PODIUMS commentés

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Le Gardien de l’Année 2004 juge les meilleurs keepers, entraîneurs et arbitres de cette saison.

GARDIEN DE L’ANNéE 1. Silvio Proto, 2. Vedran Runje, 3. Bertrand Laquait

Frédéric Herpoel :  » C’est aussi mon tiercé, mais je ne vous dirai pas si pour moi c’est le bon ordre… La victoire finale de Silvio Proto était prévisible. Il est jeune et doué, et sa popularité a encore été boostée dès qu’il est devenu Diable Rouge. Mais il ne faut pas être aveugle : son succès dans ce référendum s’explique aussi par la façon dont les médias l’ont poussé depuis quelques mois, surtout en Wallonie. On parle énormément de lui et cela influence les votants. Depuis son premier match en équipe nationale, il n’y en a plus que pour lui. A-t-il sauvé plus de points pour La Louvière que Bertrand Laquait pour Charleroi ? Chacun se fera son opinion.

Je connais un peu mieux Silvio depuis que je le fréquente chez les Diables. Une chose me frappe : il a une faim incroyable et on sent qu’il n’a pas encore découvert les aspects négatifs du métier. Il profite à fond de chaque seconde, comme je le faisais à son âge. Il a une certaine insouciance et cela ne peut que lui faire du bien. Mais il rencontrera petit à petit des côtés moins agréables : le pouvoir de l’argent et des mentalités très spéciales dans les vestiaires. Aimé Anthuenis a décidé d’en faire son titulaire : il doit avoir ses raisons. Vu ses prestations en championnat, il mérite en tout cas de faire au moins partie du noyau des Diables. C’est la meilleure chose qui pouvait lui arriver dans l’optique d’un transfert. On le cite aujourd’hui dans plusieurs grands clubs européens et c’est surtout dû à son nouveau statut d’international. Mais ne me demandez pas si Proto est parti pour défendre les buts de la Belgique pendant plusieurs années. Il n’est qu’au début de son aventure et il ne faut pas oublier que, sans sa blessure, Geert De Vlieger serait encore le numéro 1 aujourd’hui.

Silvio prouve qu’il résiste bien au stress. Il l’a montré dans ses matches avec les Belges, à un moment où l’équipe était dans le trou. Malgré le contexte négatif, il s’en est bien sorti. Je l’ai vu aborder ces rendez-vous de la même façon qu’il prépare des matches de championnat avec La Louvière. Comme s’il ne se rendait pas bien compte de ce qui lui arrivait.

La deuxième place de Bertrand Laquait, c’est enfin la reconnaissance de son talent. Il avait presque été oublié dans le classement du Soulier d’Or en janvier : c’était un quasi-scandale. Comment a-t-on pu l’ignorer ainsi après tout ce qu’il avait fait pour Charleroi ? Il avait été le grand acteur du sauvetage en fin de saison dernière et avait poursuivi sur sa lancée au premier tour de cette saison. Mais il a pris de plein fouet les principes très spécifiques du Soulier d’Or. Pour avoir une chance dans ce concours, il faut être bon ailleurs que sur les terrains. Il faut savoir se vendre, maîtriser tous les aspects extra-sportifs du métier, jouer des coudes pour passer souvent à la télé, etc. Aller à la soirée du Soulier d’Or avec une copine très jolie qui a un grand décolleté, ça aide aussi… Ce qui me frappe dans cette cérémonie, c’est le pourcentage de gens qui n’ont rien à voir avec le football. Il y a dans la salle un quart de joueurs et d’entraîneurs, et tous les autres sont là on ne sait pas trop pourquoi. Sur le podium du Gardien de l’Année, personne ne correspond au profil type du lauréat du Soulier d’Or et c’est très bien comme ça. Silvio, Vedran Runje et Bertrand ont eu beaucoup de points parce qu’ils ont été bons dans leur but, point à la ligne.

Vedran Runje, c’est le spectacle à lui tout seul. Il avait déjà montré sa valeur lors de son premier passage au Standard. Depuis qu’il est revenu de Marseille, je le trouve encore plus fort. On voit qu’il a emmagasiné un vécu incroyable dans un club unique en son genre. Quand on joue chaque semaine sous une très grosse pression, et si on y résiste, on s’améliore inévitablement. D’accord, il avait cette saison la meilleure défense du championnat. Mais ce n’était pas encore une garantie d’encaisser aussi peu de buts et de signer une aussi belle série de matches sans prendre de goals. Malgré sa ligne arrière, il arrivait encore qu’il soit fort sollicité, et là, il faisait remarquablement son boulot.

Je me reconnais un peu dans Laquait : la sobriété d’abord, pas de sauts de carpe inutiles ou de tralalas. Depuis qu’il est à Charleroi, il travaille avec des préparateurs de très haut niveau : d’abord Istvan Gulyas, ensuite Philippe Vande Walle. Cela saute aux yeux. En D1, un préparateur ne peut plus apprendre grand-chose à ses gardiens sur un plan purement technique. C’est dans la gestion du stress et de situations particulières qu’il peut le faire progresser. Mais pour cela, il faut que l’entraîneur spécifique ait un vécu au plus haut niveau, qu’il suscite un vrai dialogue et ne se contente pas de banalités. Plusieurs clubs belges ne raisonnent pas comme cela : ils recherchent d’abord un préparateur qui ne leur coûtera pas trop cher.

Il y a un an, j’étais élu Gardien de l’Année. Cette fois, je ne suis que cinquième. J’accepte le verdict mais il faudra qu’on m’explique. Suis-je tellement moins bon que la saison dernière ? Ce n’est pas mon avis. Pour moi, j’ai toujours le même niveau. Philippe Vande Walle a sans doute raison quand il me dit que ma régularité joue contre moi, que les gens se sont habitués à me voir évoluer depuis des années au même niveau et qu’aujourd’hui, mes bons matches n’impressionnent même plus. C’est comme ça, je me range au verdict des votants. J’ai adopté la même philosophie en équipe nationale : je continue à accepter les convocations car cela reste un honneur à mes yeux de pouvoir faire quelque chose pour son pays, mais vous ne m’entendrez pas dire que je mérite mieux qu’un statut d’éternel numéro 2. Aimé Anthuenis fait ses choix, je suppose qu’il a de bonnes raisons « .

ENTRAÎNEUR DE L’ANNéE 1. Trond Sollied, 2. Jacky Mathijssen, 3. Albert Cartier

 » J’ai eu la chance de travailler avec Trond Sollied pendant un an et demi à Gand et je n’en pense que du bien. La seule critique qu’on entend sur lui, c’est le côté répétitif, voire ennuyeux de ses entraînements. Mais vous ne croyez pas que les joueurs oublient tout ça à la fin de la saison quand ils remportent un trophée ? Sollied a des principes très rigides, il n’en déroge sous aucun prétexte. Et ça marche. Chaque joueur sait toujours où il doit courir et se placer, il n’y a aucun caractère imprévisible dans le jeu de Bruges. Les automatismes se travaillent jour après jour et cela donne un rouleau compresseur qu’on n’arrête pas. Tout le monde sait comment joue le Club, mais ce qui me frappe toujours, c’est le nombre d’occasions qu’il se crée dans chaque match. Il ne les met pas toutes au fond, mais elles sont toujours très nombreuses. Même quand Bruges joue soi-disant mal.

Sollied a aussi le grand mérite de composer son noyau spécifiquement en fonction du football qu’il veut pratiquer. Je me souviens des commentaires qui avaient suivi la campagne de transferts de La Gantoise après son premier demi-championnat ici. Tout le monde s’étonnait qu’il ait choisi Ole-Martin Aarst, dont on ne voulait plus à Anderlecht. Il avait aussi fait venir des inconnus comme le back droit danois Anders Christensen et le médian français Tarik Kharif. Ces gars-là avaient exactement le profil souhaité et on a vu ce que ça pouvait donner. Il a l’art de révéler des individualités. Chez nous, Aarst a terminé meilleur buteur avec 30 goals. Je ne sais pas ce que Christensen et Kharif sont devenus. Ils ne pouvaient sans doute être bons qu’avec Sollied ! La philosophie de cet entraîneur, c’est de remplacer un partant par un joueur ayant le même profil. Pour moi, Michael Klukowski est la copie conforme de Peter Van der Heyden, il a aussi l’art de pistonner sur tout le flanc gauche. Sollied a toujours su où il allait. Je l’imagine bien prochainement au Standard : avec lui, je suis certain que ce club serait directement champion.

Jacky Mathijssen qui termine deuxième, ça m’interpelle beaucoup. Si on ne s’en tient qu’au rapport qualités du noyau/résultats, c’est lui qui doit être désigné Entraîneur de l’Année. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : avec un groupe semblable à celui de la saison dernière, il est passé des caves du classement au Top 5. Je ne sais pas comment Mathijssen travaille mais j’ai l’impression que ses méthodes sont marquées par la simplicité. Quand on voit Charleroi jouer, on se rend compte que ces joueurs n’ont pas le crâne bourré de consignes compliquées. C’est sans doute de cela que les Carolos avaient besoin.

Albert Cartier, c’est l’école française. Le jeu de La Louvière me rappelle ce que nous faisions à Gand avec Patrick Remy. Ces entraîneurs basent d’abord leur jeu sur une organisation défensive très sérieuse. Quand leur équipe n’a pas le ballon, elle laisse un minimum d’espaces à l’adversaire. Et quand elle le récupère, elle essaye de le porter le plus vite possible dans la zone de vérité offensive. Cartier a vraiment apporté un plus à notre championnat et il est dommage que son noyau ait été plumé pendant la trêve. Je suis persuadé que La Louvière aurait pu continuer sur sa lancée du premier tour si tout le monde était resté. Mais à partir du moment où un pion majeur de chaque ligne disparaissait, il était illusoire d’encore croire au miracle « .

ARBITRE DE L’ANNéE 1. Paul Allaerts, 2. Frank De Bleeckere, 3. Johan Verbist

 » Ce n’est pas du tout mon tiercé. Je n’ai pas voté en ne tenant compte que des qualités techniques pures des arbitres, j’ai surtout donné de l’importance à leur comportement vis-à-vis des joueurs. J’aime bien des arbitres comme Eddy De Coninck, Eddie Vermeirsch et Johny Ver Eecke. Ils sont moins connus du grand public que ceux qui se retrouvent sur le podium, mais au moins, ils restent humains et courtois dans leurs contacts avec les joueurs. Ils ne se la pètent pas. Mais c’est devenu rare en championnat de Belgique. En général, quand vous adressez poliment la parole à un arbitre en plein match, il vous répond de façon sèche et hautaine. On ne touche pas à monsieur l’arbitre ! Beaucoup nous prennent pour de la merde ! N’essayez pas de leur donner une petite tape amicale sur l’épaule pour leur faire remarquer qu’ils se sont trompés : c’est la carte rouge assurée. J’ai la nostalgie de Marcel Van Langenhove et Marcel Javaux, des arbitres qui étaient très proches des acteurs. Javaux, on pouvait lui dire : -Dis Marcel, le ballon n’était pas sorti, tu es vraiment mauvais aujourd’hui. Il rigolait, et deux minutes plus tard, si le joueur concerné ratait un contrôle, Javaux lui lançait : -Je suis peut-être mauvais, mais toi, tu as mis tes mauvaises chaussures. Cela ne les empêchait pas d’être de vrais patrons, de faire régner l’ordre, d’appliquer parfaitement le règlement, d’assumer leurs responsabilités. Ils savaient être stricts quand il s’agissait d’une décision technique mais très cool dès qu’on leur faisait une remarque.

Cette saison encore, l’arbitrage a été fort critiqué chez nous, il y a eu beaucoup de décisions contestées. Mais ce n’est que normal et la situation ne devrait pas s’arranger dans les prochaines années si on ne fait rien : le jeu va de plus en plus vite, alors c’est de plus en plus difficile de prendre les bonnes décisions en une seconde. Je vois deux aides possibles pour les arbitres : la vidéo et une vraie prise de responsabilités des juges de ligne et des assistants. Je ne comprends pas qu’on puisse encore contester le recours à la vidéo. Les situations litigieuses seraient tranchées en 30 secondes. On va encore parler des années du ballon de Chelsea-Liverpool, de cette phase litigieuse sur la ligne. Si l’arbitre avait pu disposer de la vidéo, il aurait pris une décision ferme et définitive en quelques secondes et on n’en parlerait déjà plus. C’était quand même une finale de Ligue des Champions qui était en jeu, hein !

Je trouve aussi que les linesmen et les arbitres assistants sont beaucoup trop timorés. J’ai l’impression que les juges de ligne sont paralysés par les milliers de personnes qui sont dans leur dos, à quelques mètres. Cela les empêche d’aider l’arbitre principal, qui ne peut de toute façon pas tout voir. Ils préfèrent s’en tenir à leur mission première de signalement des hors-jeu et des ballons sortis du terrain. Quant aux assistants, je me demande vraiment à quoi ils servent. A obliger les clubs visités à prévoir une quatrième assiette après les matches (il se marre) ? Leur demander d’indiquer les changements et le temps supplémentaire, c’est bien. Mais qu’ils arrêtent de passer leur temps à enguirlander les entraîneurs qui mettent un pied en dehors du petit rectangle devant leur banc et les réservistes qui se lèvent. Comme si cela avait une incidence sur le déroulement des matches. Comme si cela ennuyait l’arbitre principal. Vous pensez bien que le pauvre a déjà assez de choses plus importantes à surveiller ! A partir du moment où on décide qu’il doit y avoir un quatrième arbitre, qu’on lui donne de vraies responsabilités, qu’on décharge un peu le sifflet principal d’une partie de la pression qui pèse sur ses épaules. Des joueurs, des entraîneurs, des managers de clubs et des présidents commettent des erreurs quand ils sont mis sous pression ; comment voudriez-vous que les arbitres ne tombent pas dans le même panneau ?

Le classement de cette année confirme que Frank De Bleeckere n’est plus considéré comme le numéro 1 par les joueurs du championnat de Belgique. Il y a un an, il avait été battu par Johan Verbist. Cette fois, Paul Allaerts est devant lui. Je suis certain que le fameux match Bruges-Anderlecht, où De Bleeckere avait perdu les pédales, continue à peser sur sa réputation. En une seule rencontre, il a abandonné énormément de crédit « .

Pierre Danvoye

 » PROTO A-T-IL SAUVÉ PLUS DE POINTS QUE LAQUAIT ? Chacun son avis  »

 » Avec Sollied, LE STANDARD SERAIT CHAMPION DIRECTEMENT  »

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