PLUS QU’ UN CLUB

Hilal Al-Quds est un club palestinien de Jérusalem-Est. Le mur israélien le sépare de son terrain et la plupart de ses joueurs ne peuvent pénétrer dans la ville. En visite chez le champion de la Premier League de Cisjordanie.

À peine sommes-nous installés, alors que le café arabe n’est pas encore servi, qu’on nous reparle du conflit israélo-palestinien.  » Bienvenue au pays de la paranoïa.  » Sur la terrasse du Gate Café, juste au-delà de la Damascus Gate, dans le quartier islamique de la cité, un homme remarque que nous observons deux soldats dont les lourdes armes brillent sous le soleil matinal.  » Border police ! «  La police frontalière.  » Voyez-vous une frontière ici ?  » S’ensuit l’histoire du mur israélien, des postes de contrôle et du système de visas.  » Moi, j’appelle ça un système d’apartheid qui comporte huit classes. Tout au-dessus, on trouve les Juifs israéliens. Ils peuvent tout se permettre. Ma grand-mère raconte qu’avant, musulmans, chrétiens et Juifs cohabitaient sans trop de problèmes mais depuis l’émergence du nationalisme juif et la fondation de l’État d’Israël en 1948, ce n’est plus possible. Je sais que les nazis ont poursuivi et massacré les Juifs en Europe mais devons-nous en payer l’addition ?  »

Un outil identitaire

Comme convenu, Hanadi Nasser Eldin, manager général du club Hilal Al-Quds, nous attend dans son bureau, attenant à une école dans un quartier poussiéreux qui se trouve un peu à l’écart de la vieille ville. Des fillettes jouent au basketball dans la cour. Mais où se trouve donc le terrain de football ?

 » Nous jouons à Al-Ram, à sept kilomètres d’ici « , précise l’une d’entre elles.  » Avant, ce n’était qu’à vingt minutes en voiture mais à cause du mur et du poste militaire de contrôle à Kalandia, il nous faut parfois deux ou trois heures.  »

Au mur derrière son bureau, une photo de Yasser Arafat, le défenseur de l’identité palestinienne jusqu’à sa mort, le premier président de l’Autorité palestinienne et le Prix Nobel de la Paix 1994, avec le président israélien Shimon Peres et le premier ministre Yitzhak Rabin, assassiné un an plus tard par un extrémiste.

 » Le football constitue notre principale activité mais en fait, nous dépassons le cadre du football « , explique Hanadi.  » Nous sommes surtout un club de jeunes. Nous proposons de la natation, de la boxe, du tennis de table, du taekwondo, de l’aïkido, du basketball pour filles et garçons. Nous avons également une cellule de scouting et nous organisons toutes sortes de cours.  »

L’année dernière, Hilal Al-Quds (Jérusalem Hilal Club) a fêté ses 40 ans.  » Le club a été fondé en 1972, par quelques footballeurs réunis dans une arrière-salle « , raconte le vice-président, Amjad Ghosheh, arrivé entre-temps.  » C’était cinq ans après la guerre des Six Jours, durant laquelle Israël a conquis la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, la bande de Gaza et le Sinaï. Au début, l’occupation a mis fin à toutes les activités sportives. Ce n’était que souffrance et misère partout mais après quelques années, les gens ont retrouvé le goût des loisirs. Ils ont également voulu entreprendre quelque chose pour préserver leur identité palestinienne. Le sport a été un des outils choisis. En inscrivant un club de Jérusalem en championnat palestinien et non israélien, nous avons rappelé que les Palestiniens de Jérusalem-Est existaient toujours. C’était un début. Nous sommes devenus bien plus qu’un club sportif. Nous contribuons à former le caractère de nos jeunes, à leur faire prendre conscience de la situation, à leur apprendre ce qui est bien et mal. Les Palestiniens disposent de très peu d’infrastructures. Pour vous donner un exemple, la population palestinienne a quintuplé ici depuis 1967 mais elle a obtenu très peu de maisons supplémentaires. Il nous est extrêmement difficile d’obtenir un permis de bâtir des autorités israéliennes. Cela peut durer cinq ans, cela coûte beaucoup d’argent, sans la moindre certitude d’obtenir le permis. Seuls 30 à 40 % des demandes sont acceptées.  »

Un guide nous a dépeint la situation dans les quartiers palestiniens de Jérusalem-Est : il faudrait au moins mille locaux de classes supplémentaires, 75 % de la population vit en dessous du niveau de pauvreté, la criminalité ne cesse de croître et 15.000 Palestiniens ont été expulsés du pays. Beaucoup de maisons sont surpeuplées et quasi tous les jours, on assiste à la démolition de maisons construites sans permis de bâtir. Plus de 100.000 personnes risquent de connaître ce sort à court terme.

Des visiteurs aux yeux d’Israël

 » Depuis 1967, Israël met tout en oeuvre pour nous chasser du pays « , poursuit Amjad Ghosheh.  » C’est comme s’il avait commis l’erreur, à l’époque, de ne pas nous tuer ni nous expulser tous. Ceux qui vont habiter juste au-delà du mur perdent leur permis de séjour à Jérusalem. Pourtant, en établissant mon arbre généalogique, j’ai constaté que ma famille vivait ici depuis 550 ans. Je n’ai pas pu remonter plus loin car les Ottomans ont modifié les noms et il est impossible de suivre nos traces. Pourtant, aux yeux d’Israël, je suis un visiteur. Les Israéliens veulent notre terre mais pas les gens qui y vivent. Pourtant, je n’ai pas le moindre problème avec les Juifs, où que ce soit dans le monde.

Je suis musulman mais j’ai des amis juifs, j’ai fréquenté une école chrétienne, j’ai travaillé cinq ans pour leYMCA, un mouvement de jeunesse chrétien, et même mon partenaire d’affaires est chrétien. Il en va de même pour Hilal Al-Quds : deux de nos dirigeants sont chrétiens. Pourtant, voici notre réalité : la plupart des enfants palestiniens de Jérusalem grandissent sans éducation, sans soins et sans espoir. Certains travaillent comme ouvriers dans la construction ou comme personnel d’entretien pour des firmes israéliennes, d’autres sombrent dans la criminalité. Certains ont même travaillé au mur ou ont construit les colonies juives de Jérusalem-Est et de Cisjordanie. C’est tragique mais que ne ferait-on pas pour offrir à ses enfants de quoi manger et se soigner ?

Notre club essaie de créer de l’espoir. Hormis Hanadi, nous sommes tous bénévoles. Nos parents ont pu nous élever comme il se doit, nous avons pu fréquenter l’université, lancer notre entreprise et nous stabiliser. Nous voulons offrir le plus de chances possibles au plus grand nombre d’enfants. Ils ont vraiment besoin de cette aide car l’avenir est de plus en plus sombre.  »

L’homme veut dire par là qu’il n’y a actuellement pas le moindre soupçon d’espoir de paix ni de solution au conflit israélo-palestinien, sûrement pas depuis la réélection de Benjamin Netanyahu au poste de Premier ministre israélien, car c’est sous ses ordres que les accords d’Oslo ont été délibérément bafoués, ces accords de paix entre Israël et l’OLP, l’Organisation de Libération de la Palestine, récompensée du Prix Nobel de la Paix. Jamais le premier ministre ne s’est exprimé en faveur d’un État palestinien autonome et il continue à faire construire des colonies juives à Jérusalem-Est et en Cisjordanie.

 » Je veux dire que l’économie va de plus en plus mal « , précise Amjad Ghosheh.  » Les taxes ont augmenté et beaucoup ne peuvent plus les payer. Les gens souffrent au quotidien. Ils peinent à avoir accès à l’enseignement, à trouver une maison convenable et même de l’eau potable. La pression exercée pour ne pas fréquenter l’école, sombrer dans l’assuétude ou travailler pour les Israéliens ne cesse de croître. On ne récolte plus les déchets dans certains quartiers : les habitants sont contraints de les brûler eux-mêmes chaque semaine. Certaines rues sont dans un état si piteux qu’il faut conduire sa voiture au garage une fois par mois pour la faire réparer. À Jérusalem-Est, Hilal Al-Quds est le symbole de l’espoir.  »

La Liga plutôt que la Premier League de Cisjordanie

Le football attire les jeunes palestiniens.  » C’est le sport le plus populaire, ne serait-ce que parce qu’il ne faut qu’un ballon et qu’on peut le pratiquer n’importe où. Cependant, les gens s’intéressent davantage à Barcelone et au Real Madrid qu’à la Premier League de Cisjordanie. Le matin du clasico, tout le monde est devant son écran, à Jérusalem, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.  » Hilal Al-Quds est en déficit, souligne le vice-président.

 » Notre mission sociale nous coûte entre 300 et 400.000 dollars par an. Nous rassemblons cette somme grâce à des bienfaiteurs locaux comme nous mais nous ne pouvons pas financer l’équipe de football de notre seule poche. Vous pourriez me demander pourquoi nous n’utilisons pas l’argent injecté dans l’équipe de football pour offrir de la nourriture aux nécessiteux mais je vous répondrais qu’en soutenant ce club, nous essayons d’avoir du succès en football, pour insuffler de l’espoir aux jeunes, à grande échelle, et leur montrer qu’il existe d’autres issues que le tabac, l’alcool et la drogue.

Le problème, c’est que nos rentrées sont très limitées, qu’il s’agisse de la billetterie, de la publicité et des droits de retransmission. La FIFA nous a imposé les normes correspondant à un championnat professionnel mais le pays n’est pas encore capable de les assumer. Pour former des stars, il faut effectuer de larges campagnes de marketing et nous sommes loin du compte.  »

Ce n’était pas encore certain la veille mais ça l’est maintenant : Hilal Al-Quds joue à 15 heures à Tarji Wadi Al-Nes. C’est un club des environs de Bethléem, qui n’a pas de terrain. Ses joueurs ont refusé de s’entraîner toute la semaine, suite à un retard de paiement. Le match va avoir lieu à Dura, une ville près d’Hébron. Hanadi a veillé à ce que nous puissions effectuer le trajet en voiture avec le président Raed Sublaban.

 » Dura, cela représente 40 kilomètres et trois checkpoints, donc au moins une heure et demie de route « , nous explique-t-il.  » Non, pardon, il n’y a qu’un checkpoint mais il leur arrive d’en ajouter des volants, simplement pour nous ennuyer. Il est donc difficile d’estimer la longueur du trajet.  » Il nous conduit d’abord dans une société de construction palestinienne, un sponsor d’Hilal Al-Quds.  » Ici, il y a de l’espoir. L’entreprise a de nombreux projets de construction, ce qui rencontre les besoins des Palestiniens à Jérusalem.  » Nous voyons un reportage, sur DVD, de la chaîne arabe Al-Jazeera. On y assiste au dynamitage d’une maison qui n’a pas été bâtie selon les règles. Un homme nous explique qu’on vient d’engager un architecte norvégien pour analyser la  » guerre démographique  » à Jérusalem-Est : comment Israël s’y prend-il exactement, dans l’aménagement du territoire, pour limiter, lentement mais sûrement, le nombre de Palestiniens au coeur de la ville et que faire pour contrer cette politique ?

Juifs religieux contre Juifs nationalistes

Il y a peu de circulation, nous franchissons le poste de contrôle sans encombre et poursuivons notre route vers Dura, dans un paysage agricole d’oliviers et d’amandiers en fleurs. Dans ces collines bucoliques, nous apercevons même un berger et son troupeau de moutons mais ce qui attire notre attention, ce sont les panneaux géants qui démarquent les zones de Cisjordanie. Certains panneaux – également rédigés en anglais – avertissent : y pénétrer représente un danger de mort.

 » La zone C, soit 65 % de la Cisjordanie, est aux mains d’Israël « , explique Raed Sublaban.  » Les zones A et B y forment des îlots : dans la première zone, les Palestiniens gouvernent tout mais dans la seconde, ils ne peuvent s’occuper de la sécurité. C’est l’armée israélienne qui s’en charge.  » Il nous montre une colonie juive près d’Hébron.  » Des sionistes ! Ils vous prennent vos terres, vos maisons et ils changent même le nom des rues. Nous sommes spoliés tous les jours. Ce ne sont pas les Juifs religieux qui posent problème, ils vivent en paix avec les Palestiniens à Naplouse. Non, le problème, ce sont les Juifs nationalistes. Partout dans le monde, des Juifs vivent en paix avec les autres mais apparemment, ce n’est pas du tout possible ici.  »

Pourtant, le président insiste : il a foi en l’avenir.  » Nous devons faire preuve de résistance dans la vie quotidienne, non pas en endossant le rôle de la victime mais celui du héros. En préservant notre identité, nos traditions et notre culture, en donnant à nos enfants ce dont ils ont besoin, je suis convaincu que nous parviendrons à nous forger un avenir meilleur. Nous sommes ouverts au monde et à tous ceux qui veulent y apporter leur pierre. Récemment, nos équipes de jeunes sont allées au Koweït et nous essayons de mettre en place une collaboration avec un club turc.  » Il nous jette un coup d’oeil, observe un instant de silence puis demande :  » Serait- il possible de collaborer avec Anderlecht ?

Ainsi, nos joueurs voient que le football permet de s’amuser, de voyager, de découvrir d’autres pays et d’autres cultures. Nous voulons mettre sur pied une école professionnelle de football à Jérusalem mais pour cela, nous avons besoin d’un énorme soutien financier.  » Hilal Al-Quds ne collaborera pas avec des clubs de football de Jérusalem-Ouest.  » Non, parce que nous en payerions le prix fort, au niveau politique. Le football est important mais préserver notre identité, nos traditions historiques et culturelles l’est encore plus.  »

Le match se déroule sur une pelouse synthétique dans un stade flambant neuf, inauguré il y a deux ans à l’occasion d’un match amical entre les équipes olympiques de Palestine et d’Italie, sous les yeux de quelques centaines de personnes, qui ont assisté à la victoire 1-2 de l’Italie. Hilal Al-Quds, champion de la Premier League de Cisjordanie en 2012, occupe actuellement la troisième place.  » Notre noyau est composé de Palestiniens venus de partout : du Nord et du Sud de la Cisjordanie, de la bande de Gaza, de Jordanie. L’un d’eux est même originaire du Chili « , raconte Raed Sublaban.  » Nous ne parvenons pas à boucler notre budget. La Fédération palestinienne nous a promis 200.000 dollars en début de saison mais nous n’en avons encore perçu que 20.000.  »

Exception pour les Israéliens arabes

Après le match, pourquoi ne pas revenir à Jérusalem dans le car des joueurs ? L’option est vite abandonnée : le car ne roule que jusqu’à Ramallah car la plupart des joueurs du Jérusalem Hilal Club ne peuvent pénétrer à Jérusalem.  » Sur 18, seuls quatre détiennent un visa qui leur permet de passer le poste de contrôle « , commente le vice-président Amjad Ghosheh.  » Ce sont les quatre Israéliens arabes de notre noyau. Celui qui se risque à franchir le mur et est intercepté risque un mois de prison. Le véhicule est confisqué pour six mois et le chauffeur est emprisonné un mois également. Que pensez-vous de ça ? Ici, des joueurs ne peuvent même pas rejoindre leur club.  »

PAR CHRISTIAN VANDENABEELE À JÉRUSALEM

Seuls 4 des 18 joueurs du noyau ont un visa qui leur permet de pénétrer dans Jérusalem.

Hilal Al-Qud est une manière de rappeler que les Palestiniens de Jérusalem-Est existent.

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