le jeu sera-t-il plus profond que celui de MPH ? Exigera-t-on qu’il soit plus dur avec ses hommes que MPH ?

 » Il n’est pas compliqué de s’entendre avec une personnalité comme Lucien D’Onofrio « , signale Robert Waseige.  » Son vécu est énorme. Il connaît le football et ses vérités sur le bout des doigts. Luciano n’exige pas, il suggère, indique des pistes intéressantes. Il apprécie indiscutablement le jeu très vertical d’Ivic et de Jorge. C’est un concept de jeu comme un autre. Cet homme est intelligent, intuitif, pas du tout un emmerdeur. Rien de plus normal quand on apprécie les bons cigares. Lucien adore le roi des havanes, le Cohiba, le préféré de Fidel Castro, c’est tout dire. Il se méfie des vils flatteurs. Notre expérience commune au Standard fut trop brève. Je ne reviendrai pas sur cette aventure. Il y a la loi des chiffres. Je suis sûr que Lucien voulait être plus patient. L’actionnaire principal acceptait les problèmes à Marseille, pas à Sclessin. De plus, des proches de mon staff technique ont jalousement pollué la réflexion de Lucien qui a été très correct avec moi. Je garde plein de bons souvenirs. Je ne peux pas réfléchir à la place du Standard. Mais je m’étonne quand même du fait que Marc Wilmots ne jouisse pas de plus de crédit en D1. La fédération a raté une chance unique en ne lui confiant pas les rênes de l’équipe nationale. Aucun jeune coach belge ne dispose d’autant d’atouts que lui. C’est un leader naturel avec qui un groupe peut aller à la guerre et la gagner. D’autres ont imité l’équipe nationale en doutant des potentialités énormes de Wilmots qui a la taille Standard. C’est tellement évident. Je ne comprends pas pourquoi on l’ignore « .

Peut-on comparer Luciano D’Onofrio à Roger Petit qui avait souvent procédé à des changements de style brutaux dans le choix de ses coaches ? En 1968, c’est un jeune coach à peine quadragénaire, et sans expérience qui succéda au Professeur, Michel Pavic : René Hauss. Ce fut un succès sur toute la ligne. Hauss reste le coach le plus marquant de l’histoire du Standard. Hauss était un extraverti comme Raymond Goethals, qui prit la place du sévère Ernst Happel en 1981. Il y eut de mauvais choix aussi dont Vlatko Markovic, CorVan der Hart, etc. Ils précédèrent un jeune qui de 1976 à 1979 relança la machine rouche : Robert Waseige.

Preud’homme avait-il peur de D’Ono ?

Personne ne connaît aussi bien D’Onofrio qu’ Henri Depireux, l’actuel entraîneur de l’Olympique Khouribga (D1, Maroc) :  » On peut comparer Lucien et Petit. Ils font partie de la même catégorie de dirigeants. Mais Lucien a du coeur, Petit n’en avait pas, c’est bien connu. Il m’est arrivé d’être dans la merde. Beaucoup m’ont alors snobé mais pas Lucien. Il m’a donné des coups de fil que je n’oublierai pas. C’est un homme, un vrai, pas un allié de circonstance qui vous laisse tomber quand le vent tourne. Il ne serait pas au top sans faire preuve de caractère. Je regrette de ne pas l’avoir suivi dans ses analyses du football et des hommes. Il a toujours été en avance sur son temps. Tout ce qu’il m’a dit il y a 25 ou 30 ans s’est réalisé. J’aurais dû l’écouter. J’ai quitté le Standard car je n’étais pas d’accord avec le sort réservé à un ami. Si c’était à refaire, je le referais mais D’Ono m’a dit : – C’est une erreur mais c’est ta décision : envoie-moi ta lettre de démission. J’avais tort. Si je l’avais compris, je serais toujours au Standard.

Lucien ne parle pas beaucoup et ce n’est pas nécessaire. Il ne descend pas mille fois dans un vestiaire. Cela ne sert à rien. Quand on le voit, tout le monde sait que c’est sérieux et que ce n’est pas le moment de rigoler. Lucien déteste les cons qui lui font perdre son temps. Il a autre chose à faire. Est-il autoritaire ? Le craint-on ? Oui et non. Lucien fait naître du respect autour de lui et il aime ceux qui lui résistent pour faire avancer un débat. Je crois que Michel Preud’homme avait quand même peur de lui. Le progrès, voilà ce qui l’intéresse. Il a l’£il et adore les artistes. Lucien en a eu assez sous la main. C’est un véritable connaisseur et un amateur de football réaliste. Quand on peut faire le spectacle, pas de problème mais il faut d’abord une bonne défense qui met l’équipe à l’abri. Il n’y a pas de bonne équipe sans grande défense. Ce sera toujours un de ses credo. Le réalisme est une de ses caractéristiques les plus prononcées. Lucien examine le football avec des lunettes d’expert international. C’est pour cela qu’il s’est battu afin d’ériger un magnifique centre d’entraînement unique en Belgique : c’est un visionnaire et un fameux homme d’affaires. Il a de l’intuition. Lucien a aussi alterné les styles en fonction des problèmes à régler : des anciens, des jeunes. Il a lancé un MPH sans expérience comme Petit l’avait fait avec Hauss. Tous ont eu leur rôle avec plus ou moins de succès. Le prochain pas en avant sera différent. Il y a réfléchi, veut peut-être un coach avec plus de vécu européen. Quand il opte pour quelqu’un, c’est qu’il y croit. Il consulte avant de trancher. Quand son choix s’est porté sur Zeljko Mijac, c’est aussi après avoir écouté Ivic. Il a lancé son frère car il était certain que Dominique était un bon coach, l’homme de la situation : la suite lui a donné raison. Sans lui, le Standard n’en serait pas là : il n’y aurait peut-être plus de Standard. C’est un homme de décision qui sait trancher. Il garde la tête froide « .

La rumeur liégeoise affirme désormais que les derniers échanges de propos entre Lucien D’Onofrio et MPH ne furent pas des plus tendres. Cette page très chahutée est désormais tournée pour les deux parties. Quand il s’installera à Liège, le nouvel entraîneur du Standard aura du pain sur la planche : n’en va-t-il pas toujours dans les meilleures boulangeries de D1 ?

par pierre bilic

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