Plutôt zen que kamikaze

Le portier japonais des Rouches réalise une saison parfaite. Comment est-il devenu incontournable, lui qui était sur la sellette après une première saison mitigée à Sclessin ?

Si le Standard occupe depuis le début du championnat la première place du championnat, il le doit à ses buteurs, à sa défense mais également à son gardien. Décrié après sa première saison à Sclessin, au point d’avoir tâté du banc au profit d’Anthony Morris, et d’avoir été sifflé par des supporters, nostalgiques d’un Sinan Bolat tombé en disgrâce auprès des dirigeants, l’international japonais Eiji Kawashima semblait même en fin de parcours au Standard.

Fin juin, le club liégeois ne masquait pas son désir d’attirer un nouveau gardien numéro un (ce qui fut fait avec l’arrivée de Yohan Thuram enjuillet) et Kawashima n’était pas disposé à cirer le banc, surtout lors d’une année pré-Coupe du Monde, lui qui est un titulaire indiscutable de l’équipe nationale du Japon.

Huit mois plus tard, l’ancien gardien du Lierse a fait taire tous ses détracteurs. Pour expliquer l’excellente saison de Kawashima, certains évoquent l’arrivée d’un nouvel entraîneur des gardiens, Jos Beckx ou le mental de guerrier de ce gardien atypique. D’autres le départ de Bolat et l’arrivée de Thuram.

L’année passée, Kawashima n’avait pas vraiment de concurrent au poste de numéro un mais en même temps, il devait sans cesse convaincre des supporters qui n’avaient d’yeux que pour Bolat. En été, il a non seulement été débarrassé de cette ombre gênante mais dans le même temps, il a également dû se remettre en question, l’arrivée de Yohan Thuram, gardien que toute la France s’arrachait après une excellente saison avec Troyes, étant entérinée.

Et c’est peut-être bien le timing de l’arrivée du gardien français qui l’a sauvé ! Comme le dossier a traîné, Guy Luzon n’a pas eu d’autre choix que de commencer la saison avec Kawashima comme titulaire. L’idée semblait simple : laisser le temps à Thuram de s’installer et à Kawashima de monnayer sa sortie, son statut d’international japonais et de gardien expérimenté lui valant une assez belle cote sur le marché des transferts.

Finalement, Kawashima n’est pas parti et ses prestations ont pris de la consistance match après match. Aujourd’hui, il est en lice pour le prix de gardien de l’année alors que Thuram a dû s’exiler à Charlton. Comme quoi, la roue peut vite tourner.

Comment expliquer sa renaissance ?

C’est d’abord l’histoire d’une découverte réciproque. En arrivant cet été au Standard, Jos Beckx n’était pas convaincu par le gardien japonais. Il avait analysé ses prestations lors de la Coupe des Confédérations et cela lui paraissait trop court pour le Standard. Il lui semblait impossible de corriger les défauts d’un gardien déjà âgé de 30 ans. Mais il a été séduit par la volonté de travail de Kawashima, par son écoute et son approche du métier. De l’autre côté, Kawashima a immédiatement accroché aux méthodes de Beckx.

Et puis, il y a une histoire de contexte général.  » Kawashima évolue derrière une défense stable et performante. Cela ne peut que le mettre en confiance « , explique l’ancien gardien d’Anderlecht et actuellement entraîneur des gardiens chez les Diablotins, Filip De Wilde.

 » Kawashima respire mieux depuis la saison dernière et l’arrivée de Mircea Rednic qui a remis un système défensif en place « , estime Bruno Taverne, ancien gardien et commentateur avisé de Voo.  » C’est beaucoup plus facile pour un gardien de s’exprimer derrière une défense organisée. La preuve : 17 clean sheets sur 30 matches avec Rednic. Cette saison, c’est 17 clean sheets sur 28 matches avec Luzon*.

Le Standard défend avec un bloc défensif assez bas et pour un gardien de ligne comme Kawashima, c’est toujours aussi rassurant ! Quand il y a danger et le feu sur sa ligne, il excelle avec ses arrêts réflexes. Il est rassuré par l’organisation défensive et donc plus régulier aussi dans ses prestations. Il y avait encore de nombreuses failles, la saison dernière.

Le Standard avait encaissé, par exemple, 11 fois suite à des face-à-face perdus par le gardien. C’est beaucoup ! Cette saison, ce chiffre passe à 1 ! Ce n’est pas que Kawashima, c’est toute une organisation qui fait bloc. Et puis c’est une année Coupe du Monde, il s’y prépare à chaque instant. C’est une motivation capitale !  »

Une culture de grands gardiens

Cependant, jouer derrière une défense performante peut également s’avérer périlleux.  » Jouer dans un club moyen est bien plus facile car un gardien a beaucoup de travail « , nuance Hans Galjé, ancien entraîneur des gardiens du Standard.  » Au Standard, tu as moins d’occasions de te montrer.  »

Cédric Berthelin, entraîneur des gardiens d’Ostende, corrobore ces propos.  » Au Standard, il n’a qu’un ou deux arrêts par match à effectuer. S’il se loupe, il n’aura pas d’autres moyens de se rattraper. Cela demande donc une concentration de tous les instants. De plus, dans ce club, tu es plus épié qu’ailleurs car il y a une culture des grands gardiens. Les supporters ont été habitués aux légendes (NDLR : comme Jean Nicolay, Christian Piot, MichelPreud’homme, Gilbert Bodart, Vedran Runje ou Sinan Bolat) et ont tendance à moins pardonner les erreurs qu’ailleurs.  »

Réussir au Standard et surmonter une mauvaise passe requiert donc une grande force mentale.  » C’est cela qui me marque le plus chez le Japonais « , reconnaît Berthelin.  » Quand on voit comment il a été critiqué la saison passée, il fallait beaucoup de caractère pour surmonter cela.  »  » Il a été mis sur le banc ; il a vu en début de saison qu’on cherchait un autre gardien et malgré cela, il est revenu plus fort « , ajoute Geert De Vlieger, ancien gardien international.  » Mentalement, il n’y a pas plus fort dans le championnat de Belgique.  »

Filip De Wilde est également impressionné par son mental.  » C’est clairement son point fort. Sa détermination à démontrer ses qualités et à faire taire les critiques a fait la différence.  »

Est-il le meilleur gardien du championnat ?

D’après nos interlocuteurs, non. Ils lui préfèrent le gardien du Club Bruges, l’Australien Mathew Ryan.  » C’est un gardien plus moderne, avec un style de jeu fait de longues relances au pied et à la main, qui couvre davantage de surface, alors que Kawashima est plus classique « , analyse De Wilde.  » Dans ses 16 mètres, il sort plus loin que le gardien japonais « , ajoute De Vlieger.

Mais tous le mettent dans le top-3 des meilleurs gardiens du championnat.  » C’est clair qu’avec Ryan, il fait partie des deux gardiens qui se détachent actuellement « , dit Berthelin.  » Après, je n’oublierais pas Silvio Proto qui preste également à un haut niveau depuis plusieurs saisons mais qui est actuellement gêné par des blessures.  »

Trio identique pour De Vlieger alors qu’Hans Galjé hésite pour le numéro trois.  » A la fin d’une saison, tu fais le bilan et tu te poses la question de savoir quels gardiens ont gagné des points pour leur équipe « , argumente Galjé.  » Quand tu en as gagné beaucoup, ta saison est pleinement réussie. Et c’est le cas de Kawashima et de Ryan. Moi, je mettrais 1. Ryan, 2. Kawashima et pour la troisième place, j’hésiterais entre Proto, Laszlo Köteles et Matz Sels de Gand.  » Quant à De Wilde, il cite Ryan, Kawashima, Proto et Köteles.

Quel est son style ?

Kawashima, c’est avant tout des arrêts spectaculaires, des détentes limpides et des réflexes inouïs.  » Pour moi, c’est le top niveau en termes de réflexes et de détente « , s’enthousiasme De Vlieger.  » Il a un style très particulier, avec des prises de balle spéciales, mais qui est très efficace. Cependant, ce qui me frappe, c’est son expression. Sur son visage, on voit qu’il sait très bien ce qu’il doit faire et ce qu’il veut faire.  »

De Wilde poursuit ce raisonnement.  » Sa technique ne correspond pas aux standards en vigueur chez nous. Par exemple, il plonge sur le ventre, ce qu’on essaye de limiter ou d’éviter le plus possible. Mais chez lui, ça passe et ça le rend très efficace. Il a l’air d’avoir beaucoup travaillé sa force. C’est un gardien puissant, qui a une main ferme et de la vivacité.  »

 » J’ajouterais un élément essentiel qui lui permet de briller actuellement : sa maturité et son expérience internationale « , ajoute Galjé.  » Je ne vois pas de grande faiblesse chez lui. Il est assez complet (réflexes, frappe des deux pieds, bon athlète et réactivité). On a douté de lui mais si tu es gardien de l’équipe nationale du Japon, tu ne peux qu’avoir des qualités.  »

A-t-il encore des faiblesses ?

La saison passée, Kawashima était souvent jugé très durement. Sa saison actuelle a-t-elle gommé pour autant ses défauts ?  » Non. Je pense notamment à son jeu au pied qui manque de variation et de précision, à son placement et à certains aspects tactiques de son jeu « , affirme Taverne.  » Malgré les Laurent Ciman, Kanu, Jelle Van Damme, le Standard continue d’encaisser pas mal de buts de la tête (38 %).

Quasiment 50 % des buts encaissés sur centre (7), 16 buts encaissés au total dont 8 à l’intérieur du petit rectangle. Un rien plus loin de sa ligne, Kawashima est techniquement et tactiquement affaibli. C’est un aspect où, avec un meilleur placement, il pourrait encore progresser, vu sa vivacité.  »

 » La saison passée, on parlait beaucoup de ses sorties aériennes « , dit De Vlieger,  » Je ne pense pas qu’il aime sortir car son jeu est davantage basé sur ses réflexes et sa réactivité. Cependant, il ne faut pas non plus oublier qu’il s’agit du point faible de beaucoup de gardiens. Tout simplement parce que c’est le domaine le plus compliqué à maîtriser.  »

 » Il ne capte pas souvent de ballons aériens mais il ne fait que s’adapter au jeu du Standard « , nuance De Wilde.  » Le Standard joue assez bas. Il n’est donc pas tellement nécessaire pour lui de sortir.  »

* Les statistiques données par Bruno Taverne proviennent de Visiondujeu.com

PAR STÉPHANE VANDE VELDE – PHOTOS: BELGAIMAGE

 » En termes de réflexes et de détente, c’est le top niveau. » Geert De Vlieger

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