Polyglotte et fuite à Anvers

Vous avez émigré en Belgique il y a dix ans. Pas par hasard?

Dejan Mitrovic (29 ans): Non. J’ai fui mon pays. J’avais été appelé sous les drapeaux. Je devais partir au front. Je ne voulais pas me battre contre mes amis d’hier. Je ne suis pas un guerrier, je n’ai pas d’ennemis. J’ai trouvé ici un club de P1 mais le foot était accessoire à ce moment-là. Je venais d’une équipe de D1 yougoslave et j’ai effectué un fameux pas en arrière. Mais bon, c’était quand même mieux que la guerre. J’ai appris le néerlandais en trois mois. Une famille m’a hébergé. Comme si j’étais son enfant.

Etes-vous humaniste?

Je suis orthodoxe. Mes parents m’ont appris la tolérance. Ils m’ont inculqué des valeurs. Ils les conservent, même si la vie est devenue très difficile. Mon père est même choqué que je lui propose de l’aide. Beaucoup de choses ont changé en Yougoslavie. Moi, à 14 ans, je pouvais sortir deux fois par mois, jusqu’à 21h15. Tout était fermé à 23 heures. Maintenant, c’est comme ici. Obrenovac, notre ville natale, à 20 km de Belgrade, ne compte que 60.000 habitants mais soufre énorménent de la criminalité. La guerre et le désespoir ont entraîné l’anarchie.

Quelle est la situation actuelle de la Yougoslavie?

Les salaires sont passés de 500 euros à 125, voire 25, alors que les prix sont à peine moins élevés qu’ici. Les gens ne sont pas habitués à la misère car avant, on vivait bien: on avait une maison, une vie saine, une ou deux voitures. Notre passeport était le plus convoité car il donnait un accès aisé à tous les pays, à part les USA et la Grèce. Ma génération a perdu le droit à une vie décente. Partout, on voit des maisons détruites ou abîmées, que leurs propriétaires n’ont pas les moyens de reconstruire. Les gens n’ont ni travail ni argent. Le communisme, puis la guerre et les bombes ont tout détruit. Les infrastructures sont vieilles. Le pays va recevoir des subsides de l’Union Européenne, qu’elle devrait rejoindre, une fois l’union avec le Montenegro entérinée, en 2010. Mais le processus est long.

Avez-vous souffert de la guerre, ici?

Pas dans le regard des gens, mais les commentaires de la télévision m’ont peiné. Sans connaître tous les tenants et aboutissants, on nous a désignés comme coupables de tout. Attention: chacun a le droit d’avoir son pays. La Serbie aussi. Je me demande quand on trouvera une solution au problème des Balkans et je pense aux enfants.

Avant votre départ, avez-vous étudié?

J’étais un bon étudiant, mais le football m’accaparait. J’aurais pu poursuivre des études techniques après le secondaire. Outre le yougoslave, je parle allemand, néerlandais, anglais et un peu de français.

Qu’aimez-vous particulièrement chez Maja?

Nous nous connaissons depuis mai 1991, nous sommes mariés depuis sept ans. Je l’ai connue à l’école. J’avais 18 ans, elle 16. Elle a poursuivi sa scolarité quand je suis parti. Elle m’a rejoint pour trois semaines. J’ai dû rentrer au pays à cause de problèmes administratifs. A mon second départ, je savais que nous resterions séparés un an. Nous nous téléphonions, nous correspondions mais je n’étais pas sûr que notre relation dure, dans de telles conditions. Quand elle m’a rejoint, j’ai su qu’elle était la femme de ma vie. Elle est une femme et une mère formidables. La maison rayonne de son équilibre. Quand je suis seul avec les enfants, je mesure à quel point sa situation est difficile. Mais elle l’assume tous les jours. Pourtant, le petit est un véritable bandit! Maja est très positive. Lorsque j’ai des problèmes, elle me rend courage. Elle est attentionnée et me donne plein d’amour. Et elle me supporte (il rit)!

Pratiquez-vous d’autres sports?

Quand j’en ai le temps, du basket -notre sport national-, du tennis de table et du bowling.

Vos vacances idéales?

En Yougoslavie! J’aime la montagne, pour des promenades, du trekking, de la luge. Quand il n’y a pas de neige, j’opte pour la mer: notre côte est la plus belle du monde! Ça fait plaisir à Maja, qui aime l’eau. Enfant, elle passait trois mois par an à la côte avec sa mère. Nous sommes allés en Espagne. C’était beau mais il y avait trop de vent et de vagues. Et le sable nous collait partout. Chez nous, le coup d’oeil du sommet d’une montagne vers la mer est superbe. C’est une région touristique. En plus, elle n’est pas chère. C’est pareil pour le ski: c’est nettement moins onéreux qu’en France, en Autriche ou en Suisse.

Votre néerlandais est excellent!

Maja Mitrovic (26 ans): Oh non! Dejan et moi parlons yougoslave avec les enfants afin qu’ils n’oublient pas leurs racines et puissent comprendre leur famille. Il m’arrive de lire le journal ou de regarder la télévision en néerlandais. J’ai travaillé dans une boulangerie avant la naissance de Strahinja (un an et demi), car Jovana (cinq ans) allait à l’école. J’ai appris à tenir une conversation. J’estime que c’est normal car j’ai introduit ma demande de naturalisation. Pas pour le passeport mais parce que nous nous sentons bien en Belgique et que nous souhaitons y rester au terme de la carrière de Dejan.

Pourquoi portez-vous son nom?

Les femmes ont le choix. Je m’appelais Petrovic. Maintenant, tous les documents officiels portent mon nom de femme mariée.

Comparez la Belgique à la Yougoslavie…

Les Yougoslaves sont plus ouverts: ils se parlent, dès le matin. Dans la rue, le jardin. Ils passent chez le voisin. Les Belges savent l’apprécier: nous avons emmené un ami en Yougoslavie et il trouvait l’ambiance agréable. La nourriture est saine: la viande, mais aussi les légumes de saison. Ils sont sans produits chimiques et beaucoup de gens en cultivent dans leur jardin. Malheureusement, le pays est en ruines.

Vous plaisez-vous dans la banlieue de Bruges?

L’endroit est agréable, calme, dans la verdure, mais nous souhaitons acheter une maison ou un appartement à Anvers. Ça ne doit pas nécessairement être très grand. C’est là que se trouvent tous nos amis. Actuellement, nous les voyons une fois par semaine, tout au plus. Je n’ai personne pour garder les enfants et je n’aime pas les laisser à des inconnus.

Avez-vous effectué des études?

Ce qui correspond à vos humanités. Je m’étais inscrite à l’université, en chimie. C’est une tradition: mon père est ingénieur-chimiste et ma mère professeur de chimie. Elle m’emmenait souvent avec elle à l’université, quand j’étais petite. Mais j’ai rejoint Dejan en Belgique.

Rester à la maison ne vous pèse pas?

En automne, j’aimerais suivre des cours de français et d’informatique. A Mouscron, je m’adresse en néerlandais aux autres femmes. Elles comprennent, en général, et répondent en français. Dejan est un mari et un père dévoués. Il joue beaucoup avec les enfants. Dès leur naissance, nous nous sommes occupés d’eux ensemble. Le soir, je me défoule régulièrement au fitness. Et j’aime la natation. Je compte l’apprendre aux enfants. Et puis, il y a le ménage! Dejan est toujours prêt à donner un coup de main -surtout le soir, car il n’est pas matinal- mais il rentre vidé de l’entraînement.

Quelles sont les qualités de Dejan?

Il n’est pas difficile. Il lui arrive de rentrer de mauvaise humeur mais ça ne dure pas plus de cinq minutes alors que moi, je suis rancunière. Il respecte les autres. Surtout, il nous aime. La solitude a renforcé notre couple.

Aimez-vous le shopping?

Oui mais j’ai repéré un magasin qui vend de bonnes marques à des prix raisonnables. Je suis économe car qui sait de quoi demain sera fait? Et puis, nous aidons notre famille.

Quels sont vos autres loisirs?

Grâce au satellite, nous captons les chaînes yougoslaves mais nous regardons aussi des chaînes flamandes. Dejan voit tous les matches. Je lis des romans. Nos goûts musicaux sont identiques: le folklore yougoslave, la musique classique. Ma mère m’emmenait souvent à l’opéra. Je n’ai pas de compositeur favori: je préfère les CD de compilation. Je les choisis en fonction de mon humeur. Avant, nous allions souvent au cinéma. Mais les enfants doivent être au lit à 20 heures. Nous nous rabattons sur les vidéos. Evidemment, ce n’est pas une sortie.

Pascale Piérard,

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