Podium à Pékin

La reine de l’athlétisme belge a vécu une année 2007 exceptionnelle. Celle qui arrive pourrait pourtant être la dernière…

Justine Henin lui a encore décroché le titre de Sportive de l’Année mais Kim Gevaert est certainement la sportive la plus spontanée. Agée de 29 ans, championne d’Europe sur 100 et 200 m, médaille de bronze du 4×100 m au Mondial d’Osaka, elle revient sur une année de succès et évoque 2008.

N’est-il pas étranger d’évoquer votre retraite alors que vous êtes au faite de votre carrière ?

Kim Gevaert : Peut-être mais je veux arrêter avant d’avoir perdu le plaisir de courir. Mentalement, mes efforts commencent à peser et je ne puis me permettre de me livrer à 80 %.

Qu’est-ce qui vous pèse ?

Ma vie est très structurée, elle me laisse peu de liberté. Nous sommes fréquemment à l’étranger. C’est chouette au début mais ensuite, on regrette l’absence de ses proches. En plus, je souhaite de plus en plus ardemment fonder une famille.

Ce désir de maternité est-il neuf ?

Non mais ma carrière évoluait. Je ne voulais pas rater de Mondial ni de championnat d’Europe. Sans oublier que l’on ne revient pas facilement au top après une grossesse.

Objectif : sous les 11′

Vous avez affirmé avoir réalisé tous vos rêves sportifs. Est-ce vrai ou est-ce un truc pour vous délester de toute pression ?

Je le pense. Jamais je n’aurais osé imaginer ce palmarès il y a dix ans. Je m’estimais incapable de courir le 100 m en 11’05 « . Sur 200 m, je visais 22’30  » ou 22’40 « . J’ai réussi au-delà de mes espérances.

Quels sont vos prochains objectifs ?

Passer une fois sous le cap des 11′ constituerait le top ! J’ai couru en 11’05  » à Osaka, sans vent. Or, il faut déduire un dixième de seconde par mètre de vent dans le dos. J’aurais pu réaliser un 10’90  » à Osaka, avec un brin de vent.

Votre explosivité au départ reste phénoménale.

Dès mes débuts, j’ai compris que ce serait mon principal atout. D’autres sont certainement plus explosives, plus athlétiques mais je décolle mieux de mes starting-blocks.

Surpasser les autres dans les premiers mètres donne-t-il un kick ?

Oui, c’est pour ça que j’aime tant le sprint. Avant, je supportais mal d’être ensuite rejointe par mes concurrentes. Je me crispais. J’ai travaillé cet aspect et mon final est meilleur. La difficulté du 100 m réside en la proximité des autres. Sur la distance double, ce n’est le cas que dans la dernière ligne droite. Cette confrontation directe est très dure.

 » Je pense première Européenne et non première Blanche « 

Vous avez terminé cinquième du 100 m d’Osaka derrière Victoria Campbell, Lauryn Williams, Carmelita Jeter et Torri Edwards. Est-ce le reflet exact de la hiérarchie actuelle ?

Torri Edwards, qui a signé le même chrono que moi au Japon, a été la plus régulière de l’année. Qu’elle me précède ne me dérange pas. Veronica Campbell est une super femme, intrinsèquement meilleure que moi. Lauryn Williams est un cas à part : elle n’a rien montré le reste de la saison. Je l’ai souvent précédée. J’ai pensé : – damn ! Carmelita Jeter n’avait pas encore fait parler d’elle mais elle a réalisé une bonne saison.

Le fait saillant du Mondial a finalement été la médaille de bronze en relais. N’avez-vous pas déclaré pouvoir faire encore mieux ?

Si car un de nos passages de témoin n’a pas été parfait. Olivia Borlée avait été malade la semaine précédente, aussi, elle peut donc être plus rapide. Les USA et la Jamaïque avaient un boulevard d’avance mais nous pouvons améliorer notre chrono.

Votre décision de ne pas courir la demi-finale du 200 m, au Japon, a fait couler beaucoup d’encre.

Je voulais à tout prix atteindre la finale du 100 m. J’ai terminé cinquième, à un souffle d’une médaille. Je n’avais plus vraiment la tête au 200 m. En plus, j’ai mal dormi cette nuit-là. Or, quand on perd sa concentration, on sent plus fort sa fatigue et ses petits bobos. Je savais que si je courais le 200 m, je risquais de compromettre le relais. Donc, je me suis octroyé un jour de repos. La suite m’a donnée raison.

Vous avez été manifestement impressionnée par votre prestation collective, non ?

Bien sûr. La Belgique n’est pas le berceau du sprint mais elle se trouvait brusquement derrière la Jamaïque et les Etats-Unis. Gagner une médaille au niveau mondial est très difficile.

Avez-vous souffert d’un complexe d’infériorité quand vous avez débarqué dans ce milieu ?

Pas vraiment. J’ai remarqué que j’étais plus mince que les autres et que j’étais pratiquement la seule Blanche. J’ai fait mon chemin seule et j’en suis satisfaite. Le milieu du sprint est différent de celui du fond : on joue la carte de l’intimidation. Tout tourne autour d’une course, d’un instant. On court vraiment contre les autres.

Certains observateurs estiment que vous auriez dû axer votre carrière autour du 200 m et du 400 m. En 2005, lors d’une de vos rares courses sur cette distance, vous avez établi un record de Belgique en 51’45 « . Pourquoi n’avez-vous pas persévéré ?

Il faut faire ce qu’on aime. J’aime le sprint court, j’aime jaillir des starting-blocks. Sur le tour de piste, il faut doser davantage ses efforts. Le 100 m reste l’épreuve reine de l’athlétisme.

Etre la seule Blanche constitue-t-il un stimulant de plus ?

Au Mondial, j’ai pensé :-Je suis la première Européenne, pas – Je suis la première Blanche Nous sommes plus lents de nature, à cause de notre structure musculaire et de la configuration de notre bassin.

 » Convaincue de dopage, je disparaîtrais sous terre, de honte « 

Marion Jones a avoué s’être dopée pendant des années. Elle a dû rendre ses médailles olympiques. Est-ce une bonne chose pour le sport ?

Certainement. On a trop longtemps protégé certains sportifs. Chacun voulait savoir ce que Marion Jones avait vraiment fait. Sa sanction est un signal important : ceux qui ne jouent pas le jeu correctement sont punis, y compris pour des affaires passées.

Les gens vont-ils retenir le scandale ou les performances qu’elle a signées ?

Personnellement, je retiendrai son hypocrisie. Jamais je n’oublierai son comportement de diva, lors de son come-back. Son absence de sentiment de culpabilité m’a choquée. Ses aveux a posteriori n’ont pas d’importance.

Elle était un monument, une figure charismatique…

A ses débuts, elle était une magnifique athlète. Elle avait un corps superbe, elle s’exprimait bien, elle avait une aura. C’est pour ça que je trouve tout cela regrettable. Elle aurait pu être une grande championne sans se doper mais elle n’est plus qu’un clown.

A Osaka, il n’y a eu aucun contrôle positif. L’athlétisme devient-il propre ?

Certains moyens restent indétectables, ne soyons pas naïfs. Néanmoins, il y a progrès, certainement en sprint. Comparez les chronos actuels avec ceux des années ’80 et ’90 : le recul est certainement lié à la plus grande rigueur des contrôles.

Ce qui vous offre une chance de monter sur le podium ?

D’une part, j’ai progressé d’année en année. De l’autre, le sport est devenu plus pur. Même les grands noms se font pincer. C’est la fameuse peur du gendarme. Avant, on protégeait certaines vedettes, comme Carl Lewis.

On me le demande toujours… Comme si je l’avouerais. Sérieusement : j’ai été tellement dégoûtée par les fautifs que je ne le ferais jamais. Je pense aussi à ma santé, à ma famille. Si j’étais convaincue de dopage, je disparaîtrais sous terre, de honte. Comment expliquer ça à mes parents et à mes grands-parents ? En outre, ces hormones ont des effets terrifiants sur le corps.

Quelle est la sévérité réelle des contrôles ?

Je dois envoyer mes lieux de séjour tous les trois mois, pouvoir dire où je suis à toute heure du jour. C’est le seul moyen d’éliminer les tricheurs donc je m’exécute de bon c£ur, même quand on me tire du lit pour un contrôle hors compétition.

Quelle est la fréquence de ces contrôles ?

Six par an, par la WADA (agence mondiale contre le dopage). Sans compter, les contrôles du CIO et de la Communauté flamande et ceux qui sont effectués pendant les championnats. Je suis contrôlée à chaque compétition ou presque. Actuellement, on peut même réclamer un échantillon sanguin à tout moment. Cela m’est arrivé à quatre reprises. Dès qu’on est dans le top vingt de sa discipline, on est contrôlé plus souvent.

Admiratrice de Juju

Quel regard portez-vous sur l’année écoulée ?

Ce fut une saison riche en surprises. Göteborg m’a délestée d’une fameuse pression. J’ai eu du mal à recharger mes accus pour cette année mais c’est précisément grâce à cette décontraction que j’ai signé mes meilleures prestations. Jamais je ne m’étais aussi bien sentie en course. Après six ans, je suis à l’aise, au point de considérer le circuit comme une grande famille.

Allez-vous tout miser sur les Jeux ?

Qu’il s’agisse des Jeux, du Mondial ou des Championnats d’Europe, il y a un grand rendez-vous chaque saison. Mon planning ne change pas. La pression est plus forte, en revanche. L’attention des gens prend de proportions incroyables. En 2004, j’étais soulagée de partir enfin à Athènes : partout, même quand je faisais tranquillement du shopping, on m’abordait.

Admirez-vous certains sportifs de haut niveau ?

Justine Henin. Elle est plus jeune que moi et quand je vois tout ce qu’elle a déjà traversé… J’ai toujours admiré Irina Privalova. La rencontrer serait formidable.

Votre performance à Pékin peut-elle vous dissuader d’arrêter la compétition ?

Pas vraiment, à moins que je ne me blesse. Cela pourrait bouleverser mes projets. Je réfléchirai surtout à mon aptitude physique et mentale de poursuivre la compétition. Prendre congé sur une médaille olympique serait magnifique.

par matthias stockmans – photos: reporters

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