POUMON VERT ET NOIR

Notre série consacrée au premier terrain des Diables rouges nous emmène à Ganshoren, au nord de la capitale. Là où tout a commencé pour Jason Denayer.

C’est un paysage comme seuls les clubs bruxellois peuvent en offrir. Le ring est à quelques rues de là, mais les bruits de klaxons de l’heure de pointe n’atteignent pas cet enchevêtrement de ruelles qui semble vouloir perdre les conducteurs pour leur faire oublier les odeurs et les sons de la ville. À quelques centaines de mètres du terrain où évolue l’équipe première, les jeunes de Ganshoren foulent une pelouse synthétique rendue bruyante par les cris d’enfants qui font trembler les filets avec les noms de DennisPraet, LionelMessi ou CristianoRonaldo sur le dos.

Le terrain est au coeur d’une cuvette artificielle, bordée d’interminables tours à appartements qui semblent servir de tribunes de fortune au voisinage. Les façades arborent des couleurs criardes qui tranchent avec un ciel bien trop menaçant pour un mois d’avril, tandis que quelques arbres installés de l’autre côté du grillage servent de spectateurs silencieux. C’est dans cette improbable combinaison urbaine que Jason Denayer a commencé à jouer au football. Le fils a choisi le ballon, le père a choisi les couleurs.

 » Personnellement, je n’ai pas connu Jason « , explique Marc Namêche, le correspondant qualifié du club de Ganshoren.  » Par contre, j’ai bien connu son père, André. Je me souviens qu’il était notre latéral droit en minimes. Il a longtemps habité à Ganshoren. Ici, c’était un peu son club. Donc, finalement, c’est logique qu’il ait fini par y affilier son fils.  » Après avoir été sur celles d’André Denayer, le maillot vert et noir s’est donc posé sur les épaules de Jason.

Si Ganshoren, aujourd’hui en Promotion chez les seniors et en catégorie provinciale chez les jeunes, a de quoi attirer l’oeil, le tableau footballistique était loin d’être aussi reluisant en 2003, quand Jason Denayer s’affilie et touche ses premiers ballons avec les Diablotins du club.  » Le terrain synthétique, c’est un formidable outil pour les gamins, on en est vraiment très content. Mais on l’a seulement depuis trois ans « , rappelle Dany Bertels, le RTFJ (responsable technique de la formation des jeunes) du club.  » Avant, c’était un bac à sable, ça n’avait vraiment rien à voir.  » Et le club n’avait pas encore de provinciaux.

AU-DESSUS DU LOT

C’est donc en U8 régionaux que le futur Diable rouge inscrit ses premiers buts. Tony Barsanti, coordinateur présenté par ses confrères comme  » l’encyclopédie des jeunes de Ganshoren « , ouvre la boîte à souvenirs dans la cafétéria du centre sportif voisin. Du typiquement bruxellois, à nouveau, pour cet établissement où trônent posters des Diables rouges, d’Anderlecht et couleurs de Ganshoren, puisque l’endroit sert d’installations à l’école de jeunes vert et noir :

 » Jason est arrivé ici à huit ans, en 2003, et il est resté avec nous pendant trois saisons. Si on est surpris de sa réussite ? On l’est toujours un peu. Disons qu’on ne s’attendait pas à le voir porter le maillot du Celtic, celui de Galatasaray ou celui de Manchester City. À cet âge-là, on ne sait jamais dire jusqu’à quel niveau ils iront…  »

 » Celui qui saura dire de gamins de huit ans qu’ils deviendront des pros, il sera très riche, hein « , glisse Dany Bertels, avant de laisser Barsanti reprendre son récit :  » Mais Jason, il avait déjà des qualités au-dessus de la moyenne. Pour un gamin de son âge, il avait tout. Techniquement, il était au-dessus du lot, mais il restait un enfant très discret. Calme et appliqué.  »

Suivi à la trace par son père,  » qui était là à tous les matches, mais aussi à tous les entraînements « , Jason entame son parcours balle au pied dans l’équipe de Patrick Willeborts, un entraîneur de jeunes qui a aujourd’hui disparu du paysage footballistique, au point d’avoir perdu la trace du plus talentueux de ses anciens protégés jusqu’il y a peu.

 » C’est mon fils qui m’a fait remarquer qu’un certain Denayer jouait au Celtic l’année dernière, alors j’ai fait le lien « , explique le premier coach de Jason. Si Tony Barsanti a retenu la technique du premier Diable rouge de l’histoire de Ganshoren, qui a aussi connu les passages de Cisco et Emilio Ferrera, ainsi que du jeune Alexis Scholl, Willeborts a plutôt été marqué par la frappe de Denayer :  » Il avait de la poudre dans les pieds. Il jouait et frappait des deux pieds, et bottait les phases arrêtées. Ses corners et ses coups francs étaient phénoménaux.  »

La consigne chez les U8 de Ganshoren est alors très simple : on donne le ballon à Jason, et il s’occupe du reste.  » Lui, il n’y avait même pas besoin de lui donner de consignes, parce qu’il ne prenait aucun risque. Il n’hésitait pas à remettre la balle en retrait au gardien si c’était nécessaire « , poursuit Willeborts, qui se rappelle aussi une anecdote fréquente sur les bords des terrains de jeunes :  » Comme il était plus grand que les autres, les adversaires demandaient souvent s’il n’était pas trop âgé pour jouer en Diablotins.  »

ATTAQUANT À NEERPEDE

Trop âgé, non, mais trop fort, indéniablement. C’est lors d’un tournoi de jeunes que Jason tape dans l’oeil des recruteurs mauve et blanc. Nous sommes alors en 2006, Jason a seulement onze ans, et Ganshoren ne fait rien pour le retenir contre sa volonté :  » On ne bloque jamais un joueur s’il peut franchir un ou deux échelons en allant dans un autre club « , explique Tony Barsanti.

 » On essaie seulement d’en parler avec eux et avec leurs parents, parce que la concurrence entre les gamins à Neerpede, ce n’est pas la même qu’ici évidemment.  »  » Mais ça reste très difficile de les convaincre de rester « , poursuit Bertels.  » Porter ce maillot mauve, pour la plupart des gens qui grandissent dans la capitale, ça reste un rêve d’enfant. Finalement, avoir des jeunes repérés par de plus grands clubs, ça reste une fierté pour nous. Cette année, on a encore un U8 qui part au Sporting, et un autre jeune qui a attiré l’intérêt de Tubize.  »

Un honneur qui a évidemment son revers, puisque le moindre talent hors-normes qui porte le maillot vert et noir échappe difficilement aux radars des clubs les plus gourmands de la capitale.  » Le RWDM commence à attirer beaucoup de jeunes grâce à sa bonne propagande, mais le plus difficile, c’est de résister au regard d’Anderlecht. Ils voient nos joueurs dans les tournois, ils organisent des stages, sans compter leurs scouts qui circulent sur les bords des terrains de jeunes dans la capitale « , continue Dany Bertels.

Une omniprésence mauve qui a amené Jason Denayer à quitter le terrain en sable de Ganshoren pour grandir dans la pépinière de Neerpede. Le trajet ne se fait pas seul, puisque son ami et équipier Dilhan Necipoglu rejoint également le Sporting.  » Jason allait jouer avec les nationaux et moi, avec les provinciaux, parce qu’ils me trouvaient trop frêle. Jason était déçu, mais il a poursuivi sa route.  »

Une route qui s’éloigne de Ganshoren. Du club, mais aussi de la ville, puisqu’il s’installe avec son père dans le quartier d’Anneessens, un endroit de la capitale plus connu pour sa jeunesse difficile que pour son amour du football, malgré un club de futsal qui s’est installé depuis cette saison parmi les meilleures formations du pays. Quand il ne multiplie pas les buts à Neerpede, où il sévit comme attaquant bien avant d’être reconverti comme défenseur lors de son passage par l’Académie Jean-Marc Guillou à Tongerlo, Jason caresse le ballon sur le bitume de la place Anneessens.

Là où beaucoup sombrent dans la case  » jeunesse à problèmes « , Denayer se découvre une nouvelle famille. Il ne la quittera jamais, même quand il ira parfaire sa formation à pieds nus à l’Académie Guillou. Là, il retrouve Necipoglu, et Anderlecht laisse partir sans regrets un enfant qui n’est pas considéré comme l’une des pépites de sa génération. Même le paternel n’est pas malheureux de voir son fils quitter un club où il était seulement considéré comme un attaquant, alors qu’André reste persuadé que sa meilleure place n’est pas devant.

ANNEESSENS ET GANSHOREN

Encore aujourd’hui, lors de ses retours au pays, le défenseur prêté par Manchester City ne manque pas une occasion de rendre visite à sa famille d’adoption sur la place Anneessens, à quelques rues des hauts-lieux touristiques de la capitale. À l’inverse, ses amis le suivent jusqu’à Istanbul, car Jason tient à partager sa réussite avec eux.

Les enfants d’Anneessens font un  » A  » avec les doigts en hommage au quartier qui les a vus grandir dès que l’occasion se présente. Le Diable rouge l’a fait, lui aussi, mais devant les caméras après avoir fait trembler les filets. Par contre, il n’est jamais revenu à Ganshoren.  » Ils habitaient à Ganshoren avant son départ pour le Sporting mais une fois qu’ils ont déménagé, on a perdu la famille de vue « , raconte Tony Barsanti.

 » Quelque part, c’est normal, plus rien ne devait les ramener ici. Mais ça nous ferait plaisir de revoir Jason, qu’il nous rende une petite visite comme on voit parfois EdenHazard le faire à Braine-le-Comte. Pour les enfants du club, ce serait un moment inoubliable.  »

De nombreux jeunes de Ganshoren sont d’ailleurs au courant qu’un Diable rouge a porté les couleurs du club. Et Dany Bertels ne manque pas l’occasion de le rappeler à leurs parents, comme un gage de la qualité de la formation apportée par Ganshoren :  » Quand j’ai fait une présentation du projet du club voici quelque temps, j’avais préparé un powerpoint. Et ma dernière diapositive, c’était une photo de Jason. Ici, il est devenu un exemple.  »

PAR GUILLAUME GAUTIER – PHOTOS BELGAIMAGE – LAURIE DIEFFEMBACQ

 » Il avait de la poudre dans les pieds et bottait les phases arrêtées. Ses corners et ses coups francs étaient phénoménaux.  » – PATRICK WILLEBORTS, SON PREMIER ENTRAÎNEUR AU FC GANSHOREN

 » La dernière dia de mon powerpoint, c’est une photo de Jason. A Ganshoren, il fait figure d’exemple.  » – DANY BERTELS, RESPONSABLE TECHNIQUE DE LA FORMATION DES JEUNES

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire