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 » PLUS RIEN N’AURAIT PU ME RETENIR À ANDERLECHT »

Dennis Praet (22) a découvert un autre monde en Italie. Après quatre mois à la Sampdoria, des termes comme mezz’ala, trequartista et sopra n’ont plus aucun secret pour lui. Le chapitre anderlechtois est complètement refermé.

Le jour du référendum historique sur la réforme de la constitution en Italie, Dennis Praet est titularisé pour la cinquième fois en Serie A, face à Torino. A quelques heures du coup d’envoi, les rues du quartier de Marassi sont envahies par des tifosi de la Sampdoria. Ils viennent de Gênes et du nord de l’Italie. La Samp a des fans à Vérone, Cuneo, Côme, Modène, Trévise, Savone, Pavie ou encore Lavagna. Au sommet du stade rectangulaire en briques rouges qui fait penser à un entrepôt britannique, on aperçoit même un drapeau d’un club de supporters de Bari, au sud de l’Italie : 1000 km d’amore. Puglia Blucerchieta.

A la Genoa, le club rival, on considère cependant encore les supporters de la Samp comme des intrus. A l’origine, en 1911, le Stadio Luigi Ferrari avait été construit pour la Genoa. Ce n’est qu’en 1946 que la Samp y a pris ses quartiers. Ceux de la Genoa se sentent toujours lésés et scandent U campu du Zena. Ce qui, en ligure, signifie : le terrain de la Genoa. En 2011, la Gradinata Nord de la Genoa est même allée plus loin en plaçant une banderole sans équivoque disant : La ville n’a pas besoin de toi, Sampdoria… Quitte Gênes immédiatement.

 » Le derby Sampdoria – Gênes, c’est Anderlecht – Standard au carré « , dit Dennis Praet.  » Stefano Okaka, qui a joué à la Sampdoria, m’avait prévenu : Tu vas découvrir quelque chose. J’avais haussé les épaules. Qu’est-ce que ce derby pouvait bien me faire ? (il souffle) Je suis resté sur le banc pendant 90 minutes mais ce fut un moment exceptionnel. Nous avons gagné 2-1 et, après le match, j’ai vu des collaborateurs du club envahir le terrain en pleurant. Puis l’émotion a fait place à la fête. Dans la rue, les gens criaient : Gênes appartient à la Sampdoria. C’était chouette mais bon… Il y a un match retour.  »

Contre Torino, Praet quitte le terrain à la 83e minute. Le Louvaniste admettra par la suite qu’il était temps : à 20 minutes de la fin, il était cuit. Au moment de son remplacement, il est très applaudi. Au même moment, un drapeau frappé de la croix de Saint-Georges – une croix latine rouge sur fond blanc – flotte au vent. C’est l’emblème de l’Angleterre mais aussi de la ville de Gênes.

 » J’ESPÉRAIS ÊTRE TITULAIRE IMMÉDIATEMENT  »

Peut-on dire que les supporters vous aiment bien ?

DENNIS PRAET : (après réflexion) Je pense que le public ne me connaît pas encore. Face à Torino, c’était seulement la deuxième fois que j’étais titularisé à domicile. J’ai coûté cher au club et j’ai le sentiment qu’on attend encore plus de moi. Mais ce public est en général très positif, il ne siffle pas au moindre centre raté et celui qui se donne à 100 % ne doit pas craindre les mauvaises réactions. Ces supporters encouragent leur équipe pendant 90 minutes. Il y a peu, contre Sassuolo, nous avons gagné 3-2 après avoir été menés 0-2. Nous avons inscrit trois buts en sept minutes et nous le devons en grande partie à nos fans.

Vous avez entamé la saison avec un handicap puisque l’entraîneur, Marco Giampaolo, ne vous connaissait pas.

PRAET : C’est vrai. C’est Vicenzo Montella qui avait demandé qu’on me transfère mais, à l’intersaison, il est parti à l’AC Milan. De plus, mon transfert s’est fait très tard. En août, lorsque j’ai signé, Giampaolo avait déjà une équipe en tête. Il ne me connaissait pas – il avait juste vu des extraits de matches sur une banque de données – et les autres joueurs non plus. Il m’étonnerait fort que les Italiens suivent le championnat de Belgique (il rit).

Vous saviez donc que vous risquiez de ne pas jouer beaucoup.

PRAET : Je ne vais pas être hypocrite : j’espérais être titulaire immédiatement. Mais l’entraîneur s’en tient à son onze de base, il a confiance en l’équipe qui a entamé la saison. Désormais, il sait que, quand j’entre au jeu, je peux faire basculer le match. Un peu comme Dries Mertens : quand il entre, il se passe toujours quelque chose. Mais je ne veux pas qu’on pense de moi que je ne suis qu’un supersub.

En Italie, douze joueurs peuvent prendre place sur le banc. Ça ne vous a pas fait peur ?

PRAET : Personne ne m’avait prévenu. Je me suis dit que chaque équipe avait peut-être droit à six remplacements mais ce n’est pas le cas (il rit). Être douze sur le banc, c’est chouette mais ça signifie aussi qu’on prépare le match à 23, que l’entraîneur a plus de choix au moment d’effectuer un remplacement et qu’on a dès lors moins de chance de monter au jeu.

 » J’AI DÛ REVOIR MON JUGEMENT SUR LA SÉRIE A  »

Avons-nous une fausse idée du jeu pratiqué en Italie ?

PRAET : Moi, en tout cas, j’ai dû revoir mon jugement sur la Série A. On entend toujours dire que le foot italien est très défensif mais après quatre mois, je constate que c’est bien plus engagé qu’en Belgique. Toutes les équipes pressent haut. Ce n’est pas le cas en Belgique.

Quelle fut votre plus grande difficulté sur le plan tactique ?

PRAET : J’étais habitué à jouer avec un numéro dix et deux ailiers qui élargissaient le jeu. A la Sampdoria, c’est : in avanti, indietro, in avanti : une passe en avant, une en arrière, une en avant. N’essayez jamais de faire une passe latérale. La base de notre football est simple : le ballon doit toujours partir en profondeur, dans l’axe. Nous sommes en difficultés face aux équipes qui massent beaucoup de monde au centre du terrain alors je me dis parfois qu’il faut utiliser l’espace sur les flancs mais l’entraîneur croit tellement en son système qu’il veut qu’on passe par l’axe. N’essayez donc pas de débouler sur le flanc : Giampaolo aime le jeu vertical sans fioritures. Si l’arrière latéral donne le ballon au meneur de jeu, les attaquants savent que le ballon va être balancé en un temps par-dessus la défense, à l’aveuglette. On appelle ça sopra.

Les Italiens ont pourtant de la suite dans les idées. Ils ne font pas n’importe quoi sur un terrain.

PRAET : Tactiquement, il y a un monde de différence avec la Belgique. A Anderlecht, avant un match, nous avions droit à une demi-heure d’images de l’adversaire mais aucun entraîneur ne les décortiquait à fond. Ici, nous avons d’abord une première séance pour nous montrer comment nous devons presser puis une autre pour nous montrer comment éviter le pressing adverse. Voyez le match contre Torino : nous savions à l’avance où il y aurait des espaces et ce qu’il fallait faire pour les exploiter… Quand je jouais en Belgique, cette finesse m’échappait. Aujourd’hui, je comprends que le football est un jeu d’échecs.

 » ICI, PAS QUESTION D’IMPROVISER, TOUT EST DÉFINI  »

Prenez-vous activement part aux discussions tactiques ?

PRAET : Au cours des jours qui précèdent les matches, je me demande toujours quelles solutions l’entraîneur va trouver. Il est très fort pour décortiquer le système de l’adversaire. Chez nous, tout le monde connaît sa tâche, tout est déterminé, on ne peut pas improviser. Cela a aussi un gros inconvénient : en possession de balle, on nous prive d’une partie de créativité. Or, j’aime être autonome. On peut dire que nous sommes dans un carcan.

Aujourd’hui, j’évolue en tant que mezz’ala. Je suis un des deux médians extérieurs dans un losange. Mais si je m’approche trop de la ligne de touche ou si je pars trop en profondeur, l’entraîneur me rappelle à l’ordre. Il dit que je prends trop de risques et que cela peut être fatal en cas de perte de balle car je suis hors position.

Ce n’est pas en jouant comme cela que vous inscrirez beaucoup de buts et que vous délivrerez beaucoup d’assists.

PRAET : Non mais on ne me jugera pas non plus sur mes statistiques. Mes tâches principales, c’est d’entamer les actions, de veiller à l’équilibre, de soutenir les attaquants et de défendre. Sur le plan tactique, cela demande donc beaucoup de discipline mais après, je dois expliquer aux Belges pourquoi je n’ai pas encore marqué ou délivré d’assist… D’ailleurs, qui peut se vanter d’inscrire dix buts ou de faire dix passes décisives en Série A ? Seulement les tout grands !

Avez-vous définitivement fait une croix sur la place de meneur de jeu ?

PRAET : Bah… Je pense que je peux aussi me débrouiller comme mezz’ala. Je fais plus de kilomètres et je dois défendre davantage mais ça me convient. En dix, la concurrence est énorme. Nous sommes quatre pour une place : Ricky Alvarez, Bruno Fernandes, le capitaine des U21 du Portugal, Filip Djuricic et moi. Au total, Djuricic a joué 20 minutes en championnat. Pourtant, quand on le voit à l’entraînement, on se demande pourquoi il joue aussi peu.

 » JE N’AI JAMAIS CAUSÉ DE PROBLÈME À ANDERLECHT  »

Quand avez-vous décidé de quitter Anderlecht ?

PRAET : J’ai commencé à y penser au début de la saison dernière mais Anderlecht demandait trop. C’était peut-être justifié car il me restait deux ans de contrat tandis que, cette année, ils étaient obligés de me vendre s’ils voulaient gagner quelque chose. Je regrette seulement que la direction se soit montrée aussi rigide au cours des négociations et qu’elle n’ait pas diminué quelque peu le prix.

Il semble qu’aucune des parties n’était prête à faire des concessions.

PRAET : Je ne suis pas d’accord. J’ai été correct du début à la fin, je n’ai jamais causé de problème. Pour moi, la seule chose qui comptait, c’était que les conventions signées soient respectées.

Comme vous n’êtes pas titulaire indiscutable à la Sampdoria, en Belgique, les gens se disent que vous auriez dû rester à Anderlecht.

PRAET : C’est n’importe quoi. Tout est question de perception. Quand un joueur n’est pas titulaire, on pense qu’il a échoué. Mais le fossé entre la Belgique et l’Italie est immense. Je cherchais un défi et la Sampdoria m’en a proposé un. A moi de repousser mes limites. Je suis content de repartir de zéro.

Pourtant, même Herman Van Holsbeeck dit que vous auriez dû rester un an de plus et quitter le club en patron.

PRAET : Ce n’est pas mon avis. Pour moi, le moment de quitter Anderlecht était venu. On ne sait jamais ce qui peut se passer : une blessure pouvait me faire perdre plusieurs années. Après cinq ans, trois titres et quelques belles campagnes en Ligue des Champions, j’avais envie de me lancer dans quelque chose de nouveau.

 » WEILER M’A DEMANDÉ À PLUSIEURS REPRISES DE RESTER  »

Vous n’avez donc jamais envisagé de rempiler.

PRAET : Mon objectif, c’était une nouvelle aventure et rien ni personne n’aurait pu me faire changer d’avis. J’ai entendu dire que René Weiler voulait faire de moi son capitaine… Weiler m’a beaucoup parlé, il m’a demandé à plusieurs reprises de rester mais ma décision était prise depuis longtemps et le brassard de capitaine n’y aurait rien changé.

Espériez-vous que de plus grands clubs frappent à votre porte ?

PRAET : Des grands clubs intéressés, il y en a eu mais on en revient au prix exigé par Anderlecht. C’était beaucoup pour un joueur qui n’avait plus qu’un an de contrat. Certains clubs n’étaient pas prêts à fournir le même effort financier que la Sampdoria. Dès lors, l’affaire était vite classée. Mais je ne voulais pas à tout prix jouer dans un grand club. Voyez ce qui est arrivé à Kevin De Bruyne à Chelsea : malgré ses nombreuses qualités, il ne s’y est pas imposé. C’est pourquoi je suis heureux de passer par une étape intermédiaire à la Sampdoria.

Et ici, on ne parle pas de vous chaque semaine. Ça doit être un soulagement après toutes ces années en Belgique où on vous considérait comme une vedette.

PRAET : Ouvrez La Gazzetta dello Sport – le plus grand quotidien sportif d’Italie – et vous constaterez qu’on y parle très peu de la Sampdoria. Ici, tout tourne autour de l’AC Milan, la Juventus… Je ne suis pas mécontent de ne pas être chaque jour au centre du débat. En Belgique, on disait toujours : Dennis doit progresser dans tel domaine, il n’a pas bien fait ceci ou cela… La Sampdoria est un club familial, les dirigeants sont très proches du groupe. Carlo Osti, le Herman Van Holsbeeck de la Sampdoria, ne manque aucun entraînement. Il arrive aussi parfois que nous allions manger tous ensemble, le soir, sur une terrasse en bord de mer, à l’italienne. Quand j’ai demandé conseil à Okaka, il a bien dû m’avouer que la Sampdoria lui manquait. Pourtant, il était parti fâché.

 » BRUGES FORMAIT UN MEILLEUR GROUPE QUE NOUS  »

Gênes a bonne réputation en matière de qualité de vie. Cela a-t-il influencé votre choix ?

PRAET : J’aurais pu jouer en Angleterre, une averse ne me fait pas peur. Le climat, la mer, la nourriture, ce sont des plus-values. Cela ne fait pas de moi un meilleur joueur mais ça me met de bonne humeur. Maintenant que j’évolue à l’étranger, je comprends mieux les étrangers de Belgique. Prenez l’exemple de Fede Vico : un excellent joueur mais on voyait qu’il n’était pas heureux. L’Espagne et le soleil lui manquaient. Pareil pour Sebastian De Maio : il ne s’amusait pas en Belgique.

Cette aventure à l’étranger vous a- t-elle ouvert les yeux ? Sven Kums, par exemple, se dit étonné par la façon dont tout est bien organisé à Udinese.

PRAET : Moi aussi ! A la Sampdoria, le staff est tellement grand que je ne sais pas encore très bien qui fait quoi. Quand nous sommes au vert, il y a plus d’accompagnants que de joueurs. Nous enlevons nos chaussures et, en moins de temps qu’il faut pour le dire, elles sont propres. Nous sommes donc très bien soignés ! Seules les installations ne sont pas du niveau de celles d’Anderlecht.

En Italie, le foot a une autre dimension.

PRAET : C’est le même sport mais on le vit différemment, dix fois plus intensément. Il y a au moins trois chaînes qui ne parlent que de football, avec des talk shows en permanence. Et c’est pareil en radio.

Okaka, Vanden Borre, Suarez, Defour, vous… Quand on voit les joueurs qui sont partis, on peut se dire que, la saison dernière, Anderlecht disposait du meilleur noyau de Belgique.

PRAET : Sur papier, nous avions beaucoup de qualités individuelles… Tout l’art aurait été d’en faire une équipe et ce n’était pas évident. Il fallait travailler les automatismes, convaincre les joueurs de se battre deux fois plus chaque semaine. Le Club Bruges l’a fait. Izquierdo, Refaelov, Vanaken, Vossen, Diaby, Engels et Vormer avaient autant de talent que nous. Mais ils formaient un meilleur groupe.

 » À ANDERLECHT, ON NE PARVIENT PAS À EXPLOITER LE POTENTIEL DU GROUPE  »

Est-il difficile de former un groupe homogène à Anderlecht ?

PRAET : Je ne peux pas dire que l’ambiance était mauvaise mais nous ne parvenions pas à nous exprimer en équipe. Au cours des deux dernières saisons, nous n’avons pas exploité au maximum le potentiel du groupe. Et c’est pareil cette saison. Vous n’allez pas me dire qu’avec Hanni, Stanciu, Dendoncker, Tielemans, Teodorczyk et Bruno, il n’y a pas moyen de faire une grande équipe. Pourtant, par moments, ça coince. A cause de quoi ? Difficile à dire.

Un championnat se gagne aussi en dehors du terrain. Les joueurs de Gand ont créé un groupe sur WhatsApp qui les a rapprochés, par exemple.

PRAET : Et vous croyez qu’ils ont été champions grâce à WhatsApp ? (il grimace) Ils le doivent surtout à Hein Vanhaezebrouck qui avait mis en place un système difficile à déjouer. Tactiquement, c’était très fort, ça frôlait même parfois la perfection. Gand n’a pas de star mais tous ses joueurs savent toujours exactement ce qu’ils ont à faire.

L’ambiance au sein du groupe a tout de même de l’importance, non ?

PRAET : D’accord, ça joue un rôle. C’est un des facteurs qui peut vous faire gagner un titre ou le perdre. Mais le football n’est pas une science exacte. J’attends toujours le premier scientifique qui dira : si vous faites ceci, vous obtiendrez tel résultat.

Qu’avez-vous appris au cours de cette courte période sous la direction de René Weiler ?

PRAET : Weiler est un connaisseur. Je le comprends quand il dit que le football, c’est avant tout de la discipline, de l’enthousiasme et un don total de soi. Est-ce trop demander ? Son approche ne me dérangeait pas et je ne pense pas, dès lors, qu’il se soit montré trop dur envers certains joueurs. Ceux qui se sont frités avec lui sont ceux qui ne se donnaient pas à fond ou n’étaient pas concentrés. C’est bien qu’il ait osé s’en prendre à des joueurs importants, comme Okaka. Il a renforcé son autorité dans le vestiaire.

PAR ALAIN ELIASY À GÊNES – PHOTOS BELGAIMAGE – MARINA MAZZOLI

 » Le fossé entre l’Italie et la Belgique est énorme.  » DENNIS PRAET

 » Aujourd’hui, je comprends que le football est aussi un jeu d’échecs.  » DENNIS PRAET

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