« POUR VETTEL, CE SERA NON »

La saison de F1 reprend ses droits dimanche à Melbourne. L’ancien pilote d’essai se jette à l’eau :  » Je mise sur Hamilton, Rosberg et Button, trois pilotes qui ont un moteur Mercedes.  »

Bas Leinders (38 ans) marche d’un pas décidé d’une unité à l’autre dans l’atelier de MarcVDS Racing à Gosselies, non loin de l’aéroport de Charleroi. Il montre fièrement la BMW Z4 GT3 avec laquelle il espère prolonger le titre européen de son employeur, Marc van der Straten.

Une BMW ? Elle est méconnaissable. On ne voit qu’une carcasse.  » Nous construisons la voiture nous-mêmes.  » Sur un établi, des centaines de pièces que le mécanicien installe une par une dans la voiture.

Bienvenue dans le monde automobile, microcosme des tours, du refroidissement, de la consommation, de la suspension. Le Limbourgeois, manager de l’équipe, explique :  » Les nouvelles spécifications techniques ont tout bouleversé en Formule Un. On a remplacé le moteur V8 par un plus petit, le V6, de 1,6 litre avec turbo.  »

C’est lourd de conséquences pour Red Bull, quadruple champion du monde des constructeurs, et pour Sebastian Vettel, qui aborde une saison difficile.

Leinders, pilote d’essai de Minardi en 2004, explique pourquoi.  » Le moteur Renault n’est pas bon. Pas encore, du moins, car je m’attends à ce que Red Bull le modifie en cours de saison. Mais dans les quatre ou cinq premières courses, il y a peu de chances que Vettel monte sur le podium. Les premiers tests effectués à Jerez de la Frontera ont été catastrophiques. L’écurie a résolu certains problèmes lors des deuxièmes essais, à Bahreïn, mais d’autres ont surgi.

Il faudra encore du temps avant que tout soit au point, alors que d’autres écuries peuvent se consacrer au développement de la voiture et à l’aérodynamique. De ce point de vue, Red Bull est en retard, comme toutes les écuries qui ont un moteur Renault, Lotus, Caterham et Torro Rosso. C’est un mauvais moteur. Donc, Sebastian Vettel ne sera pas Champion du Monde cette saison.

Problème moteur

Il est quadruple Champion du Monde mais le voilà dénué de chance. Comment réagit-il ?

Bas Leinders : Cela peut arriver dans d’autres sports. Un cycliste peut être le meilleur de sa génération mais s’il n’est pas soutenu par une bonne équipe, il ne gagnera pas le Tour de France. Il ne peut que faire de son mieux, en signant des performances pour permettre à l’équipe d’enrôler de meilleurs coureurs les années suivantes. C’est le défi auquel est confronté Vettel :  » Je n’ai pas de bon bolide mais je vais montrer que je peux l’améliorer, avec mon écurie, pour que nous retrouvions très vite le podium.  » S’il n’y parvient pas, 2015 sera aussi mauvais. Vettel va se battre pour améliorer l’auto et signer des résultats dans le second volet de la saison. Une écurie telle que Red Bull est capable de refaire son retard mais sans doute pas cette année.

Comment est-il possible qu’une écurie pareille ait un véhicule aussi médiocre ?

L’implémentation de nouvelles technologies peut toujours mal tourner. Adrian Newey, le designer de Red Bull, est fantastique mais dans le passé, il a aussi connu l’échec chez McLaren et Williams. Chez McLaren, par exemple, il en est revenu à l’ancien châssis en cours de saison. Ce n’est plus possible compte tenu du petit moteur qui est maintenant imposé car le châssis est construit autour du moteur et tous les designers ont dû concevoir une nouvelle voiture avant la saison. Red Bull veut d’abord résoudre les problèmes de moteur, notamment le refroidissement, avant de se pencher sur la qualité de l’auto. Je n’exclus pas que l’écurie sorte une nouvelle pendant la saison.

Chassez le naturel

Quels sont les favoris pour le titre ?

Lewis Hamilton, le champion 2008, suivi par son coéquipier Mercedes Nico Rosberg et Jenson Button de McLaren, qui sera avantagé quand il pleut. Trois pilotes Mercedes, en tête lors des essais. L’année dernière, Mercedes était déjà rapide et a d’ailleurs souvent eu la pole position mais l’écurie a usé ses pneus trop vite en course. Mercedes a effectué des tests secrets à Barcelone – et a reçu une amende assez douce – mais ses pneus Pirelli sont plus résistants depuis. L’écurie a écorné son image, ce qui montre jusqu’où elle est prête à aller.

Quelles sont les chances de Ferrari ?

Les Italiens ont deux champions du monde, Kimi Räikkönen et Fernando Alonso mais aussi deux rivaux. Tout dépendra de l’état d’esprit des pilotes et de la direction. McLaren a connu des problèmes, surtout parce qu’il privilégiait Hamilton par rapport à Alonso. Si c’est toujours le même qui gagne, Ferrari s’expose à des ennuis.

Hamilton est le seul killer de ce top trois. Rosberg et Button sont plutôt les gentlemen du circuit.

Ils sont intelligents, bien élevés, ils respectent les autres, peut-être trop. Hamilton ne tient compte de personne : les autres n’ont qu’à déblayer. Même s’il paraissait sympathique en début de carrière, il est très égoïste. McLaren l’a formé et lui a dit comment réagir à quelle situation. Un an après, sa vraie nature émergeait. Chassez le naturel et il revient au galop…

Un sale caractère constitue un avantage, non ?

Oui. La F1 est un monde de requins. Button a été l’exception en 2009 : il a conquis le titre avec correction. Mais remettre le couvert deux ou trois fois ? Non.

Plus sûr

Schumacher n’était pas sympa non plus.

Non. Vettel le semblait au début mais il a déjà montré d’autres traits de caractère. Ils sont inhérents au sport de haut niveau. Mark Webber en aurait eu besoin. Il a beaucoup aidé Red Bull mais le monde n’avait d’yeux que pour Vettel, qui était évidemment le numéro un. Cette année, Webber roule en World Endurance Championship.

Felipe Massa quitte Ferrari après huit ans, pour Williams-Mercedes, et il veut être Champion du Monde. Est-ce réaliste ?

Massa ? Impossible, à moins que Williams-Mercedes n’ait une auto fantastique mais le mérite en reviendra à l’écurie, pas à Massa. C’est comme Button, qui avait une formidable auto en 2009 : la Brawn GP. Alonso, Vettel et Räikkönen peuvent faire la différence sur l’ensemble de la saison, Massa dans quelques GP. Toutefois, son transfert est positif : il y puise une nouvelle motivation. Il a loupé de peu le titre 2008 : il a eu la malchance que dans le dernier tour de l’ultime GP, Lewis Hamilton dépasse Timo Glock et soit sacré avec un point de plus.

La FIA a opté pour un moteur V6 plus léger. N’est-ce pas au détriment du spectacle et de la vitesse ?

L’introduction du turbo, une première depuis 1998, est importante. Avant, on roulait avec des moteurs puissants, V12, V10, auxquels il était difficile d’ajouter un turbo. La technologie a progressé et les mentalités ont changé. Suite au décès d’Ayrton Senna le 1er mai 1994, la sécurité est devenue une priorité et maintenant, on insiste sur l’environnement. Le turbo consomme moins et l’ERS – Energy Recovery System – permet de stocker l’énergie et la chaleur. C’est d’ailleurs ce système qui pose le plus de problèmes à Red Bull.

Glamour et paillettes

Les voitures hybrides sont équipées par cette technologie : la chaleur dégagée par le freinage est stockée. En fait, tout ce qui est conçu par la F1 est rapidement adaptable aux voitures normales. On peut placer ce V6 dans une Renault Clio. La consommation passera de cinq à six litres aux cent kilomètres à trois ou quatre.

L’implémentation de ces systèmes alourdit la voiture et la ralentit donc mais au fil de la saison, les systèmes vont devenir plus compacts, plus légers. Pour le moment, les voitures perdent trois à quatre secondes par tour, comparé à ma période chez Minardi, mais elles restent les plus rapides voitures de course. Surtout, la F1 est un laboratoire en matière de sécurité, d’écologie et de consommation pour les voitures normales.

Pourquoi la F1 ne parvient-elle pas à faire passer le message ?

Elle s’y emploie mais il est plus intéressant de parler du glamour et des paillettes qui l’entourent. Les journaux cherchent la sensation, à la demande du public. En septembre, on organise un Championnat du Monde de Formule E : dix équipes, dix circuits citadins et des autos qui fonctionnent sur batterie. Ça aussi, c’est du sport automobile. La vitesse – 220 km/h – est inférieure à celle atteinte en F1 – 30 km/h – mais la différence sera comblée si les batteries deviennent plus légères.

Le sport automobile permet de lancer des tendances dans la conception de technologies plus écologiques. Par exemple, pour les 24 Heures du Mans, Michelin a mis au point des pneus qui permettent à une grande écurie comme Audi d’effectuer cinq à six relais complets, soit trois heures à une vitesse maximale. On applique aussi cette technologie aux pneus des autres voitures.

Suspense jusqu’au bout

Les ingénieurs n’ont quand même pas besoin de la F1 pour mettre cette technologie au point ?

Si, quand même, car il serait naïf de croire qu’ils perfectionneraient leurs moteurs pour le plaisir. Le prestige de la F1 et l’obligation de gagner les pousse à investir plus d’énergie dans leur métier. Quand ils ont deux mois pour préparer un véhicule, ils travaillent jour et nuit. C’est le cas des ingénieurs et des mécaniciens de notre équipe aussi. Tous en éprouvent beaucoup plus de satisfactions. Red Bull et Ferrari emploient 600 personnes, toutes au service de deux pilotes.

Autre changement : pour la première fois, on va doubler les points attribués lors du dernier Grand Prix de la saison. Est-ce une bonne chose ?

C’est une décision stupide, comme l’introduction des play-offs en football. Mais bon, le règlement est fait pour être respecté et les écuries devront y adapter leur stratégie dans la dernière course. L’objectif poursuivi est évidemment de maintenir le suspense jusqu’à la fin mais je trouve la mesure artificielle.

Vous venez d’évoquer l’amélioration de la sécurité. Les courses en rue ne constituent-elles pas précisément un danger ?

Valence a organisé de telles courses pendant trois ans mais n’a plus de budget. Singapour reste au calendrier et la Russie organise son premier GP sur un semi-circuit citadin à Sotchi. On roule 1,7 des 5,8 kilomètres du circuit, qui relie les différents sites olympiques, sur route. Les courses en rue peuvent être intéressantes à condition de rester sûres, ce qu’on ne peut pas dire de Monaco. Mais la FIA est heureuse de pouvoir rouler à Monaco : la jet set, le glamour…

PAR CHRIS TETAERT – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » Ferrari possède en Räikkönen et Alonso deux Champions du Monde mais aussi et surtout deux rivaux acharnés.  »

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