« poli, c’est nous! »

Entre corruption, dévouement et présidents omnipotents, présentation d’un néo-cador du foot roumain, employé de l’ex-Montois togolais Daré Nibombé.

Le nom Timisoara n’évoque pour beaucoup qu’un charnier. Ou plutôt le symbole d’une imposture médiatique, reprise par l’ensemble de la presse occidentale, qui évoquait la découverte d’un gigantesque tombeau à ciel ouvert rempli de plusieurs milliers de morts (certains journaux sont grimpés jusqu’à 70.000) lors de la chute du régime de Nicolae Ceausescu, fin décembre 1989. Quelques mois plus tard, le chiffre officiel retombait sous la barre des 100…

Timisoara reste par contre le symbole de la rébellion contre le dictateur ; la première ville roumaine déclarée  » libre  » le 20 décembre 1989. Aujourd’hui, cette cité d’environ 350.000 âmes est réputée pour son dynamisme commercial – diverses sociétés italiennes et françaises y sont implantées -, ou sa vie culturelle et intellectuelle. Toutefois, la sortie du communisme n’est pas aisée, ni toujours rose. Si les 4X4 Range Rover ou BMW défilent, elles côtoient aussi les Citroën Visa (avis aux nostalgiques) et autres  » voitures d’avant-guerre  » (dixit avec humour, Daré Nibombé, arrivé ici en janvier 2009).

La crise financière mondiale n’a évidemment pas arrangé la vie d’une très grande partie de la population. Et le foot en fait aussi les frais. La preuve samedi passé : le FC Timisoara accueillait Ceahlaul Piatra Neamt, avant-dernier de la Liga 1 (première division roumaine) : ils n’étaient que 3.000 à combler quelque peu les vides du stade Dan Paltinisanu doté de 32.000 places exclusivement assises. L’adversaire n’était certes pas prestigieux mais  » L’assistance est exceptionnellement faible « , déclarait Levente Balint, l’attaché de presse du club.

Le public de Timisoara est plutôt réputé fidèle et fanatique. La ville dans son ensemble lui apporte un soutien financier et moral, les trams sont même peints aux couleurs du FC Timisoara, comme une marque de réconfort pour ce club à l’histoire mouvementée (voir cadre FC Timisoara mais resté Poli). Depuis cinq ans, Timisoara termine d’ailleurs champion du classement des assistances en Roumanie. Les matches face aux gros cubes de Bucarest (Steaua, Dynamo et Rapid) font toujours le plein, tout comme les affiches face à Cluj ou Urziceni, dernier champion en date.

 » Les gens sont fatigués du système « 

Le froid qui refait son apparition – le thermomètre a perdu 20 degrés en un peu plus de deux semaines passant de 22 à 2 degrés- et la proximité avec le match face à Anderlecht peuvent aussi expliquer ce public absent. Mais la vérité est ailleurs selon les irréductibles Silvian et Paul, deux leaders des Commando Viola Ultra Curva Sud, rencontrés à leur point de ralliement, trois heures avant la rencontre.

 » Le foot roumain va mal, à l’image de l’équipe nationale qui s’est fait corriger 5-0 face à la Serbie. Et puis, les gens sont fatigués du système. En Roumanie, le pouvoir est centralisé et les équipes de Bucarest bénéficient d’appuis au niveau de la Fédération. La corruption a trop souvent frappé notre football. « 

Exemple significatif :  » Lors du dernier match de la saison 2007-2008 entre Cluj CFR et Universitatea Cluj, la police a intercepté une mallette contenant près de 2 millions de dollars qui devait servir à motiver l’Univeristatea « , rapporte, Adrian Bucur, journaliste à la Gazetta Sporturilor, le quotidien sportif le plus populaire du pays.  » Ce club était déjà condamné à la descente mais en cas de nul, il pouvait priver le CFR du titre au profit du Steaua. La mallette émanait évidemment des dirigeants du Steaua, mais personne n’a été poursuivi puisqu’il ne s’agissait que d’adjuvant moral « , ironise Bucur.

L’an passé, Dan Petrescu (ex-joueur de Chelsea) a été champion à la tête de la petite formation d’Urziceni en passant devant Timisoara lors de l’avant-dernière journée. Après le sacre, il s’est fendu d’un :  » Si on est devenu champion c’est grâce à la DNA. On devrait désormais porter DNA sur la poitrine.  » DNA, le sigle de la Direction nationale anti-corruption, un organe d’Etat qui a surveillé de plus près les arbitres de la Liga 1 en fin de saison…

Le championnat national a beau échapper à un club de Bucarest depuis deux ans (qui était avant cela leur propriété depuis 1991 et le titre de Craiova), nombreux sont ceux qui ne croient pas à un changement des mentalités. Le dernier fait en date est directement lié au FC Timisoara. Son capitaine, Dan Alexa, a dévoilé durant une émission de TV avoir été approché pour qu’il provoque un penalty lors de la venue du Dynamo Zagreb. En échange, le milieu défensif recevait la somme de 500.000 euros.  » C’est l’ex-arbitre, Sorin Altmayer qui l’a approché « , révèle Bucur.  » Il est connu dans la région et au sein du club. Cela a dû être commandité par la mafia des paris mais le club de Zagreb n’a rien à voir avec cette affaire.  »

Quand on évoque la corruption dans le football roumain, le FC Timisoara se réfugie derrière une image d’Épinal…  » Le club n’a jamais été lié à une quelconque histoire de cet ordre « , rappelle le directeur exécutif, Gheorghe Chivorchian, qui se présente comme un ami de Lazlo Bölöni. A l’époque où il travaillait pour la fédération, il dit avoir plaidé pour que le coach du Standard s’occupe une seconde fois de l’équipe nationale.

Chivorchian :  » Concernant certains problèmes, c’est vrai, il n’y a pas de fumée sans feu. Mais notre football s’assainit d’année en année. Je note une réelle amélioration. « . Toutefois, l’homme ne serait pas à Timisoara par hasard. Le propriétaire du club depuis 2005, l’imposant Marian Iancu, l’a tiré de son boulot à la Fédération et lui a offert un poste au sein du club.  » Dans le but d’avoir un poids lors de certaines rencontres face aux équipes de la capitale… « , explique un proche du club.

 » Fallait que je tombe quelque part  » (Nibombé)

Nibombé est très philosophe vis-à-vis de ce foot qu’il a découvert en été 2008 en débarquant d’abord dans le petit club de la banlieue de Bucarest, Otopeni (aujourd’hui en D2), après cinq années à Mons.  » Actuellement, je joue dans une formation du top donc je ne vois pas pourquoi certains équipiers vendraient des matches. Même si je me doute qu’il y a des trucs qui se passent… Mais donnez-moi une compétition où c’est 100 % clean ? »

Quant à cette arrivée surprenante à Otopeni, surtout pour quelqu’un qui compte plus de 50 sélections avec le Togo, Nibombé sort un sourire teinté de fatalisme :  » Il fallait bien que je tombe quelque part. Voyant mon avenir bouché à Mons, un manager m’a d’abord proposé le FC Ashadod, un club israélien. Mais le test n’a pas été concluant. Otopeni m’a par contre directement proposé un contrat. C’est vrai qu’après quelques jours, j’ai cru que j’avais fait une erreur en signant là-bas. Mais je me suis accroché et me suis dit que j’allais en profiter pour taper dans l’£il d’équipes plus importantes. Aujourd’hui, à Timisoara, je suis titulaire dans un club qui joue la coupe d’Europe. « 

L’aspect financier a évidemment joué un rôle dans son aventure roumaine. Quitter sa femme et ses trois enfants restés à Mons, il fallait que cela vaille le détour :  » C’est le jour et la nuit avec ce que je gagnais à Mons. Même à Otopeni, j’avais bien davantage qu’en Belgique. Je ne suis pas toujours payé à temps, cela dépend de l’humeur du président, mais au final, j’ai toujours reçu ce qui m’était dû. Et puis, au-delà du salaire mensuel, les primes sont extrêmement intéressantes. Pour un match au sommet comme les deux prochaines rencontres de championnat à Cluj et face au Steaua, les primes devraient être comprises entre 15.000 et 20.000 euros. Et tout ça, c’est du net ! Vous imaginez, quand on perd, ça gueule dans le vestiaire. A l’exception d’une fois : quand on a perdu le titre lors de l’avant-dernière journée. On était tous tellement effondrés que personne ne l’a ouverte. La qualification directe pour les poules de la Ligue des Champions nous filait sous le nez et la prime individuelle de 100.000 euros avec… « 

 » Mon quotidien ? Le stade, la banque, mon appart et l’aéroport « 

Difficile, toutefois, de cacher son ennui dans cette nouvelle vie où la barrière de la langue n’aide en rien :  » C’est compliqué de savoir ce que les gens pensent. La mentalité est différente qu’en Belgique, mais c’est comme ça et c’est à moi de m’adapter. Ça ne sert à rien de s’arrêter à ces détails de la vie. Le plus difficile, c’est la solitude même si ma femme me téléphone tout le temps et pour tout : si mon fils casse un verre dans la cuisine, je suis directement mis au courant… ( il rit). Je ne connais quasiment rien de Timisoara : mon quotidien se résume au stade, à mon appart, à la banque et à l’aéroport.  »

Quand il veut s’aérer l’esprit, ce n’est jamais très exubérant. Mis à part quelques repas organisés avec l’équipe ou avec son coéquipier costaricain, Winston Parks.  » On m’a directement mis en garde contre les sorties en boîte de nuit car la presse était à l’affût de ce genre de choses. De toute façon, les boîtes, ça n’a jamais été ma spécialité. Sauf après les matches au Togo quand je sors dans la boîte d’ Emmanuel Adebayor. Je veux dire la discothèque qui se trouve à l’intérieur de sa villa. Faut bien se détendre de temps en temps… J’accumule les miles depuis que je suis ici. J’ai l’impression d’être continuellement dans un avion. J’en ai même mal au dos. Lors des coupures de l’équipe nationale, j’en profite toujours pour voir ma famille à Mons. Avec Timisoara, tous nos déplacements se font en avion. Et que ce soit à domicile ou en déplacement, on va à chaque fois en mise au vert, de la veille jusqu’au lendemain du match. Dans des hôtels incroyables… Heureusement que je ne suis pas blessé car je devrais me farcir un déplacement supplémentaire puisque les joueurs sont soignés à… Stuttgart.  »

Un bon salaire, des logements luxueux et… les infrastructures ? Il suffit de jeter un regard au complexe d’entraînement de Timisoara ou aux alentours du stade et à ses vestiaires, pour se dire que le défenseur togolais doit en arriver à regretter l’encadrement du Stade Tondreau.  » Le club se construit petit à petit. Mais je crois que ça fait partie des mentalités ici. On préfère mettre de l’argent dans les joueurs que dans la brique. C’est un pays bourré de contrastes. Je n’ai jamais vu autant de voitures de luxe qu’ici, il y en a bien plus qu’à Bruxelles, mais tu n’échappes pas à la pauvreté de la population non plus… Le temps est tout aussi contrasté : quand il fait chaud ici, il fait très chaud, mais quand il fait froid… « 

Par Thomas Bricmont – Photos: Reporters/Jonas Hamers

Je n’ai jamais vu autant de voitures de luxe qu’ici. (Nibombé)

L’histoire de corruption face à Zagreb ? C’est un ex-arbitre de la région qui a approché un joueur de Timisoara. Une affaire sûrement liée à la mafia des paris… (un journaliste roumain)

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