» POUR OUBLIER, J’ÉTAIS DEVENU UN SOÛLARD « 

L’histoire s’annonçait belle, elle s’est transformée en cauchemar. Entre boîtes de nuit, bouteilles, faux amis, magouilles kazakhs, dépression et un réveil en Norvège, Yassine El Ghanassy se raconte pour la première fois. Interview confession.

On ne va pas se mentir : lors de notre précédente rencontre, on n’était pas du tout convaincu. C’était l’été 2013 et Yassine El Ghanassy retrouvait Gand après s’être fourvoyé à West Bromwich avant de relever la tête à Heerenveen. A l’époque, il nous avait dit avoir appris de ses erreurs. Mais on avait plutôt face à nous un mauvais acteur au discours qui sonne faux. Quelques mois plus tard, Yassine quittait la Belgique après s’être mis tout Gand à dos et s’envolait vers les pétrodollars des Emirats.

Cet ex-grand talent du football belge a poursuivi sa chute avant de vivre une cure salvatrice ces derniers six mois en Norvège. Au lendemain de son retour en Belgique, on le retrouve dans les bureaux de son nouvel agent, Fouad Ben Kouider, en avance même sur l’heure du rendez-vous matinal. Nous l’aurait-on changé ? En tout cas, l’homme semble avoir pris une grosse claque et est prêt à tout déballer.  » J’étais devenu un sdf, un clochard du foot, personne ne voulait de moi.  » Retour sur une sortie de route qui aurait pu être irrémédiable.

Comment le club norvégien de Stabaek prend-il contact avec toi ?

YASSINEELGHANASSY : Via l’agent hollandais, Peter Ressel qui m’avait déjà mis à West Bromwich. Il m’a dit qu’il avait une opportunité pour moi en Norvège. J’ai vite compris que ce n’était pas le top financièrement mais je n’avais plus joué depuis fin mai (avec Al Ain aux Emirats Arabes Unis), ça faisait donc 10 mois sans foot. Je n’avais pas le choix. Et si je voulais signer dans un club à partir de mai-juin, c’est : test. T’as beau avoir joué le top en Belgique, avoir joué en équipe nationale, à partir du moment où l’on te prend pour un fou, tu dois passer par les tests.

Tu prends alors conscience d’être dans le trou ?

ELGHANASSY : J’étais très bas (ndlr, il tape le sol), plus bas que le sol. On était déjà fin mars, j’ai donc dit :- OK on voyage. Et pour Stabaek, c’était un beau coup sur papier surtout vu la réputation des Belges aujourd’hui. J’étais pas n’importe qui.

 » ICI, LES JOUEURS SONT DES MACHINES  »

Quelle est ta première impression quand t’arrives en Norvège ?

ELGHANASSY : J’ai eu de la chance, Stabaek, c’est la banlieue d’Oslo, une belle ville, calme. Mais je peux te dire qu’on a été jouer dans des villes où tu prends l’avion pendant une heure et demie et tu demandes si t’as pas quitté le pays. Ça, ça rend fou. En arrivant là-bas, j’ai rapidement rencontré le coach, Bob Bradley, qui n’est pas n’importe qui. Il a coaché les Etats-Unis qu’il a amenés jusqu’en huitièmes de finale de la Coupe du Monde, il a coaché l’Egypte. Il m’a dit : Je connais tes qualités, je veux te donner une nouvelle chance, je m’en fous de ce que t’as fait avant. Moi je regarde le terrain, c’est tout. Je me suis entraîné deux jours et bon, j’avais pris du poids, j’étais un peu gros, je crois que je devais avoir 5 kilos de trop. Et je peux te dire que ce sont des machines là-bas, ce sont des Vikings, ça court. Et moi qui pensais que ça ne courait pas… Dès la première semaine, j’étais titulaire d’un match amical où j’ai joué 45 minutes. Je pensais que c’était un piège. Enfin, c’était un match amical, c’est après que je me suis rendu compte que le foot norvégien c’était une autre histoire.

Tu ne t’es pas dit en y allant : c’est la Norvège, il fait froid, c’est un championnat peu réputé, etc.

ELGHANASSY : C’est ce qui m’a choqué le plus, c’est que parfois il fait toujours jour (sic). Il est 23 h 30 et il fait clair, tu te dis : c’est quoi ça ici (il rit).

Et comment ça se passe le ramadan dans ces conditions ?

ELGHANASSY : Oui, c’était de la folie. On mangeait vers 22 h 40-22 h 50. Et même s’il fait jour tout le temps, y a quand même une limite, sinon je serais mort (il rit). J’étais avec mon cousin, donc on s’entraidait. Tout seul, je crois que ç’aurait été très difficile. Et les jours de match, je faisais l’impasse sur le ramadan.

Ton niveau tu le retrouves facilement ?

ELGHANASSY : Non. Au début tu te dis, le championnat n’est pas trop connu, ça va être facile. C’est tout le contraire, c’est plus dur qu’ici . Là-bas, ils ne font que courir, ce sont toutes des machines. Ils vont beaucoup à la salle, ils ont un gros bagage physique et les matches, c’est que des allers-retours. Et quand ça ne va pas dans les deux sens, ce sont des ballons aériens et ça se bagarre, c’est encore pire.

Pour toi, ça devait être compliqué ?

ELGHANASSY : Heureusement à Stabaek, ça jouait au foot, comme quatre-cinq autres équipes. Mais les autres, c’est la bagarre. C’est en Norvège que j’ai vu des rentrées en touche qui ressemblaient à des corners.

Tu termines finalement le championnat avec de plutôt bonnes stats.

ELGHANASSY : Oui, j’ai fini avec 14 assists en championnat en 26 matches. Cette saison en Norvège m’a redonné confiance, je suis heureux, surtout quand je vois d’où je viens.

Ce qui veut dire ?

ELGHANASSY : Que je ne veux plus retourner où j’étais. J’étais plus bas qu’un joueur amateur car lui au moins il joue.

 » ON M’A POURRI LE CERVEAU  »

Comment t’es-tu retrouvé si bas ?

ELGHANASSY : J’ai fait des bêtises, des choses que je n’aurais jamais dû faire, j’ai écouté des mauvaises personnes. Ma première grosse erreur, c’est d’avoir cassé mon contrat à Gand. On était mi-septembre (2014), Gand m’avait mis dans le noyau B à mon retour d’Al Ain. Vanhaezebrouck voulait nettoyer le noyau et il n’a même pas cherché à comprendre.

Au final, les résultats lui donnent raison.

ELGHANASSY : Je peux comprendre qu’un coach qui débarque dans un club qui connaît depuis deux ans énormément de problèmes veut faire un grand nettoyage. Et il ne s’est pas débarrassé que de moi mais de plusieurs joueurs cadres.

Tu n’as jamais discuté avec lui ?

ELGHANASSY : Non, pourtant j’aurais voulu. C’est aussi ma faute car je n’ai pas été patient, j’aurais dû m’accrocher, m’entraîner avec le noyau B, mais j’ai préféré écouter des gens qui m’ont pourri le cerveau.

Qui sont ces gens ?

ELGHANASSY : Des anciennes connaissances que je ne citerai pas et sur lesquelles j’ai tiré un trait. Maintenant, mon entourage, c’est ma famille et mes amis d’enfance.

Tu es l’exemple parfait du joueur dont l’entourage a été néfaste.

ELGHANASSY : Oui. Avant je me voilais la face.  » Ils  » me disaient : casse ton contrat, tu vas trouver facile derrière. Et on a cassé et je me suis retrouvé dans la merde. Ils ont profité de moi et j’ai été trop con.

Tu nous avais raconté qu’il t’arrivait parfois de claquer 4000 euros en une soirée…

ELGHANASSY : Ça fait partie de toutes ces erreurs. Et quand t’es mal entouré, personne ne t’arrête quand tu fais n’importe quoi. Ils veulent tous être avec toi en boîte, être aux premières loges.

La première erreur, ce n’est pas d’avoir rejoint en janvier 2014 le club d’Al Ain ? Tu envoyais le signal que l’argent passait avant la carrière…

ELGHANASSY : Oui, peut-être. J’étais à Gand mais je n’étais même plus titulaire avec Rednic. Je me suis dit que j’allais me refaire une petite santé là-bas où j’étais très très bien payé. Et pourtant Rednic, il m’aimait bien.

Tu as quand même vécu un fameux clash avec lui quand tu as refusé de monter dans le car des joueurs pour te rendre à un match à Mons après avoir appris que tu n’y serais pas titulaire.

ELGHANASSY : Encore une grosse erreur de jeunesse.

Ça fait quand même beaucoup d’erreurs…

ELGHANASSY : Ça, c’est sûr sinon j’en serais pas là (il rit). Pour en revenir à mon clash avec Rednic, j’ai vu dans le vestiaire qu’il voulait mettre un milieu à ma place et mon cerveau a tourné. Et quand il tourne, je ne sais plus me contrôler. Et j’ai fait n’importe quoi.

 » TOUT CET ARGENT PARTI EN FUMÉE  »

Il y a un peu plus de 4 ans, tu étais à Marrakech en vacances avec Mehdi Carcela et Christian Benteke. Tu es alors une des stars de notre championnat. Aujourd’hui, Benteke a couté 45 millions et évolue à Liverpool et Carcela est à Benfica. Si tu es loin de tout ça, c’est parce que tu n’as pas su gérer l’argent, la médiatisation ?

ELGHANASSY : C’est bien possible. Le danger, c’est quand tout est accessible très rapidement. Et je n’ai peut-être pas écouté assez ma famille. Mais quand t’es jeune comme ça, ça rentre, ça sort. C’est un tout. Quand t’as de l’argent, t’as plein d’amis, même des gens que tu ne connais pas mais qui sont devenus tes amis (il rit). Tu vois…

Et ils te disent que t’es le meilleur…

ELGHANASSY : C’est ça. Quand tu veux profiter de quelqu’un, tu ne vas jamais le contredire alors qu’un ami, c’est ce qu’il est censé faire quand tu prends une mauvaise direction.

On raconte aussi que tu as connu de gros problèmes d’argent.

ELGHANASSY : Non, c’est pas ça. Mais quand tu vois tout ce qui est parti en fumée dans des bêtises, tu pètes un plomb. J’ai claqué beaucoup.

Mais en quoi ?

ELGHANASSY : Tu sais bien, en sorties, je sortais tous les deux-trois jours. Surtout quand j’étais sans club. Tu te sens mal et tu sors pour oublier que t’es au fond du trou.

T’as senti que tu n’arrivais plus à faire la différence ?

ELGHANASSY : Oui. Et à un moment, il y avait trop de choses dans ma tête. Et ça avait des conséquences sur le terrain. Pour bien jouer, tu dois avoir l’esprit libre.

A quel moment tu t’es dit : je suis plus bas que terre ?

ELGHANASSY : Quand j’ai regardé mon compte et que j’ai vu que la moitié était partie. Je me suis dit : putain ! Qu’est-ce que j’ai fait ? Pourquoi j’ai été là-bas, pourquoi j’ai payé ça, pourquoi j’ai filé de l’argent à ce type ? Alors qu’aujourd’hui je sais très bien qu’il ne va pas me rendre cet argent. Ce sont toujours les mêmes bêtises, le monde de la nuit. Pour oublier, tu fais quoi ? Tu sors. Car quand tu restes chez toi entre quatre murs, tu peux faire péter un plomb et faire même une plus grosse bêtise. Faut pas jouer avec la carrière des gens, faut pas jouer avec la vie des gens. Je dois remercier mes parents car quand ils se sont rendu compte de toutes ces dépenses, ils ont fermé le robinet. Je ne pouvais même plus aller sur mon compte. C’était avant que je signe à Stabaek.

Tu étais en pleine dépression ?

Oui. Tu es obligé de sortir, tu te réveilles à 15 h, tu manges n’importe quoi, tu oublies que t’es footballeur. Et tu dois trouver une échappatoire : si c’est pas à Bruxelles, c’est à Paris, etc. T’es entré dans un tourbillon. Pour oublier, j’étais même devenu un soûlard. Tu te dis que le football est derrière toi. Tout le monde m’avait pris pour un fou.

 » TU VEUX TOUCHER QUOI ? LA LUNE ?  »

Tu rentres dans un engrenage…

ELGHANASSY : Oui et tu fais des trucs que tu peux pas faire, tu dépenses, tu mets des bouteilles. Je ne veux plus retomber là-dedans. Pelé Mboyo, avec qui je parle régulièrement, m’a dit récemment : t’as tout fait, t’as fait des soirées, tu veux toucher quoi ? La lune ? Maintenant tu vas te poser.

On a raconté que ton transfert à Al Ain était une forme de fuite en avant et que tu n’aimais plus le foot.

ELGHANASSY : C’est vrai, je n’aimais plus le foot, ce n’est qu’en Norvège que j’y ai repris goût. Quand tu crois que tu as tout vécu, tu fais le malin. C’est pas ça la vie, il faut toujours se remettre en question. Avant, je pouvais me dire  » je suis El Ghanassy  » mais c’est fini ça. Il y a beaucoup de jeunes qui ont pris ma place en Belgique. Et quand j’ai appris qu’un club comme OHL ne me voulait pas, car les dirigeants pensaient tous que j’étais dingue, tu te rends compte qu’une étiquette, c’est difficile à retirer.

Tu en es le premier responsable, non ?

ELGHANASSY : Je sais mais on peut interroger les joueurs ou Michel Louwagie, ils vont tous te dire : –Yassine, c’est un bon gars. Je crois que ce qui m’a tué, c’est quand je ne suis pas monté dans le bus pour jouer le match à Gand et que je suis rentré à la maison. Ça voulait dire que je n’avais pas de respect pour le club et les coéquipiers. Là j’ai déconné.

Ton avenir, tu le vois comment ?

ELGHANASSY : Je sors d’une bonne saison et j’ai surtout retrouvé le plaisir de jouer. Je suis à la recherche d’un nouveau challenge et je suis ouvert à tout. Je suis grillé en Belgique ? Peut-être mais ça peut aller très vite. Un jour t’es dans la cave, puis tu marques deux buts et tu deviens un héros. C’est très hypocrite comme milieu. Jonathan Legear en est le meilleur exemple. Jusqu’il y a quelques jours, on rappelait qu’il était entré dans une pompe à essence, aujourd’hui on retient qu’il a marqué dans le clasico. Tout le monde a droit à une seconde chance. Moi je n’ai pas encore reçu cette deuxième chance.

On sait reprendre une vie normale après tout ça ?

ELGHANASSY : Tu peux toujours sortir après un match mais le train de vie que j’ai connu, ça c’est fini.

Tu es triste quand tu jettes un oeil sur ta carrière ?

ELGHANASSY : Pas du début mais de la suite, oui. Si j’avais été sérieux, je serais aujourd’hui dans un grand club. Tous ceux qui ont joué avec moi le savent. Après, si Gand m’avait vendu au meilleur de ma forme, j’aurais peut-être connu une autre trajectoire. Qui sait ? Un jour, Louwagie m’a dit entre quatre-z-yeux : –Si j’avais su que ta carrière allait prendre un tel tournant, je t’aurais vendu depuis longtemps. Mais bon, c’est le destin. Je dois lui en vouloir ? Bien sûr que non ! Louwagie a été un papa pour moi et il le sera toujours. Gand restera dans mon coeur et à vie. J’ai eu des problèmes avec les supporters mais ils resteront toujours les meilleurs supporters, je les aimerai tout le temps. Ils m’ont tellement aidé. Ça restera tout ça.

Tu t’attendais à ce que le club atteigne un tel niveau ?

ELGHANASSY : Je savais qu’en construisant un nouveau stade, ça allait mettre du temps. Avant qu’on déménage, on avait une superbe équipe. Puis sous Victor Fernandez et Mircea Rednic, faut dire que c’était pourri. Je savais que ça allait être difficile. Ce que Vanhaezebrouck a fait, c’est fantastique. J’aurais aimé travailler avec lui.

Après ce que tu as vécu, tu aurais un conseil à donner aux jeunes talents pour qu’ils ne tombent pas dans les mêmes pièges ?

ELGHANASSY : Faut pas être gourmand car l’argent, ça te monte à la tête. Et il faut aussi écouter ses parents, pas écouter les nouveaux amis. Ça ne va rien vous apporter, sinon des emmerdes. Mes parents m’ont laissé toucher le fond, ils savaient que j’allais revenir en rampant et c’est ce qui est arrivé. Je n’oublierai jamais que quand j’étais sans club et que je rentrais à la maison, je voyais mon père regarder les matches de championnat à la télé. Je voyais qu’il était triste. Et ça, ça fait très mal.

PAR THOMAS BRICMONT – PHOTOS BELGAIMAGE – JAMES ARTHUR GEKIERE

 » Je ne pouvais plus aller sur mon compte en banque. Mes parents l’avaient bloqué.  » YASSINE EL GHANASSY

 » Tu es obligé de sortir, tu te réveilles à 15 h, tu manges n’importe quoi, tu oublies que t’es footballeur.  » YASSINE EL GHANASSY

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