PLUS BALE la vie

Voici l’histoire d’un modeste Gallois devenu le meilleur Britannique de sa génération.

Début 2003, Gwyn Morris a un problème. Le professeur de sport de la Whitchurch High School de Cardiff sait qu’il doit agir. Pendant les matches de football, un de ses élèves est un véritable magicien. Il a une telle classe qu’il décide des matches à lui seul et marque à l’enfilade. Les autres touchent à peine le cuir tandis que le prodige humilie ses adversaires. La lutte est inégale. Morris convoque le footballeur de treize ans.  » Gareth, je voudrais que les matches conservent un peu de suspense. Je t’interdis donc d’utiliser ton pied gauche. Et tu n’as droit qu’à une touche de balle du droit. Considère ça comme un défi.  » Gareth Bale accuse le coup mais il n’a pas le choix.

Même dans les équipes d’âge de Southampton, il est un des meilleurs. Né à Cardiff le 16 juillet 1989, il s’entraîne deux fois par semaine avec les Saints, depuis juillet 2000, d’abord à l’école de Southampton à Bath puis, dès 2002, sur la côte du sud de l’Angleterre. Georges Prost, l’entraîneur français responsable des jeunes, est à la base de son talent, grâce à ses entraînements techniques individuels. En été 2003, le médian gauche est déjà un joueur fantastique. De son bon pied, il envoie des coups francs dans la lucarne, et se distingue aussi par sa vitesse, son timing et sa lecture du jeu. A ces qualités s’ajoutent encore son abattage et son autodiscipline. Bale est tellement avide d’atteindre l’élite qu’à la fin de chaque séance, il s’attarde une heure sur le terrain, seul, pour exercer son coup franc.

Un seul jeune jouit d’une plus grande considération : Theo Walcott, son ami, l’actuel attaquant d’Arsenal. Walcott est encore plus rapide mais surtout plus fort et plus brutal. Jusqu’en septembre 2003, les entraîneurs n’ont qu’un souci à propos de Bale : il est timide, se laisse intimider physiquement et est trop petit pour son âge. Pourtant, tout le monde lui prédit un bel avenir, tant il est rapide et habile, au point de se rendre insaisissable.

Course contre la montre

En automne 2003, Bale ressent une gêne aux chevilles. Il néglige ce signal, pensant qu’il s’entraîne sans doute trop. Des légères blessures musculaires l’écartent du terrain pendant des semaines puis le jeune homme souffre des lombaires. Ses parents, Frank et Debbie, connaissent l’origine de ses maux : il grandit très vite. Le footballeur supporte mal ce pic de croissance qui lui fait perdre son élégance de course et sa coordination. Il ne peut plus sprinter sans ressentir de douleur et son jeu s’en ressent.

Ses entraîneurs s’affolent : en été 2004, les os et les muscles de Bale ne semblent plus adaptés au sport de haut niveau. Le gamin ne supporte plus la moindre charge d’entraînement et ne progresse plus alors que le temps presse. Si Bale ne surmonte pas ses problèmes musculaires, il devra quitter Southampton en janvier 2005. Il entame alors une course contre la montre et petit à petit, sa frappe s’améliore. Au bout d’un moment, il peut à nouveau piquer des sprints. En décembre 2004, ses longues passes atteignent à nouveau leur but. Juste à temps. Quelques semaines plus tard, Bale démontre face à Norwich City qu’il est dans les temps.

Libéré de la douleur, il brille, multiplie les bons ballons, se joue de ses adversaires et mène son équipe à une victoire 5-1 depuis son flanc gauche. Ses coéquipiers connaissent l’importance de ce match pour le jeune homme. Il peut rester. Ses parents ne peuvent retenir leurs larmes, tant ils se sont tracassés pendant des mois. Le staff de Southampton est soulagé. Le talent de Bale, mais aussi son caractère et sa motivation, lui ont rendu sa classe. Mieux, il possède désormais un physique mieux adapté au football de haut niveau.

George Burley, le manager de la Première de Southampton, n’hésite pas : le match du 17 avril 2006 est dénué d’enjeu et il titularise Bale. Il a seize ans et 275 jours quand il dispute l’intégralité du match de Championship contre Millwall (2-0). Burley est fou de joie. Son jeune talent n’a pas été impressionné : il a développé son football habituel au milieu gauche et son passing a été aussi précis qu’en équipes d’âge.  » Un brillant avenir l’attend « , commente-t-il au coup de sifflet final. Deux semaines plus tard, il réédite sa prestation contre Leicester City (2-0) et Burley lui assure qu’il restera en équipe fanion.

La saison 2006-2007 se résume à une série de succès pour Bale en Champion-ship. Début 2007, tout le monde est au courant : Southampton possède un joyau. Une armada de scouts, de managers et de journalistes confirme tout le bien qu’on dit de lui. Au terme de sa première saison complète au niveau professionnel, il présente un bulletin remarquable : 40 matches et cinq buts à son actif.

Pendant la trêve hivernale de 2007, Tottenham souhaite déjà l’enrôler, tant Martin Jol, son manager, est charmé par son jeu. Bale préfère cependant attendre l’été. Le 25 mai 2007, il signe finalement son contrat à Londres. Tottenham est le club le plus adéquat, il se montre souple dans ses négociations et dribble ainsi Manchester United. DamienComolli, le directeur technique des Spurs, ne peut dissimuler sa joie. Il a embauché le plus grand talent britannique pour seulement sept millions d’euros.

20 octobre 2010 : l’exploit

Même pour un joueur de sa classe, il s’agit d’un énorme pas en avant. En l’espace de 14 mois, il a quitté les équipes d’âge pour le subtop de la Premier League. Il n’a pas encore achevé sa croissance et le rythme des entraînements est nettement plus élevé. Durant les premiers mois, Bale a du mal à suivre. Il n’est pas le seul à souffrir. Toute l’équipe a des problèmes. Martin Jol connaît un début de saison dramatique. Il est limogé le 22 octobre, après une défaite 3-1 à Newcastle.

Sous la houlette de son successeur espagnol, Juande Ramos, Bale est malheureux. Le nouveau manager ne l’aligne guère et il se blesse. Il met sept mois à se rétablir d’une blessure complexe au pied et à la cheville, encourue fin 2007. Cela entame sa confiance. Introverti, Bale doute de lui. Chaque fois qu’il est titularisé, son équipe ne parvient pas à gagner, comme s’il était maudit. Le club s’enfonce toujours plus bas. En octobre 2008, les Londoniens sont derniers, avec deux points en huit matches.

Après le limogeage de Ramos, Harry Redknapp réanime Tottenham. Le club quitte la zone rouge et retrouve le sourire. Le manager ne sait pas très bien à quoi s’en tenir : Bale brille par moments mais il est fragile et manque d’assurance. De plus, Redknapp le considère plutôt comme un arrière gauche et il possède déjà un excellent homme à ce poste, Benoît Assou-Ekotto. Pendant des mois, le Gallois fait banquette. Il sait parfaitement qu’il doit s’endurcir. Il vit comme un moine et passe des heures dans la salle de musculation. Début 2010, la chance lui sourit.

Assou-Ekotto se blesse et Redknapp offre une chance à Bale, qui le récompense de sa confiance. Même ses coéquipiers, qui le connaissent depuis deux ans, sont épatés. Bale a réussi sa métamorphose. Les compliments affluent de toutes parts. Il reste d’ailleurs titulaire quand Assou-Ekotto revient de blessure : Redknapp l’avance d’un cran, à sa place de prédilection.

Bale est donc libre d’attaquer. Il attire les défenseurs avant de placer ses démarrages. Ses passes du pied gauche, ses multiples assists et ses raids aident Tottenham à terminer le championnat 2010 à la 4e place, synonyme de la qualification pour les tours préliminaires de la Ligue des Champions.  » Bale est le meilleur gaucher britannique que je connaisse. On dirait qu’il peut courir toute une journée, il a un bon gabarit, un bagage technique inouï et en plus, son jeu de tête est excellent « , s’exclame Red-knapp.

Sur la scène européenne, il doit encore gagner ses galons. En cet automne 2010, LukaModric, Rafael van der Vaart, Roman Pavlyuchenko et Peter Crouch sont plus célèbres que lui. Jusqu’à ce match de Ligue des Champions contre l’Inter, le 20 octobre. Aucun amateur de football n’oubliera ses buts sensationnels et son match contre l’arrière droit brésilien Maicon. Au repos, l’équipe locale mène 4-0 mais Bale réduit cet écart à 4-3, à lui seul. Son hattrick – avec un but inscrit en partant depuis son camp – humilie les Transalpins. Bale acquiert le statut d’une future star mondiale.

Le plus sympa de Grande-Bretagne

Au retour, l’Inter est impuissant. Les sprints de Bale, ses dribbles et ses passes donnent le tournis à Maicon. Deux assists de Bale offrent une victoire 3-1 aux Spurs. C’est le début de la Balemania. Journalistes, commentateurs, managers et spectateurs sont unanimes dans leurs louanges.

Harry Redknapp est surpris : son footballeur ne plane absolument pas. Bale est inébranlable sous les honneurs et n’est absolument pas impressionné par le tumulte. Les journalistes qui fouillent sa vie privée sont déçus : il ne boit pas, il ne sort pas beaucoup et souvent, il fête ses victoires devant sa télévision. Tout ce qu’ils peuvent dénicher à son propos, c’est qu’il raffole de X- factor et qu’il mange encore régulièrement chez sa mère.  » C’est étrange « , constate Redknapp.  » Il est d’une normalité vraiment bizarre. Après le match à Milan, je lui ai accordé deux jours de repos, pour qu’il se remette. Qu’a-t-il fait ? Il est allé loger chez ses parents. C’est formidable, non ?  »

C’est sur le terrain que Bale a eu son plus beau compliment. Désormais, les clubs adverses lui attribuent deux gardes du corps. Gary Lineker, l’ancien footballeur devenu présentateur du Match of theDay, résume joliment les différents avis.  » Il a tout pour devenir un des meilleurs joueurs du monde. Bale est capable de tout. Son abattage est impressionnant et en plus, il est très rapide. C’est une combinaison rare. Bale est énergique, il possède une bonne lecture du jeu, une technique superbe et il est bien dans sa peau. S’il est épargné par les blessures, il va vivre des moments magnifiques.  »

Ce n’est pas une surprise : le 17 avril 2011, ses collègues l’élisent Footballeur de l’Année. Il succède au palmarès à Wayne Rooney. Sa progression se poursuit : il opère de meilleurs choix tactiques et améliore sa puissance dans les duels. Pourtant, la saison 2010-2011 s’achève en mode mineur : malgré la qualité de son jeu, Tottenham n’est que cinquième et il n’est pas qualifié pour la Ligue des Champions. Des faiblesses défensives et trop d’occasions ratées sont fatales au club londonien. Bale balaie les spéculations : il ne partira pas. Il estime avoir suffisamment de perspectives à White Hart Lane et il s’y sent bien. Ce n’est pas un hasard si, le 19 mars 2011, il y a d’ailleurs prolongé son contrat jusqu’en 2015.

En juin et en juillet, Harry Redknapp met tout en £uvre pour renforcer son noyau afin de pouvoir viser un meilleur classement. Bien que Luka Modric veuille rejoindre Chelsea et que Scott Parker et Emmanuel Adebayor n’arrivent qu’en dernière minute, les Spurs semblent effectivement plus forts. Après un début très médiocre, ponctué de défaites contre Manchester United (0-3) et Manchester City (1-5), les Londoniens se ressaisissent et rejoignent les deux géants de Manchester au classement.

Bale a évidemment joué un rôle essentiel la saison dernière. Il est un des pions majeurs de Tottenham, avec Adebayor, Van der Vaart et Modric. Son rôle a quand même changé : il bénéficie de plus de liberté. Il n’est plus collé à sa ligne mais peut converger vers l’axe et épauler l’attaque. Redknapp ne lésine toujours pas sur les louanges :  » Je ne peux vraiment pas lui trouver de point faible ni de carence. Il a vraiment tout. J’apprécie surtout son audace. Il est difficile de trouver un footballeur plus sympathique en Grande-Bretagne. Et non, il n’est pas à vendre, pas pour tout l’or du monde. Seuls des clubs comme Barcelone, le Real et Manchester City sont en mesure d’acheter un joueur de son envergure car ils peuvent débourser une fortune. Mais si cela ne tient qu’à nous et à Bale, il jouera encore des années à Londres.  »

PAR MARTIJN HORN – PHOTOS : IMAGEGLOBE

 » Après Milan, je lui ai accordé deux jours de congé. Il les a passés chez ses parents.  » Harry Redknapp

La Balemania a éclaté après l’élimination de l’Inter.

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