POUR DEMAIN

27 ans de guerre civile ont ravagé ce pays pour lequel la Coupe du Monde représente bien plus que le seul sport.

Les propos de Justino Fernandez, le président de la fédération angolaise de football, sont durs :  » Suite à la guerre qui a ravagé le pays, nous sommes le numéro un mondial au nombre de personnes amputées. On le constate chaque jour en rue. Beaucoup de nos enfants ne peuvent s’adonner au football, beaucoup de nos enfants n’ont même pas de foyer « .

Fin janvier, à la Coupe d’Afrique des Nations, nous assistons à un entraînement de l’équipe angolaise à Dreamland, le quartier résidentiel ouest du Caire, où hôtels de luxe et terrains de golf abondent. Fernandez balaie du regard le mini Disney Park situé de l’autre côté du terrain. Un gosse glisse sur un toboggan.  » Nous n’avons pas d’infrastructures de qualité en Angola. Seules les capitales provinciales abritent quelques stades. Nous devons tout reconstruire, à commencer par des écoles. Nous disposons de ressources naturelles. Après le Nigeria, nous sommes le deuxième producteur de pétrole d’Afrique, notre sous-sol recèle de l’or et de diamant et, notre terre est abreuvée par les plus grandes rivières. Nous voulons £uvrer à la reconstruction car nous sommes un peuple déterminé mais nous n’obtenons guère d’aide internationale. Les Nations Unies ne nous soutiennent guère parce que nous avons des richesses naturelles. Le problème, c’est que pour les exploiter, nous avons besoin de personnel technique et la guerre nous en a privés. Nous sommes pris dans un cercle vicieux. Le football constitue une carte de visite pour en sortir, pour faire venir les gens dans notre pays « .

La guerre civile remonte à 1966, quand Jonas Savimbi, le leader des rebelles de l’UNITA, s’est battu contre les colons portugais, pour libérer son pays. L’Angola a obtenu son indépendance en 1975 mais la guerre a fait rage jusqu’en 2002 car l’Amérique et l’Afrique du Sud ont continué le combat aux côtés de l’UNITA pour lutter contre l’idéologie communiste que Cuba et le MPLA, le front de libération, voulaient imposer au pays. Savimbi a été assassiné en février 2002 et ce fut la fin de la résistance : le MPLA de José Eduardo dos Santos arriva au pouvoir. Plus de quatre millions de personnes sont encore sans foyer, beaucoup d’autres ont émigré dans les pays voisins, la République démocratique du Congo et la Zambie.

Un pays en ruines

Sous l’influence de traditions sportives communistes, certains clubs angolais sont liés à des pouvoirs et administrations publiques. L’Inter Club et le Pedro Atletico appartiennent à la police, Primero Agosto à l’armée. L’AS Aviacao, champion, est lié à la TAAG, la société de transport aérien de l’Angola. Ces formations-là peuvent payer convenablement leurs footballeurs, mais les installations restent vétustes.

Luanda, la capitale, n’est que ruines. La Cidadela, le stade national, n’a plus de tribunes et les dix mille spectateurs autorisés doivent s’asseoir à même le sol. Pourtant, l’équipe nationale peut se préparer convenablement pour le Mondial grâce au soutien du gouvernement et du lobby du pétrole.

Le chemin parcouru force l’admiration. En 1996, l’ancien international portugais Carlos Alhinho, sélectionneur de l’Angola, est parti à la recherche de Portugais aux racines angolaises afin de renforcer son équipe. Le sélectionneur actuel suit la même voie : il a récemment convoqué Mateus Matinungina, de Sprimont, pour un test. Beaucoup d’entre eux, bien qu’ils n’aient jamais mis un pied en Angola, y ont vu une occasion rêvée de devenir internationaux. La génération actuelle aussi. Paulo Figueirdo, un des rares Blancs de l’équipe, est ainsi devenu un des principaux maillons de l’entrejeu. Il a fui l’Angola avec ses parents à l’âge de trois ans et évolue en D3 portugaise. Beaucoup de joueurs ont donc échappé aux horreurs de la guerre.  » Notre football est avant tout un happy football « , explique Figueirdo, ce que confirme l’entraîneur adjoint, Alvaro De Almeida Mabi :  » La joie est un trait marquant des Angolais car la guerre est achevée et nous sommes emplis d’espoir « . Mabi a étudié à la Pedagogische Sportschüle (haute école d’éducation physique) de Zwickau (RDA) et parle couramment l’allemand, comme le sélectionneur, Luis Oliveira Goncalves, qui a également accompli une partie de sa formation en Allemagne.

En voyant ses joueurs se bousculer gaiement en effectuant des tours de terrain, Goncalves n’a pu réprimer un sourire. Il connaît bien ses gamins : depuis 1992, celui qu’on appelle le Professeur, puisqu’il a entamé sa carrière dans l’enseignement, travaille à la Fédération angolaise de football. Il a entraîné toutes les équipes d’âge. Il a qualifié les – 17 ans pour la Coupe d’Afrique et atteint le deuxième tour du Mondial des -20 ans en Argentine en 2001. Akwa avait 15 ans quand il a entamé sa carrière internationale sous la houlette de Goncalves, Mantorras en avait 14. L’ossature de cette phalange de jeunes est désormais au service de l’équipe Première.

Espérance de vie : 38 ans

Flanqué d’un interprète de l’ambassade de l’Angola au Caire, Goncalves choisit ses mots avec soin pour expliquer sa tâche en détail :  » Notre football n’est pas professionnel mais il n’est plus amateur non plus. Notre championnat reste un des plus faibles d’Afrique. Seuls trois internationaux évoluent encore au pays, d’ailleurs. Mais la situation de la plupart de nos joueurs s’est nettement améliorée. Elle est de toute façon plus propice pour ceux qui évoluent à l’étranger mais les contrats offerts par l’Angola sont décents. En revanche, il reste encore beaucoup de pain sur la planche pour améliorer les conditions de travail. Nous qualifier pour la Coupe d’Afrique et le Mondial a été très difficile et très important. Au début, les gens ne croyaient pas à mon projet, d’ailleurs. Nous avons donc commencé avec un cercle restreint mais au fil de nos résultats, nous avons été rejoints par de plus en plus de monde et notre tâche a été facilitée « .

Il s’est d’abord penché sur l’amélioration des installations et matériel ayant besoin d’une sérieuse rénovation :  » Nous avons aussi quitté l’hôtel habituel, où beaucoup de supporters passaient, au profit d’un établissement plus calme en bordure de la ville. Pour les vols en Afrique, nous avons notre propre charter. Nous emportons toujours notre nourriture et nos boissons et même un cuisinier. Nous mangeons à l’angolaise afin que chacun se sente comme à la maison. La fédération offre de meilleures primes de match et nous avons pu disputer de bons matches d’entraînement contre des clubs portugais. Notre participation doit constituer un stimulant. Chacun va faire de son mieux, sachant que tout le monde nous regarde et que c’est l’occasion rêvée de décrocher un contrat en Europe. Le sport se flanque aussi d’un côté politique : beaucoup de gens vont découvrir l’Angola. Je pense qu’il y a des gens, dans le monde, qui n’en ont encore jamais entendu parler. Quand nous avons assuré notre qualification, certains nous ont même demandé où se situait l’Angola. La Coupe du Monde constitue donc une forme de publicité pour notre pays « .

Un changement s’impose car en 2004, l’Angola a encore consacré 183,58 millions de dollars, doit 10,6 % de son produit national brut, à des fins militaires. La CIA a également mentionné, dans son World Factbook annuel, que l’espérance de vie moyenne en Angola est de…38 ans. Sur une population totale de 11.190.786, on dénombre 4.861.292 enfants. 20 % d’entre eux n’atteindront pas l’âge adulte.

RAOUL DE GROOTE, ENVOYÉ SPÉCIAL AU CAIRE

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