Pompiers de service

Un Espagnol, un Français et un Belgo-Néerlandais pour seconder un technicien serbe : ils parlent l’esperanto du football.

Si MiroslavDjukic commence déjà à faire parler de lui, son préparateur physique espagnol JoséMascaros et son T2 français RaymondHenricColl font encore figure d’illustres inconnus. Ce dernier a même été présenté comme un simple traducteur.  » Je suis entraîneur avant d’être traducteur « , se défend-il.  » C’est vrai que Djukic cherchait un T2 capable de relayer ses directives en français aux joueurs, mais j’ai décroché mon diplôme d’entraîneur à l’école de Valence. D’ailleurs, jusqu’à ce jour, j’ai toujours été T1.  »

Valence, point de ralliement

T1, oui, mais à la tête d’une équipe féminine. Toute une histoire.  » En fait, j’ai arrêté ma modeste carrière à 23 ans parce que j’éprouvais plus de plaisir à entraîner qu’à jouer. Dans l’école où j’étais éducateur, j’ai créé une équipe féminine avec des étudiantes de 16 ou 17 ans. Cette équipe s’est inscrite à la Fédération espagnole et a démarré en D2 régionale, l’échelon le plus bas de la hiérarchie. Elle a gravi, un à un, tous les échelons pour atteindre la D1 nationale. Elle a fini par être absorbée par le FC Valence sous le nom duquel elle dispute la Liga. Outre cette équipe-là, j’ai aussi entraîné les équipes d’âge masculines du FC Valence et la sélection régionale valencienne féminine. J’entame ma onzième année comme entraîneur. Pour moi, entraîner des filles ou des garçons, c’est le même boulot.  »

Le nom Henric-Coll évoque aussi toute une histoire.  » Il est à connotation catalane. En fait, c’est l’assemblage de deux noms de famille que je dois à mon grand-père, originaire de Perpignan. C’était un enfant adopté : la première partie du nom est celui de son père biologique, la seconde celui de son père adoptif. Dans le monde, il n’y a que mon père, mes frères et moi qui portons ce nom-là. En ce qui me concerne, je suis né à Montpellier d’un père français et d’une mère espagnole. Je ne suis resté que six mois dans l’Hérault. Jusqu’à neuf ans, j’ai grandi à Toulouse et à Paris, puis la famille a déménagé à Valence, du côté de ma mère. « 

Valence, c’est aussi la ville de Mascaros, qui y est né.  » Mes qualités footballistiques ne m’ont jamais permis de briguer davantage qu’un poste d’arrière droit dans le club de quartier de San Marcelino, en D3 espagnole « , explique-t-il.  » En revanche, j’avais une bonne condition physique et j’ai rapidement eu envie de transmettre la recette à d’autres sportifs. J’ai suivi des cours pendant cinq ans à Lleida, en Catalogne, et j’ai obtenu une licence de préparateur physique spécialisé en foot. J’ai commencé par m’occuper de gamins de huit ans au centre de formation de Valence. Progressivement, j’ai dirigé des catégories d’âge plus élevées : 12 ans, 16 ans, etc. Jusqu’à intégrer le staff de l’équipe Première. Ces deux dernières saisons, sous RonaldKoeman puis UnaiEmery, j’étais le second préparateur physique du noyau A.  »

 » Villa n’exploite pas son potentiel « 

José Mascaros s’est occupé de vedettes : DavidVilla, DavidSilva, JuanMata, CarlosMarchena, IvanHelguera, FernandoMorientes, Edu…  » Ce sont d’abord des joueurs très doués techniquement, pas forcément des athlètes « , dit-il.  » PabloHernandez était sans doute le plus athlétique. ManuelFernandes émergeait également : chez lui, c’est génétique, la nature l’a doté d’une puissance exceptionnelle. Et dur au mal : la saison dernière, il a joué quasiment tout un match avec une fracture du péroné ! Il a été victime d’une agression après 20 minutes de jeu, a ressenti une vive douleur mais a mordu sur sa chique. Ce n’est que le lendemain, après l’échographie, qu’on s’est aperçu de la fracture. Je garde aussi un bon souvenir de Mata : un joueur rapide, mais très réceptif et très travailleur. Villa ? Il a un potentiel intéressant mais ne l’exploite pas à fond. Le calendrier démentiel ne permet pas toujours de travailler à 100 % en Espagne. Durant la saison, on joue tous les dimanches et tous les mercredis. On travaille surtout physiquement entre la mi-juillet et la fin août. Après, il faut se contenter de rappels.  »

Koeman et Emery sont deux entraîneurs très différents.  » Le Néerlandais impose une discipline de fer, mais j’ai apprécié sa ligne directrice très claire « , poursuit Mascaros.  » Emery, un jeune entraîneur qui s’était révélé à Almeria, est un peu moins dur avec les joueurs et sa ligne n’était pas toujours très droite. J’avais l’impression que, d’un joueur à l’autre, il y avait deux poids et deux mesures. Ce n’était pas très sain. « 

Mascaros a donc connu les années tumultueuses de Valence :  » Lorsque SantiagoCañizares, DavidAlbelda et MiguelAngelAngulo ont été écartés de l’équipe, j’ai été chargé d’entretenir leur condition en marge des autres. Pas un cadeau, car vous imaginez qu’ils n’étaient forcément pas de très bonne humeur. Mais c’est une expérience que je peux ajouter à mon CV. L’ambiance était explosive. Le problème, ces dernières années, c’est qu’on ne savait plus très bien qui dirigeait le club. Le pouvoir passait d’une personne à l’autre et on ne se demandait à qui il fallait obéir. Un jour le président prenait une décision, le lendemain le vice-président en prenait une autre. La victoire finale en Coupe du Roi 2008, contre Getafe, a permis de sauver une saison morose. Le seul moment de joie, pratiquement.  »

Envie de suivre Djukic

Ce qui amène Henric-Coll et Mascaros à Mouscron, c’est la présence de Djukic.  » Et la perspective de pouvoir réellement mettre ma méthode en pratique comme préparateur physique n°1 « , ajoute José.  » A Valence, c’était parfois frustrant : j’avais ma petite idée sur ce qu’il y avait lieu de faire, mais je n’avais pas les coudées franches. Il m’est arrivé que Villa ou une autre vedette me dise : – OK, José, tuassansdouteraison, maisjedoisd’abordfairecequel’entraîneurprincipalmedit. A Mouscron, Djukic me laisse beaucoup de liberté. Et je suis agréablement surpris par la réceptivité des joueurs : ils ont tous envie de travailler pour progresser. Ce n’était pas toujours le cas à Valence : les footballeurs de la Liga ont gagné, très tôt, beaucoup d’argent et n’ont pas toujours envie de se faire mal. Et si la plupart finissaient par s’exécuter, c’était parfois à contrec£ur.  »

Ni Mascaros ni Henric-Coll n’avait encore travaillé avec Djukic, mais ils le connaissaient forcément.  » En Espagne, tout le monde connaît Djukic « , clame le Français.  » Il jouit d’un respect énorme. 13 années dans la Liga, deux finales de Ligue des Champions, un titre, une Coupe du Roi : cela classe un footballeur. Lorsque Djukic se promène en rue à Valence, les gens le reconnaissent. J’apprends tous les jours à son contact. Franchement, c’est le top. Il fera une grande carrière « .

Lorsqu’on lui rappelle que JoséMourinho a également commencé sa carrière comme traducteur, Raymond sourit :  » Au FC Barcelone, il a effectivement fait pour SirBobbyRobson ce que je fais aujourd’hui pour Djukic… J’ai des ambitions comme entraîneur.  »

Mascaros abonde dans le même sens :  » Djukic est discipliné dans son travail comme il l’est dans sa vie. En fait, son travail, c’est sa vie. Et c’est contagieux. On a envie de le suivre. Car on a l’impression qu’il va dans la bonne direction. Il a l’art de transmettre ses idées aux joueurs. En cinq minutes, il parvient à les convaincre. Sa force, c’est qu’il ne se contente pas de leur dire : – Faiscecioufaiscela ! Il leur explique pourquoi ils doivent le faire. Je connais des entraîneurs qui ont de très bonnes idées, mais ne parviennent pas à les transmettre.  »

Belgique, pays de cocagne

Henric-Coll et Mascaros découvrent la Belgique.  » Mon épouse, en revanche, avait déjà visité des villes comme Bruxelles, Bruges ou Gand « , révèle Raymond.  » Elle avait adoré. D’ailleurs, chaque fois qu’elle vient me rendre visite, elle me laisse au stade et saute dans le train pour revisiter ces lieux. Elle n’a malheureusement pas pu s’établir à Mouscron : son travail la retient à Valence. Dimanche passé, elle a malgré tout tenu à être à mes côtés pour mon 32e anniversaire. Cette séparation est difficile à vivre, mais c’est le métier. Et puis, José habite à l’étage au-dessus. Et Miroslav en face. On passe donc beaucoup de temps ensemble, cela crée des liens. « 

 » L’apprentissage du français m’occupe également « , enchaîne Mascaros.  » Je suis des cours à l’école Berlitz en compagnie de Djukic. J’étais déjà venu au Pays-Bas avec Valence, mais jamais en Belgique. J’apprécie beaucoup. C’est un petit pays mais très accueillant. Les gens sont aimables, la nourriture est excellente et le climat, pour l’instant, est très supportable également. On verra en hiver… « 

Et le prochain Espagne-Belgique ?  » Ce sera forcément très difficile pour la Belgique « , avance-t-il.  » Mais, en football, tout est possible. A la Coupe des Confédérations, les Etats-Unis ont réalisé ce que personne n’imaginait : mettre fin à une série de 35 matches sans défaite, grâce à un jeu physique et organisé qui a laissé peu d’espaces à des Espagnols un peu fatigués par une longue saison. L’Espagne a une très bonne équipe. Et la victoire à l’EURO 2008 lui a conféré cette foi qui lui a longtemps manqué. Il y a toujours eu de bons joueurs en Espagne, mais il manquait à l’équipe nationale cette culture de la gagne qui existait depuis longtemps au Brésil, en Argentine, en Italie, en Allemagne ou en France. Les vieux démons ont été chassés : désormais, il n’y a pas uniquement les clubs qui comptent. Et ce qui ne gâte rien, les joueurs sont des amis qui jouent ensemble depuis plusieurs années. C’est une donnée très importante. La rivalité entre les grands clubs existe toujours, mais lorsqu’ils se retrouvent en selección, les joueurs la mettent au placard pour défendre un intérêt commun. Si cet état d’esprit perdure, je crois l’Espagne capable de devenir championne du monde l’an prochain.  »

par daniel devos

« Lorsque Djukic se promène en rue à Valence, les gens le reconnaissent. (Raymond Henric-Coll) »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire