» Pour des enfants d’ouvriers, cette réussite est savoureuse « 

Il est l’homme dont tout le monde parle à Charleroi. Du Mambourg au boulevard Tirou, de Montigny-le-Tilleul à la prison de Jamioulx. Le coach des Zèbres est, au-delà d’un scientifique du jeu, d’un mec jovial et exubérant, un homme généreux. Proche des siens, protecteur et disponible. Des traits de caractère qu’il doit à ses parents, Pasquale et Anna Mazzu…

Pour comprendre qui est réellement Felice Mazzu, il faut d’abord plonger au coeur de ses racines. En Calabre, présentée comme la région la plus pauvre d’Italie, asséchée par les chaleurs étouffantes et dont la pointe vient caresser la Sicile. Celle des plats à la bergamote, du choc des cultures entre les civilisations grecque, sarrasine, juive et normande, qui se sont succédé sur les rivages de la mer Ionienne. Les origines du coach de Charleroi se trouvent à cheval entre Scido, petite bourgade discrète d’à peine mille âmes, et Gerace, un village médiéval à une quarantaine de kilomètres de là.

Comme de nombreux Italiens, ses parents avaient rallié la Belgique pour y chercher le bonheur professionnel et travailler dans les mines, ne sachant pas qu’ils s’y installeraient définitivement. Cette rigueur, ce courage, cette détermination, ce sont les sceaux de la famille Mazzu. Trois enfants, Antonino, professeur de philosophie à l’Université Libre de Bruxelles, Pasqualina, responsable du contrôle de qualité dans une grande entreprise pharmaceutique, et Felice, le  » nouveau roi de la ville noire « , ont vu le jour à l’ombre des terrils.

Mais qui est réellement le coach à succès des Zèbres ? C’est ce que nous avons tenté de savoir en donnant la parole à ceux qui le connaissent depuis des années, pour ne pas dire depuis toujours. Lien fraternel oblige, c’est sa soeur cadette de cinq ans, qui prend la parole :  » Feli a toujours été mon protecteur avec qui je partageais énormément de points communs. Nous ne pouvons cacher nos sentiments alors que nous sommes tout de même issus d’une famille où l’on ne disait pas souvent ce qu’on avait sur le coeur. Mon papa nous a rarement dit des mots tendres mais il n’en avait pas besoin. Nous sommes différents. Plus expansifs, plus expressifs. Mon frère ne sait pas cacher quand il est en colère, autant vous lisez tout de suite sur son visage quand il est heureux. C’est un type jovial et très porté sur la famille. Pour lui, c’est ce qu’il y a de plus précieux au monde.  »

Comme un mandaï

Antonino, dont le fils Matteo (19 ans) est musicien, abonde dans le même sens. Et rappelle toutes les difficultés que ses parents ont surmontées lors de leur arrivée en Belgique :  » Il faut dire les choses comme elles sont : mon papa est arrivé dans la région en 1951 tel un mandaï. Il ne parlait pas français, savait à peine lire et écrire, et entendre son nom de famille résonner à la télévision ou quand il se promène au marché, c’est une victoire. Felice est un garçon très reconnaissant qui a rapidement su ce qu’il voulait faire. On jouait au football ensemble dans le quartier mais je n’étais pas plus porté que ça sur le ballon rond alors que lui…

A l’époque, notre père venait rarement nous voir sauf quand nous jouions au Daring, l’un des sites du Sporting qui se trouvait à deux pas de la maison. Mais je dois le dire, Felice était différent des autres garçons avec lesquels on jouait. Il avait un regard analytique sur le jeu. Je pense que sans le savoir, il se préparait à sa vocation future. Il réfléchissait avant d’entamer une action. Avec le recul, je me pose souvent la question de savoir pourquoi nous avons tous bien réussi dans nos carrières professionnelles respectives. Trois sur trois, cela ne peut pas être un hasard « , affirme Antonino.

 » Je crois que quelque chose nous a tirés vers l’avant. Quelque chose nous a incités à nous accrocher. Nous avons tous été au bout du chemin, peut-être pour permettre à nos parents d’effacer les moments d’humiliation qu’ils ont vécus après leur venue en Belgique. Nous éprouvons tous du respect, de l’admiration, pour eux.  »

La trajectoire footballistique de Felice Mazzu est assez simple à résumer : il a longtemps joué dans les équipes de jeunes des Zèbres jusqu’à ce qu’il comprenne qu’il ne deviendrait jamais footballeur pro. Il a alors joué pour son plaisir :  » Je me suis souvent retrouvé sur le banc et personne ne m’expliquait pourquoi. C’était très frustrant. Depuis ce jour, je me suis dit que quand je serais entraîneur, je m’intéresserais à chaque élément de mon effectif. Autant au capitaine qu’au vingt-cinquième joueur. J’ai pour principe de ne jamais laisser tomber quelqu’un.  »

Ambitieux, donc exigeant

Ce sens de l’amitié, ce profond attachement aux gens, c’est ce qui caractérise Felice Mazzu et le dissocie de bien d’autres entraîneurs de la corporation.

 » Toute sa fidélité s’est traduite dans cette fameuse histoire de sms « , explique son ami, Jean-Paul Godeau. Au début des années 90, ce dernier entraînait les diablotins du CS Nivellois alors que Felice gérait les préminimes.  » Son amour pour Charleroi est indéfectible. Il aurait pu aller au Standard pour la deuxième fois de sa carrière et il n’y est toujours pas alors que c’est un grand coach en devenir. Quand il était au White Star, il s’est accroché à son poste parce qu’il entretenait une relation exceptionnelle avec ses joueurs et parce qu’il pensait vraiment pouvoir rejoindre la D1. Trois mois après, le club était en faillite… Sa gentillesse l’a desservi.  »

Après Nivelles, Felice Mazzu a rejoint son maître à penser, Jacques Urbain, à Marchienne. Mais la réelle rampe de lancement, il la trouve au coeur du Brabant wallon, au CS Brainois. JeanLouisDonnay, ancien éminent journaliste sportif au journal LeSoir, en était alors le président.

 » Je lui ai proposé de rejoindre le stade Gaston Reiff avec une mission très claire : permettre aux jeunes du centre de formation d’éclore. Notre idéal sportif était utopique, à savoir d’aligner onze jeunes du cru. Mais quoi qu’il en soit, Felice a brillé dans son rôle et il a fini avec sept joueurs sur onze qui avaient été formés chez nous. C’était, je crois, unique à ce niveau-là.  »

Le CS Brainois jouait alors en première provinciale.  » Pour moi, c’est une grande fierté que Braine fut le déclencheur de sa carrière. Il faut lui reconnaître un mérite énorme car il a fait preuve d’une grande patience dans les épreuves et a su attendre le bon moment. J’ai toujours su qu’il avait quelque chose en lui mais de là à devenir la révélation de la D1, il y a un fossé.

Ce n’était pas toujours facile de travailler avec lui en tant que dirigeant. Il était ambitieux et donc exigeant. Il savait où il voulait aller et comment. Et personne n’avait intérêt à attaquer l’un de ses joueurs. Il était comme une louve, toujours prête à bondir pour les protéger. Je n’ai jamais connu, dans ma carrière, un coach aussi fédérateur.  »

George Clooney

Ses amis d’enfance définissent davantage Felice Mazzu comme un bon élève un rien chahuteur. Séducteur aussi. Pas étonnant que dans les clubs de la capitale ou des environs, il ait été surnommé  » George Clooney « . La mèche noire toujours bien en place et la hantise de voir des reflets gris y apparaître. Tiziano Antenucci confirme :  » Nous avons grandi dans le même quartier, à Charleroi-Nord. Nous allions tous les deux à l’Athénée de Gilly que nous rejoignions à pied plutôt qu’en bus. Cela nous permettait de parler foot, entre autres…

En 1991, il fut le témoin de mon mariage. Felice, c’est le gars qu’on peut ne pas avoir vu pendant un an mais quand on le croise, c’est tout de suite les grandes embrassades. Je suis tellement heureux pour lui que ça marche du tonnerre. Et tel que je le connais, sa plus grande fierté, c’est de rendre ses parents heureux. Je pense que sa réussite dans le foot et dans sa ville, c’est sa façon à lui de les remercier pour tout ce qu’ils lui ont donné.  »

Chez les Mazzu, comme dans les familles italiennes d’un autre temps, on ne s’en va pas sans le ventre rempli. Son ami, Eddy Vanderlinden s’en rappelle :  » Quand nous passions chez Felice, sa maman nous préparait des antipasti. Puis, avant de pouvoir me lever, elle me servait alors une lasagne. J’étais rassasié, le la remerciais pour la deuxième fois, et arrivait alors une escalope milanaise. Les Mazzu sont des gens adorables. Je m’y suis toujours bien senti. Felice et moi avons suivi ensemble les cours pour devenir professeurs d’éducation physique.

Nous sommes partis en même temps à l’armée. Felice s’est retrouvé à Wenden, près de Cologne. Il était au service des transmissions. Heureusement, nous avions tous les deux été repris dans l’équipe sportive et cela nous permettait de nous retrouver de temps en temps. Quelques jours avant de partir, nous avions été à deux au cinéma voir le film de Stanley Kubrick, FullMetalJacket. On s’était mis en condition « , sourit-il.

Felice Mazzu, celui qui signe ses SMS par  » Betch  » ou  » Ciao bello  » et qui n’oublie personne. Mais derrière cet homme jovial se cache aussi un père meurtri. Même si les années ont pour effet de panser les plaies et d’atténuer la douleur. Avant que Nando et Luna ne voient le jour, son épouse et lui ont en effet perdu un enfant peu après la naissance. Cela marque un couple au fer rouge :  » Felice a été grand dans cette épreuve et nous, joueurs et staff, avons tout fait pour le soutenir. C’était un juste retour des choses pour ce qu’il nous apportait au quotidien « , dit simplement un ancien joueur de Braine.

Droit et entier

Son ami intime depuis 20 ans, Miro Linari,avecqui il a joué à l’UJS Charleroi en P4 puis en P3, était son adjoint à cette époque et le témoin de mariage de Julia et Felice il y a quelques années.

 » Il a toujours été du genre à tendre la main. Mais à côté de cela, il a toujours été extrêmement ambitieux. Sans toutefois que ce soit malsain. Certains sont prêts à tout pour réussir, pas Felice. Et d’ailleurs cela s’est vu dans cette histoire de SMS. Moi, je vous le dis, c’est un mec droit et entier. Je pense que les supporters carolos l’ont bien compris et le soutiennent à fond. Il n’a pas mérité d’encaisser tout ce qui s’est dit sur lui. Mais une fois encore, je suis convaincu qu’il en sortira plus fort. Partout où il est passé, il n’a laissé que de bons souvenirs.  »

Laurent Gall est aussi un ami de longue date. Plus précisément depuis septembre 1982. A cette époque, les deux hommes s’étaient inscrits pour devenir moniteur de plaines de jeux et ils suivaient des cours tous les samedis matins au Service Provincial de la Jeunesse à Charleroi.

 » Felice jouait à ce moment-là en scolaires provinciaux au Sporting Charleroi et je jouais dans la même catégorie mais au RACS Couillet « , raconte-t-il.  » Ensemble, nous avons pas mal festoyé. C’était mon pote de guindailles et nous avons passé toutes les réveillons de la Saint-Sylvestre ensemble, avec nos amis pendant plus de 20 ans. Je suis fier de ce que réussit Felice tout en restant la même personne : accessible et jovial. Il s’est toujours impliqué à fond dans ce qu’il fait mais ça lui a procuré beaucoup de stress. Réussir à Charleroi, je pense qu’il le voit comme un signe du destin. Il a eu ce qu’il voulait et je pense qu’il ne s’arrêtera pas là.  »

Etre un enfant du Pays Noir et réussir à Charleroi, c’est comme être un Romain pure souche façon Francesco Totti et ramener le Scudetto dans la Ville éternelle. C’est un sentiment plus enivrant encore que la fierté. C’est la quintessence du métier de coach, être reconnu pour avoir fait ce que peu de gens avaient réussi avant vous.

Envie de réussir

 » Le jour où Felice ira coacher à l’étranger ou qu’il sera à la tête d’un grand club belge, tout le monde se souviendra malgré tout de ce qu’il a réussi avec les Zèbres « , narre sa soeur, Pasqualina, maman de deux petites filles : Léa (12) et Margot (10). Pas férue de foot pour un sou, elle s’y intéresse de plus en plus.  » Je sais qu’il est dans le Top 4 et qu’aux normes de Charleroi, c’est tout bonnement exceptionnel. Feli a toujours eu cette envie de réussir. Il sait d’où vient notre famille, des sacrifices que nos parents ont réalisés. Papa envoyait de l’argent à sa famille en Italie pour qu’elle s’en sorte. Nous ne sommes pas toujours partis en vacances. Moi-même, je n’ai découvert la terre de mes parents que depuis quelques années. Pour des enfants d’ouvriers comme nous, la réussite est savoureuse. Nous n’oublions pas d’où l’on vient et quand on se retrouve tous ensemble, c’est la fête !  » ?

PAR DAVID DUPONT – PHOTOS: BELGAIMAGE/DIEFFEMBACQ

 » Dès son plus jeune âge, Felice avait un regard analytique sur le jeu. Sans le savoir, il se préparait à sa vocation future.  » Antonino, son frère

 » Son amour pour Charleroi est indéfectible.  » Jean-Paul Godeau, son ami

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