« Plutôt des joueurs pédés qu’un psy »

La psychologie sportive demeure souvent un énorme tabou en foot.

En Belgique, aucun club de foot ne s’est offert les services réguliers d’un psychologue sportif. A l’étranger, une telle démarche est également l’exception mais les choses commencent à bouger au vu des expériences positives enregistrées. Le monde du ballon rond est d’un conservatisme à toute épreuve dans tous les domaines, à fortiori dans des branches que le commun des dirigeants ne maîtrisent pas.

« Je pense tout simplement que le seul mot psychologie effraye tout un chacun à l’exception de ceux qui savent ce dont il s’agit », explique le Waaslandien Jef Brouwers, de la société Actpartner (Partners for results), psychologue et ancien arbitre. « L’idée que la plupart des gens ont de cette discipline est en grande majorité négative. Les gens pensent qu’un psychologue est nécessaire quand les choses vont mal, pour les perdants, quand il y a un trouble de la personnalité ou un problème quelconque de comportement. Jean-Claude Jourquin, le président de la Commission Centrale de l’Arbitrage, a dû déployer des trésors de diplomatie pour faire admettre qu’un coaching mental pourrait apporter un plus aux arbitres, davantage soumis au stress et à la pression que les joueurs. Je pense personnellement qu’il s’agit d’un manque flagrant d’informations du grand public. Il y a beaucoup d’amateurisme dans la gestion du sport professionnel en Belgique et beaucoup de détails sont négligés, dont celui de l’aspect mental ».

Brouwers dirige aujourd’hui le département préparation mentale à la CCA, un des quatre pilliers de la préparation des hommes en noir, avec les aspects technique, physique et médical. A l’initiative de Roger Schoetels, président de la Commission Provinciales de l’Arbitrage, il avait commencé à s’occuper des arbitres provinciaux anversois. Très méfiants au début, ils sont plutôt contents aujourd’hui de le voir débarquer dans leur vestiaire pour une discussion qui est finalement à l’opposé de celle qu’ils imaginaient en pensant au divan de Freud.

« Au niveau national, à la CCA, j’ai commencé par expliquer que la psychologie ne s’adresse pas à des malades mentaux. Dans mon entreprise, je travaille avec des managers de très haut niveau, des gens généralement fort bien équilibrés et qui doivent le plus souvent gérer un stress bien plus important que celui des footballeurs ».

Alors pourquoi les clubs ne font-ils pas appel à un psy sportif? Tous ceux que nous avons interrogés sur le sujet donnent des réponses identiques. La psychologie est une matière que les entraîneurs maîtrisent peu ou prou et souvent très mal. Ils ne veulent donc pas s’en servir, un peu comme de vieux chefs d’entreprises prennent leurs distances vis-à-vis de l’informatique, laissant le maniement de la souris à leurs subordonnés. De plus, les coaches craignent qu’une part de leurs prérogatives soit rognée s’ils faisaient appel à un préparateur mental. Des exemples récents ont montré toute la méfiance que le monde du ballon rond porte à cette discipline en Belgique.

Dans l’affaire Amand Ancion, on a levé immédiatement les boucliers lorsqu’on a mis un orteil maladroit dans le domaine. D’aucuns ont confondu troubles psychologiques et mauvaise gestion du stress. Et lorsque le joueur du Sporting de Charleroi, Christian Negouai a déclaré, après avoir reçu quelques cartes rouges successives, qu’il allait consulter un spécialiste pour apprendre à gérer son stress, le club du Mambourg s’est fendu le lendemain d’un communiqué pour préciser que le Martiniquais allait voir un sophrologue (en gros, un spécialiste de l’évacuation du stress) et non pas un psychologue. Le message voulait dire: -Ne croyez pas que notre médian défensif est fou, il a simplement les nerfs à fleur de peau.

« Et pourtant, le rôle du psychologue peut être déterminant », explique Johan Desmadryl de l’université de Gand. « L’idéal serait même de le consulter avant même d’opérer une sélection pour un grand tournoi, comme une phase finale de la Coupe du Monde, pour peu qu’il ait eu le loisir d’observer le groupe pendant un laps de temps assez long, voire même dans le cas d’un club avant de transférer un joueur ».

Il faut qu’un noyau qui va vivre trois semaines ou un mois en communauté ait un maximum de chances de s’entendre et de bien communiquer. Si Eric Cantona n’a pas trouvé souvent grâce auprès du sélectionneur de l’équipe de France, c’est tout simplement parce que sa personnalité aurait pu nuire à l’esprit de groupe (l’un ou l’autre candidat Diable Rouge évincé se reconnaîtra peut-être dans ce cas d’école). Les qualités techniques du Français n’étaient bien sûr nullement en cause. A l’inverse, certains joueurs sont sélectionnés plutôt que d’autres parce que l’on sait qu’ils s’intégreront parfaitement dans le groupe et ne seront pas négatifs s’ils ne sont pas alignés, comme Raymond Mommens avant ou Eric Van Meir chez les Diables. Tous les psys insistent sur le fait qu’il faut un leader sur le terrain pour le jeu et un autre en dehors pour l’ambiance. C’est toujours deux joueurs différents. Tous deux sont indispensables pour l’épanouissement d’une équipe.

Et pourtant, pas mal de spécialistes estiment que certains coaches ont un sens inné de la psychologie. Robert Waseige est cité en premier mais ceux qui connaissent bien l’actuel sélectionneur national savent qu’avec l’âge, il a fait d’énormes progrès dans le domaine de la psychologie.

« Son idée de commencer le stage avant l’EURO 2000 par une semaine de détente à la mer était excellente », commente Bert De Cuyper, psychologue sportif, accompagnateur d’équipes de volley ou de basket et à qui le COIB a déjà fait appel. C’est l’idéal de pouvoir créer l’ambiance et la cohésion totale quand il n’y a aucun souci et aucune tension dans le groupe. Lorsqu’il y a du stress ou de la tension, c’est trop tard, la communication devient très difficile ».

L’autre cas cité en exemple est celui d’ Ivo Van Aken, coach de l’équipe nationale féminine de tennis. « Avant un tournoi de Fed Cup, il explique aux filles plusieurs jours à l’avance tous les scénarios possibles concernant la sélection et ce, principalement pour le double. Elles savent donc à quoi s’en tenir et c’est une source de stress qui disparaît ». Annoncer une sélection à la dernière minute est dans la plupart des cas une mauvaise chose.

L’explication généralement donnée est de garder ainsi tout le monde bien concentré. Erreur, car ceux qui vont jouer se sont concentrés sur le fait de savoir s’ils seront ou non sélectionnés alors que s’ils avaient été mis au courant, ils auraient pu faire converger tout leur mental sur la rencontre. Aux JO de Barcelone, nos judokas, à l’exception de Flagothier et Van de Walle, refusèrent de prendre connaissance du tirage au sort avant le jour de leurs combats, croyant ainsi garder leur influx intact. Une fois encore, il y a perte inutile d’énergie le matin de la compétition en prenant connaissance des adversaires. Beaucoup d’erreurs furent commises aux Jeux de 1992. Le cycliste Tom Smeets avait déjà gaspillé toutes ses chances avant le départ tant il était nerveux: il arracha la courroie de son cale-pied et commit un faux départ qui lui fit perdre pas mal d’énergie. Quelques conseils mentaux auraient pu éviter ce désastre. Depuis lors, il est vrai, le COIB a fait des progrès, même si l’entourage des athlètes n’est pas toujours très scientifique.

A l’étranger, le recours au psy dans un club de foot est encore l’exception.

« J’ai travaillé dans presque toutes les disciplines sportives mais une seule fois dans un club de foot », explique le Néerlandais Jan Huybers. « Je pense que pour les entraîneurs de ballon rond, c’est un tabou. Ils préfèrent que la moitié de l’équipe soit pédé (sic) plutôt que d’avoir un psy à leur côté ».

Et pourtant, la méthode Huybers a porté ses fruits dans d’autres disciplines de sport d’équipe. « La première chose à faire est de tenter que les joueurs retrouvent une mentalité de débutants. De jouer comme ils le faisaient dans la cour de récréation de l’école ou dans la rue. Ensuite, on tente de faire en sorte que chaque joueur accepte la tâche spécifique qui lui incombe, sans que l’entraîneur ait l’air de l’imposer ».

Le psy sportif néerlandais instaure aussi des détails très simples qui enlèvent une partie de stress de la vie courante qui viendrait s’ajouter à la tension engendrée par le statut de sportif de haut niveau. Un exemple courant: un joueur prend automatiquement congé, même la veille d’une rencontre hyper importante, si un de ses enfants doit aller chez le médecin. « L’apport d’un spécialiste de la préparation mentale ne peut être mesurée bien sûr. Personnellement, j’estime que si trois ou quatre joueurs se sentent mieux dans leurs pompes grâce à mon action, le résultat peut être jugé positif. Il n’y a par ailleurs aucune garantie, la préparation du joueur forme un tout. Si l’un des aspects (médical, physique, technique, mental…) foire, il y a beaucoup de chances que le rendement général ne soit pas à la hauteur ».

En Angleterre, seul à notre connaissance le club d’Aston Villa fait appel aux services d’un préparateur mental. « Le travail de notre psychologue m’a passionné », explique David James, un dirigeant du club de Birmingham. Il est étonnant que cet aspect mental de la préparation soit tant négligé par les clubs de foot, alors que ces dernières années, on a fait des progrès énormes dans les domaines médical, diététique, physique ou même technique. Les entraîneurs qui estiment qu’au niveau mental, il suffit de pouvoir se concentrer 24 heures avant un match se mettent le doigt dans l’oeil. C’est un travail constant et de très longue haleine ».

Pour ceux qui n’en sont pas convaincus, Keith suggère la lecture de l’ouvrage Mental Game Plan de Steve Bull qui suit depuis belle lurette l’équipe nationale de cricket de Sa Grâcieuse Majesté. Le chemin à parcourir est encore très long. David James précise qu’il y a un peu plus de trente ans lorsqu’il était encore joueur, la seule motivation que son entraîneur avait trouvée avant une rencontre de coupe d’Europe face aux Est-Allemands de Dresde avait été: « Surtout n’oubliez pas que ce sont les pères de ces gens-là qui ont tapé sur la g… des vôtres en 40-45 ».

Les choses ont un peu évolué depuis. Même la conviction de Bjorn Borg (si vous n’êtes pas effrayés à l’idée de perdre, vous ne gagnerez jamais), n’est plus de mise aujourd’hui car on essaye de privilégier ce qui est positif et non dénigrer le négatif.

« La plupart des entraîneurs sont d’anciens joueurs », dit Jef Brouwers. « Ils ont des compétences techniques mais cela peut se limiter là. Je trouve par exemple inacceptable qu’un coach manque d’une manière quelconque de respect à un joueur, sous prétexte d’un effet stimulant. L’idéal n’est pas que le coach décide seul mais bien en équipe avec le médecin, le kiné ou le psy ».

En France, où l’avancée des psychologues sportifs est une réalité (voire le site de la Fédération européenne de psychologie des sports et des activités corporelles – www.psychology.lu.se/FEPSAC/), on a tiré les enseignements des aventures respectives aux JO de Sydney de Marie-Jo Perec et de David Douillet. Le judoka était en état de grâce psychologique et n’avait besoin d’aucune aide dans ce domaine. L’athlète en revanche…

Gilbert Avanzini du laboratoire de la performance motrice à Orléans a collaboré avec pas mal de médaillés d’or tricolores et leur entraîneur. « Il inventait des balises invisibles, comme le troisième coup de pédale », explique Felicia Balangez, la cycliste deux fois médaillée. « En trouvant les petits détails qui m’empêchaient de progresser, il m’a libérée ».

Les petits détails. Une expression qui revient régulièrement lorsqu’on s’entretient avec les psys du sport. « Seul un psychologue aurait pu apporter un plus », expliquait Robert Waseige dans son analyse-bilan de la préparation de l’EURO 2000. « Un psychologue peut toujours apporter une plus value. Mais une telle personne doit être associée au programme bien avant son début pour pouvoir s’intégrer discrètement, sentir le groupe par intuition et être acceptée par lui ».

On y pense pour le Mondial 2002…

Guy Lassoie

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