Policier, Prince Carnaval et perdu…

L’homme qui a posé une bombe sous l’édifice du football belge vit difficilement pour l’instant.

Certes, dans l’absolu, on peut trouver petit, antisportif et tout ce que l’on veut, le fait de vouloir assurer son maintien en invoquant l’éventuelle non-qualification d’un jeune joueur du Lierse, JasonAdesanya, dont le nom était simplement couché sur la feuille du match contre Malines … et qui n’est pas monté au jeu une seule seconde.

Il n’a donc nullement influencé le résultat, sauf qu’ici, il ne s’agit pas d’une partie de cartes entre amis où l’on peut dire : – OK, tu as un peu triché mais je te laisse la victoire ! Il y va de la relégation d’un club professionnel, peut-être même de la survie du club avec tous les emplois qui y sont liés. C’est dans ce contexte que l’on peut comprendre la plainte du manager général de l’AS Eupen, ManfredTheissen.

Les germanophones sont terriblement frustrés : après avoir passé tout le deuxième tour hors de la zone des relégables, ils ont basculé à la 15e place lors de la dernière journée et sont obligés de disputer les PO3, un véritable parcours du combattant. Ils le doivent à une bonne dose de malchance (ça arrive…), à certains ratés pour lesquels ils ne doivent s’en prendre qu’à eux-mêmes, mais aussi à des décisions arbitrales préjudiciables (notamment lors des deux matches contre le Lierse), plus qu’aux performances d’autres clubs selon eux.

Theissen, qui a été perquisitionné (au club mais aussi à son domicile) par des… collègues (il est toujours commissaire de police en congé sans solde) afin de vérifier si le fameux document de plainte introuvable à l’Union belge a bien existé, ne veut plus parler à la presse pour l’instant. On le sent nerveusement épuisé, au bord de larmes qu’il ravale en décrochant son téléphone. Qui est donc cet homme qui a posé une bombe sous l’édifice du football belge ?

La Belgique s’arrête-t-elle à Liège ?

PaulBrossel fut le prédécesseur de Theissen au poste de manager général de l’AS Eupen.  » Pendant un an et demi, on a cherché la personne idéale pour ce poste, et lorsque Manfred a posé sa candidature, on s’est directement aperçu qu’il était l’homme de la situation. Manfred, c’est un ami, presque un membre de la famille puisque sa femme est une cousine de ma propre épouse, malheureusement décédée. Pendant tout un moment, il s’est occupé des transferts, comme je l’avais fait avant lui. Depuis l’arrivée des investisseurs italiens, je suppose qu’il n’est plus le seul à décider dans ce domaine. Comme tout être humain, Manfred est apprécié par certains et moins par d’autres, mais je pense qu’au club, il fait quasiment l’unanimité. L’AS Eupen, c’est sa vie, à peu de choses près. Il y a joué, depuis son plus jeune âge, et est resté fidèle aux Pandas durant toute sa carrière, à l’exception de deux saisons au CS Verviers, où il a joué en Promotion en qualité d’arrière droit. Il fut aussi entraîneur adjoint à l’AS Eupen. Je sais qu’il défendra le club jusqu’au bout.

Sa plainte ne vise pas spécialement le Lierse, mais la gestion du football belge tout entier. J’ai l’intime conviction, mais c’est un avis personnel car je ne peux plus parler au nom du club, qu’on n’en restera pas là, quel que soit le verdict du tribunal. Tous ces problèmes trouvent leur source dans les incohérences de la Ligue professionnelle. En décembre, 12 clubs sur 16 avaient voté pour le retour à un championnat à 18 équipes, sans play-offs. Le président de cette Ligue a refusé d’acter ce vote. Lorsqu’on lui demande pourquoi, dans les différentes interviews, il fait mine de ne pas comprendre et ne répond pas à la question. Si ce vote avait été acté, on n’en serait pas là. Après, les grandes man£uvres du G4 ont commencé, débouchant sur des actes de corruption. Je dois reconnaître que Theissen lui-même s’est laissé acheter, puisqu’il a accepté de modifier son vote en échange du 1,2 million promis au relégué en D2. Le match Charleroi-Cercle entre dans la même lignée. Je n’ai rien contre le Sporting zébré, au contraire : j’avais d’excellentes relations avec les dirigeants carolos, à l’époque où j’étais moi-même dirigeant, et j’ai conservé une certaine sympathie pour ce club. Mais je ne comprends pas que l’on ait finalement joué le match en question… qui, heureusement, n’a pas influencé le classement. A l’époque où il aurait dû se jouer, il n’y avait pas de chauffage, pas de bâche et on n’a même pas sorti une pelle au Mambourg pour déblayer la neige. Nous, à Eupen, on a dû mettre tous les moyens en £uvre pour jouer dans des conditions épouvantables, au risque d’abîmer le terrain, ce qui nous a également coûté des points par la suite. On ne veut pas d’Eupen en D1, c’est clair. Pour la majorité des décideurs, la Belgique s’arrête à Liège. J’avais déjà eu la même impression à l’époque, déjà lointaine, où le CS Verviers a accédé à la D1. Pour les Bruxellois, venir à Eupen, c’est trop loin. Mais dans quel petit pays vivons-nous ? Que doit-on dire en France, en Italie, en Espagne ? Nous, les Eupenois, nous nous rendons tous les 15 jours à Bruxelles et même au-delà, au fin fond de la Flandre, et nous ne nous plaignons pas. J’en ai marre de toute cette nervosité, de toute cette corruption qui règne en D1. C’est simple : alors que j’étais un habitué des matches au Kehrweg, je n’y ai plus mis les pieds en fin de saison. « 

Prince Manfred II

ElmarKeutgen, l’actuel bourgmestre d’Eupen, a lui-même porté le maillot des Pandas.  » Mais je ne me souviens pas d’avoir joué avec Manfred « , précise-t-il.  » Il est plus jeune que moi, et je pense qu’il est arrivé au club lorsque j’avais déjà arrêté, en 72-73, après avoir terminé médecine. Manfred a surtout joué en Réserve. C’était un défenseur. Pas un grand talent, mais qu’est-ce que cela signifie, le talent ? L’essentiel, c’est de faire partie d’un club, et de donner tout ce que l’on a.  »

Un bourgmestre a forcément la police sous ses ordres.  » Theissen était un excellent commissaire « , assure Keutgen.  » Très appliqué, toujours serviable. C’était un homme de terrain, qui s’occupait notamment de l’instruction. Il est actuellement en pause carrière et devra bientôt décider s’il souhaite réintégrer la section ou pas. « 

La rigueur que Theissen s’efforce d’appliquer dans son travail ne l’empêche pas d’être, à ses heures, un gai luron. Il est le président de l’Amicale du Personnel de la Ville d’Eupen et fut même élu Prince Carnaval en 2007.  » Dans les cantons de l’Est, le carnaval, cela signifie quelque chose « , poursuit Keutgen.  » L’intronisation débute déjà en janvier, pour se terminer le mercredi des cendres. Les festivités du carnaval proprement dit durent trois jours et se terminent en apothéose par le cortège du RosenMonntag (le lundi des Roses), selon la tradition germanique. Manfred fait partie de la société des Blaue Funken. Durant les festivités, cette société parodie les troupes de Napoléon, qui portaient un uniforme bleu et blanc. Lorsqu’on est élu Prince Carnaval, comme Theissen qui fut Manfred II, on reçoit, pendant trois jours, les clefs de la ville. Si Manfred en a fait bon usage ? En tout cas, lorsqu’il me les a remises, elles entraient toujours dans la serrure !  » ( Ilrit)

Apprécié par les anciens du club

MarcGrosjean, déjà assuré du titre grand-ducal avec Dudelange, a travaillé avec Theissen durant sa période eupenoise :  » C’est lui qui m’a contacté pour succéder à ClaudeChauveheid en 2004.  » Le courant est directement bien passé, et mes relations avec lui ont toujours été très courtoises. C’est un gros travailleur, imprégné de la mentalité germanique : la rigueur est l’un de ses atouts. C’est un homme du club, un fidèle d’entre les fidèles. Il n’a jamais connu que l’AS Eupen où, avant d’accéder à des fonctions dirigeantes, il a joué et a été entraîneur adjoint. Un homme de la ville, aussi, puisqu’il y est commissaire de police. Un parfait gestionnaire, également : il ne dépensera jamais un euro dix s’il n’a qu’un euro en caisse. Et, si possible, il essaiera de ne dépenser que 90 centimes. C’est, enfin et surtout, un homme intègre. J’ai l’intime conviction que, s’il a déposé plainte devant le tribunal civil, c’est parce qu’il a la certitude, après avoir retourné le problème dans tous les sens, d’être droit dans ses bottes, d’avoir raison à 100 %. Car ce n’est pas un homme à rechercher les conflits, cela ne lui ressemble pas. Après, le tribunal décidera de l’issue à donner à cette plainte, évidemment.

Je peux comprendre qu’il soit nerveusement à bout. Eupen n’a jamais été habitué à se retrouver sous les feux des projecteurs. C’est depuis l’accession à la D1, cette saison, que la presse nationale s’est – un tout petit peu – intéressée à lui. Et là, subitement, tout lui tombe dessus, pour une cause où il risque de perdre sa crédibilité, son honorabilité, si cela devait mal tourner. Or, il y tient plus qu’à tout, à son honorabilité. « 

DannyOst ne dit pas autre chose :  » Theissen est effectivement un homme correct, qui se donne à fond pour son club, et qui a le profil caractéristique des gens des Cantons de l’Est, qui défendent leurs idées à fond, et je suis certain qu’il se battra jusqu’au bout pour l’AS Eupen. Même si, depuis l’arrivée des investisseurs italiens, ce n’est plus Theissen le véritable décideur.  »

GillesColin, l’arrière gauche qui a quitté Eupen pour Lommel en août 2010 suite à l’arrivée de nouveaux joueurs amenés par les investisseurs italiens, n’a gardé que de bons souvenirs de Theissen et du club germanophone en général.  » Tout s’est toujours passé très correctement « , précise-t-il.  » A l’arrivée comme au départ. J’étais arrivé en prêt à Eupen, en janvier 2005 en provenance du Standard, parce que MichelPreud’homme voulait aguerrir certains jeunes joueurs du noyau B. Finalement, j’y suis resté, à l’exception d’une saison à Mons. J’ai trouvé en Grosjean un entraîneur qui me convenait parfaitement et je me suis beaucoup plu dans les cantons de l’Est. Le contexte était évidemment très différent de ce qu’il est aujourd’hui. Eupen n’était encore qu’une petite bourgade assez bourgeoise, très peu portée sur le ballon rond, et le club était très peu médiatisé. Theissen était encore policier en exercice et s’occupait du club en dehors de ses heures. Son grand mérite est d’avoir su bifurquer très vite dans la voie du professionnalisme. Il a très vite cru au projet de la D1, ce qui n’était pas le cas de tout le monde, et a su faire bouger la ville pour faire de l’AS Eupen un vrai club professionnel, doté d’un stade digne de ce nom. Maintenant, il ne faudrait pas qu’il retombe, et je comprends que Theissen utilise tous les moyens possible pour essayer de sauver son club.  »

PAR DANIEL DEVOS – PHOTO: REPORTERS/ GUERDIN

 » Sa plainte ne vise pas spécialement le Lierse, mais la gestion du football belge tout entier  » (Paul Brossel, l’ex-manager du club)

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire