Le retour de Mr Feelgood. © AUDOIN DESFORGES

Positive attitude

A 72 ans, le patriarche de la famille Chedid sort un nouvel album, Tout ce qu’on veut dans la vie. Où il se pose plus que jamais en chansonnier bienveillant, prônant l’amour et la bonne nouvelle pour contrecarrer la sinistrose et le cynisme ambiants.

Vous êtes de passage à Bruxelles pour promouvoir votre dernier album. C’est une ville que vous connaissez bien, non ?

Oui, j’y ai même étudié ! C’était en 1968. Après les événements du mois de mai, à Paris, c’était le bordel complet dans les écoles. A la rentrée, les universités étaient toujours en grève. Un copain m’a parlé de l’Inraci, à Bruxelles. A la dernière minute, j’ai pu m’inscrire. On vivait dans un petit appartement chaussée d’Alsemberg. J’ai adoré cette période. Mais au bout d’un an et demi, j’ai reçu une proposition de travail à Paris comme assistant monteur. Je suis rentré pour gagner ma vie.

Où étiez-vous en mai 68 ?

En plein dedans. J’habitais boulevard Saint-Germain. De mon balcon, je voyais les CRS et les manifestants se taper dessus. Je me trouvais à la Sorbonne quand Cohn-Bendit, que l’on disait en cavale en Allemagne, est revenu incognito, perruque sur la tête. Quand il est arrivé, il a reçu une ovation incroyable.

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur cette époque ?

Il est forcément très différent. Je vois ce qu’est devenu justement un mec comme Cohn-Bendit… Beaucoup de ces gens-là, les soixante-huitards, gens de gauche purs et durs, sont devenus de grands bourgeois, qui parlent beaucoup, mais ne font pas grand-chose. Ils sont décevants. Ils ont perdu une bonne part de ce qui semblait être leurs idéaux. Je vois pas mal d’hypocrisie…

Encore un peu, et on vous ferait perdre votre légendaire bonhomie. Dernièrement, un quotidien français titrait à propos de votre nouveau disque, le  » retour de Mr Feelgood « …

Ah mais l’un n’empêche pas l’autre. On peut être optimiste et en même temps lucide, analyser clairement les choses. Etre positif, cela ne veut pas dire passer pour le benêt de service. Un morceau comme Anne, ma soeur Anne, par exemple, n’était pas spécialement  » feelgood  » à l’époque – il l’est encore moins aujourd’hui. Mais je vois toute la haine, toute la boue actuelle. Je ne veux pas contribuer à ça. Je pourrais plomber le public, ne raconter que des histoires déprimantes… C’est très simple à faire. Mais pour moi, le vrai combat, c’est le contraire. Mon but est de tirer les gens vers le haut, leur dire  » attendez il n’y a pas que ça « .

On réduit trop facilement la société à quelques abrutis, qui laissent des messages haineux sur les réseaux sociaux.

Dans Volatile comme…, vous chantez notamment :  » La raison et les connaissances livrent un combat perdu d’avance/Ils sont bien peu de choses à côté d’un coeur et son intelligence « .

Je veux simplement rappeler qu’on peut avoir des sentiments les uns envers les autres, être bienveillant, solidaire, etc. C’est d’ailleurs ce que font la plupart des gens. Ceux que je fréquente, ce n’est pas du tout ce que je vois à la télé, ou ce que j’entends à la radio. Ce ne sont pas des gens qui cherchent à niquer leur voisin, ou balancer des photos porno sur Internet pour se venger, etc. La vérité, c’est ça. On résume et on réduit trop facilement la société à quelques abrutis, qui laissent des messages haineux sur les réseaux sociaux.

Cette  » positive attitude  » est-elle facile à tenir ?

A la sortie du single Tout ce qu’on veut dans la vie, j’ai été très étonné des réactions. J’avais peur en effet que certains trouvent la chanson trop  » Bisounours « . Mais c’était bien le point : bousculer les gens et dire  » arrêtez de penser que tout est moche, que tout va mal « . Dit comme cela, les plus cyniques vont trouver cela complètement con et déplacé. Mais on vit quand même sur une planète extraordinaire. A fortiori en tant qu’Européens : on est dans des oasis. Pourquoi dire que tout est horrible et remettre une couche en permanence ? Je ne dis évidemment pas qu’il n’y a pas de gens qui souffrent. Mais si on se met toujours dans le registre de la mauvaise nouvelle, on est foutu.

 » Macron ne s’est pas fait élire pour qu’on le déteste. « © AUDOIN DESFORGES

Il ne faut pas être cynique pour constater que la société, la planète, sont en train de subir des bouleversements. En chantant malgré tout le positif, le risque n’existe-t-il pas de sonner faux ?

Je ne pense pas. De toute façon, quand vous sortez une chanson, vous ne savez pas ce qui va se passer. Pour Anne, ma soeur Anne, ma maison de disques ne voulait pas en faire un single. Elle me disait :  » Ne fais pas ça, tu vas cliver « , ce genre de discours marketing à la con. Pour moi, Tout ce qu’on veut dans la vie, c’est pareil. L’idée est de revenir à l’essence des choses, à ce qui nous plaît, nous touche et nous fait du bien. Que vous vous appelez Bernard Arnault ou l’abbé Pierre.

 » Tout ce qu’on veut dans la vie, c’est qu’on nous aime/Même si c’est pour la nuit, on prend quand même/Des parents, des amis qui nous comprennent « …

Oui, c’est ça. Même Emmanuel Macron ne s’est pas fait élire président de la République pour qu’on le déteste.

En France, le climat politique et social reste malgré tout particulièrement tendu…

En effet. On est pourtant dans un pays privilégié. Les gouvernants ont tellement fait croire qu’ils allaient résoudre tous les problèmes : c’est faux. Cela n’a jamais existé. Résultat : au moindre souci, c’est la faute de machin, de truc. Les gens ont la sensation que tout doit être réglé par les autres, par ces gens pour qui on a voté. C’est un leurre total.

Dans Redevenir un être humain, vous chantez :  » Les yeux rivés sur nos smartphones/Et nos cerveaux dans le formol/Moitié robot, moitié homme/On n’entend ni ne voit plus personne.  » Etes-vous présent sur les réseaux sociaux ?

Oui, je suis sur Instagram et Facebook. Mais uniquement pour parler de ce que je fais, pas pour polémiquer, et balancer que tel ou tel est un connard. J’évoque uniquement mon travail. A ma manière : j’écris le message à la main, je le photographie, et je le poste tel quel. Rien que ça, cela humanise un peu le propos. Dernièrement, j’ai fait un jeu où j’ai fait découvrir chaque titre de l’album au public, en demandant à ceux que cela intéressait de compléter les phrases. Je pensais obtenir une dizaine de réponses. J’en ai reçu des centaines. Voilà, c’est ludique, c’est marrant, il y a tout à coup un petit côté poète du dimanche qui est chouette.

Et en même temps, vous vous méfiez de l’outil…

Les réseaux peuvent amener le meilleur et, plus souvent, le pire. Cela peut être très violent. Des gens voient leur vie privée jetée en pâture. Tout à coup, cela dépasse les bornes. Regardez le cas de Griveaux (NDLR : candidat à la mairie de Paris qui a dû renoncer après le dévoilement de photos intimes volées). Cette histoire, c’est le Corbeau, de Clouzot. Aujourd’hui, cela devient une info du jour, relayée partout. Il faut combattre ça, ne pas se laisser avoir. Car il y a aussi une espèce d’entraînement, de confusion. On ne sait même plus ce qui est vrai ou pas, ni d’où cela sort. Je veux me démarquer de tout ça, rappeler à travers mes morceaux que les rapports humains ne ressemblent pas forcément à ce qu’on lit sur Twitter.

Vous dites qu’il est important d’écrire des chansons qui plaisent.

Ah oui, c’est la base : séduire ceux qui écoutent. Sinon votre message ne passe pas. Une chanson comme Danser sur les décombres, par exemple. Si la musique est aussi angoissée que le texte, c’est contre-productif. Pareil, à nouveau, pour Anne, ma soeur Anne. Si j’avais aligné la musique sur l’humeur des paroles, elle serait probablement passée à l’as. Donc, cela vaut le coup de mettre les formes pour faire passer ce que vous avez envie de dire. A fortiori quand, comme ici, le but est de mettre l’accent sur les choses qui font du bien.

Louis Chedid, Tout ce qu'on veut dans la vie, distr. Pias. En concert le 6 mai, au Central, à La Louvière.
Louis Chedid, Tout ce qu’on veut dans la vie, distr. Pias. En concert le 6 mai, au Central, à La Louvière.

Vous tenez à ce que vos chansons soient accessibles. En même temps, votre album se moque complètement de l’air du temps.

Je pourrais inviter la dernière chanteuse pop à la mode pour lui faire chanter trois lignes. Mais il faut avant tout que cela ait un sens. Pour ce disque, j’ai quand même travaillé avec un réalisateur, qui m’a amené de nouvelles choses. Mais il ne faut pas faire les choses pour les mauvaises raisons. C’est Gainsbourg qui disait que la meilleure manière d’être démodé, c’est d’être à la mode… Ce qui est important, ce sont les chansons. Ce sont elles qui font la différence. Souvent on me dit  » à votre âge, vous n’avez plus rien à prouver « . C’est faux, totalement faux ! J’ai dix fois plus à prouver que n’importe qui d’autre. A chaque fois, il faut proposer quelque chose qui en vaille la peine, et qui ne vienne pas juste s’ajouter au reste. Parfois je réussis, parfois je me plante. C’est normal, cela fait partie de l’artisanat.

Il y a cette chanson dans l’album, Ne m’oubliez pas. La notion d’héritage est-elle importante pour vous ? Pensez-vous à ce que vous allez laisser ?

Non. Du tout… Enfin si, quand même. J’aimerais qu’on pense que ce que j’ai pu produire est digne, ça oui. Que les gens qui me sont proches puissent se dire :  » OK c’était pas mal « , et pas juste  » bah, il était sympa, quoi  » (rires). Laisser quelque chose qui a un sens, une profondeur, c’est important. Mais c’est presque par bienveillance pour ceux qui restent (rires). Parce que moi, je m’en fous. Je ne serai plus là. Quoi qu’il en soit, on continue de vivre dans le souvenir des gens. Ma mère vit dans mon souvenir. Et de temps en temps, quand je pense à elle, il m’arrive de sourire, ou d’être ému. Et comme je crois qu’on ne finit pas comme ça, sans rien derrière, je me dis qu’elle sourit peut-être aussi.

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