Plus dur, Lolo !

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Le médian des Zèbres communique avec lui-même pour que son enfance difficile arrête de le poursuivre.

L’histoire de Charleroi retiendra que Laurent Macquet (24 ans) fut son premier buteur dans ce championnat, après 508 minutes de disette. C’était à Gand, il y a dix jours, et le Français célébra ce goal comme s’il venait de faire basculer une finale de Ligue des Champions. Il a vécu ce moment comme la fin des frustrations de toute son équipe. Accessoirement, il avait la conviction d’avoir mis certaines choses au point.

Laurent Macquet : Olufade avait dit dans la presse qu’il ne recevait pas de bons ballons. Je me sentais visé vu que je suis censé être son premier pourvoyeur. Je n’avais pas trop apprécié. Nous avons eu une discussion, et tout est heureusement rentré très vite dans l’ordre. Mais j’étais pressé de donner ma réponse sur le terrain aussi. Je me disais : -Lolo, montre-leur ce que tu sais faire.

Avez-vous pensé aux propos d’Olufade dès que le ballon est entré dans le but ?

J’ai ressenti des choses bizarres. D’habitude, quand je marque, je pense surtout à moi. Là, je me suis dit que mon goal allait soulager toute l’équipe, qu’on allait arrêter de lire partout que Charleroi était incapable de scorer. J’étais conscient que la pression sur la ligne d’attaque allait enfin baisser, et c’était bien nécessaire car la situation devenait invivable. Pour les attaquants, mais pour les médians aussi. Alors que j’avais l’impression que la ligne médiane donnait régulièrement des ballons de but aux avants. Olufade n’a pas le droit de dire qu’il n’a pas eu de belles occasions lors des premiers matches. Elles ne partaient pas toutes de mes pieds, mais est-ce important ? Un attaquant peut aussi exploiter les bonnes passes des ailiers, quand même. Et, sur ce plan-là, Dufer et Oulmers font leur part de boulot. Chacun fait ce qu’il peut, mais moi, je ne suis pas Zidane.

Votre roulette à Gand avait pourtant quelque chose de la magie de Zizou !

Ce n’était pas mon plus beau but depuis mon arrivée, en janvier. Celui que j’ai marqué en fin de saison contre Lokeren était encore d’un autre niveau. Je pars de la ligne médiane, je dribble cinq défenseurs puis je trompe le gardien. En plus, ce goal nous offrait la victoire alors que nous avions été menés 1-3, Lokeren jouait le haut du tableau, c’était en direct sur Canal, le Sporting était dans l’obligation de réussir un résultat pour se sauver : bref, tous les ingrédients étaient réunis. Et pourtant, le but à Gand m’a encore fait plus plaisir car j’étais convaincu qu’il allait enfin nous libérer pour la suite de la saison.

Quand on voit ces buts, on se dit que vous n’exploitez pas assez, dans les autres matches, toutes vos qualités techniques.

C’est possible. J’ai l’impression d’être pas mal dans le jeu, mais pas assez efficace à la conclusion. Je suis capable de mieux, devant le but. Je dois pouvoir donner dix assists et marquer cinq buts chaque saison. C’est ce que je faisais en France. Je dois me dépêcher si je veux arriver à mes stats !

 » Quel championnat de bourrins ? »

Dante Brogno vous demande pourtant, régulièrement, de plus oser ?

Oui, et il a raison. Il me dit sans arrêt : -Prends des risques, frappe. Mais le déclic ne s’est pas encore fait. J’ai l’habitude d’être très prudent pendant la première demi-heure. J’ai besoin de me situer, de voir si je suis, ou pas, en bonne forme. Je suis comme ça : j’ai toujours besoin de me rassurer avant de viser plus haut. Pendant la première partie d’un match, j’essaye surtout de faire jouer les autres. Je dois encore apprendre à assumer des responsabilités individuelles dès le coup d’envoi. Tout en restant conscient – je le répète – que je ne suis pas Zidane. C’est le seul footballeur qui me donne du plaisir, bien plus que Ronaldo, Figo ou Beckham. A Madrid, il touche en moyenne 80 ballons par match et n’en perd que 10 %. Je veux me rapprocher de ses statistiques, avec mes qualités. Alors, j’analyse tout ce que fait Zizou : je suis sous le charme de la simplicité de son jeu, de sa faculté à bouger de la première à la dernière seconde et d’être déjà tout en sueur après dix minutes de jeu, de ses roulettes, de son efficacité, de tous ses contrôles qui sont orientés vers l’avant. Mais aussi de ses qualités humaines : je l’ai rencontré à Clairefontaine : il était avec l’équipe A et moi avec les û17 : il est encore plus remarquable dans la vie que sur un terrain.

Avez-vous été surpris par le niveau technique de notre championnat ?

Oui, et dans le bon sens. Avant de venir, je n’en connaissais que ce qu’on en disait en France : un championnat de bourrins ! Très physique. Ce n’est pas le cas.

A Cannes, vous avez croisé Zidane, mais aussi Luis Fernandez : ne vous fait-il pas penser à Brogno dans sa façon de vivre les matches ?

(Il rit). Ils sont semblables, en effet : même type de déclarations chocs, même nervosité, même envie de gagner. Ils donnent toujours l’impression qu’ils sont prêts à monter sur le terrain pour donner un coup de main. Je regarde parfois la cassette avec les buts de Brogno et je comprends mieux son comportement de coach. Il avait déjà la même rage en tant que joueur. Il avait le vice, il savait provoquer des coups francs dangereux et des penalties. Le vice, l’intelligence, ce sont justement des qualités qu’il manque dans l’équipe actuelle. Il nous faudrait un attaquant bélier, tueur et vicieux. Un phare autour duquel Olufade pourrait tourner. Un style Roussel. Ou un Pivaljevic, qui n’a pas besoin de trois occasions pour en mettre une au fond. Un gars qui a entre 27 et 30 ans, avec 200 matches de D1 à son compteur. Il faudra peut-être y penser en décembre si nous ne sommes toujours pas plus productifs à ce moment-là. Gilson doit encore tout digérer : la différence de langue et les écarts de température avec le Brésil. On ne sait pas encore ce que vaut Traoré. Et Di Gregorio reçoit très peu de temps de jeu. Je crains donc qu’il nous manque quelqu’un pour que tout se passe bien cette saison. Pour moi, il ne faut rien modifier aux gardiens, à la défense et à l’entrejeu. Mais on doit penser au compartiment offensif.

Vos attaquants n’ont-ils pas la confiance du reste du noyau ?

Je n’irais pas aussi loin. Mais il faut voir la réalité en face. Après un match sans but, on ne dit rien. Après le deuxième, on se tait toujours. Mais, après le troisième, on voit que les attaquants commencent à douter, et leurs inquiétudes contaminent vite tout le groupe. Les doutes de la ligne d’attaque ont gangrené l’ensemble de l’équipe. Nous en sommes tous arrivés à nous demander qui allait bien pouvoir marquer des buts.

 » Je n’ai rien d’un leader. Brogno me le reproche  »

On a souvent entendu que, sans Laquait et Macquet, le Sporting ne se serait pas sauvé.

C’est trop réducteur. Mais nous avons apporté quelque chose. Quand nous sommes arrivés, le noyau n’était pas à 100 % mentalement. Sama, Laquait et moi, nous avons apporté notre confiance en l’avenir du club. Cette confiance a directement été contagieuse. J’étais venu faire un tour en décembre, pour découvrir le stade et l’ambiance. Une chose m’a tout de suite sauté aux yeux : Dufer, qui jouait dans l’axe, n’était pas à sa place. Il manquait quelqu’un à ce poste. Je me suis alors dit : -Lolo, il faut que tu signes ici, tu as les qualités dont cette équipe a besoin.

Quand on parle de Macquet, on parle de Laquait : vous êtes un peu les Dupont et Dupond du foot belge !

(Il se marre). C’est vrai qu’on a pas mal de points communs : français, arrivés en même temps, des noms qui se ressemblent, et nous sommes fort liés. Des journalistes mettent un c dans le nom de Laquait et oublient cette lettre dans le mien. Même des gens du club nous confondent : on m’appelle parfois Bertrand, et lui, Laurent. Au début, ça nous faisait rigoler. Maintenant, on trouve ça chiant…

En six mois, vous êtes devenu un pilier du noyau : quelque part, c’est anormal !

Je ne me considère pas comme un pilier. Parce que je n’ai rien d’un leader. Sur un terrain, je ne gueule pas. Dans le vestiaire non plus. Le coach me le reproche, d’ailleurs. Et il a raison. Vu ma position, au centre du jeu, je devrais montrer qu’il y a un seul patron sur le terrain : Macquet. J’essaye de forcer ma nature, mais c’est dur. Je suis timide.

Vous vous êtes marié cet été : cet événement va peut-être vous faire prendre confiance en vous ?

Non. Le seul changement, c’est que ma copine porte désormais mon nom…

Avez-vous invité vos parents à la fête ?

On connaît l’histoire de mon enfance abandonnée. Je ne veux plus les voir, point à la ligne. Ce qu’ils m’ont fait m’a fait terriblement souffrir pendant dix ans, mais aujourd’hui, j’ai surmonté le choc.

Le mariage aurait pu être une occasion de remettre les compteurs à zéro, non ?

Je n’en avais pas envie. Mon père et ma mère se sont remariés sans me le dire. Aujourd’hui, ils ne me manquent même plus. Pendant la préparation de mon mariage et le jour de la fête, je n’ai pas pensé une seule fois à eux. Même s’ils revenaient vers moi, je ne prendrais plus le temps de leur parler.

 » Les doutes de nos attaquants ont tout gangrené « 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire