Platini libéré ?

Un entretien avec Michel Platini dans Libération, c’est rare et c’est toujours un événement. Celui de 1987 appartient à l’Histoire : le jeune footballeur retraité fut alors interviewé par la vieille écrivaine magnifique Marguerite Duras. Un footeux et une cultureuse n’y pigeant que dalle au foot, le dialogue fut surréaliste sans jamais verser dans le ridicule. Elle trouvait ce jeu démoniaque et divin, il lui expliqua notamment – ça n’engageait que lui – que le match idéal se solderait par un 0-0 puisque personne n’aurait fait d’erreur… Vingt ans après, frais président de l’UEFA, Platini revint à Libé : interview où se manifestaient encore sa réticence à évoquer le drame du Heysel, déjà son horreur saine du fric excessif autour du jeu, et déjà son conservatisme quant au jeu lui-même, l’arbitrage, l’apport/vidéo…

Et voici dix jours, Platoche chef d’Europe s’épanchait une troisième fois (1) dans le quotidien jadis post-soixante-huitard : y réaffirmant que le football reste d’abord un jeu, mais sans plus s’attarder sur ce qui serait améliorable dans le jeu, comme si tout baignait depuis son arbitrage à six ! C’est énervant, mais soit… Le Nancéen préfère s’attaquer à tout ce qui, alentour, pervertit son sport intrinsèquement bon : ou au minimum plus chouette que ce qui le menace hors-terrain, au-delà des passes et des engueulades, des dribbles et des agressions, des buts et des contestations…

Dans ce créneau, quand il pourfend la corruption liée aux paris sportifs, Platini plaît comme plut Don Quichotte : même si pareille saleté semble compliquée à éradiquer, tant l’animal humain aime le fric, le foot et les pronostics… Platini plaît quand il peste contre l’Europe et l’arrêt Bosman, qui ont bousillé l’identification à un club, faisant du footballeur pro un travailleur normal, sans spécificité éthique. Il plaît surtout quand il s’érige en architecte uefiste du fair-play financier… même si l’expression peut paraître contradictoire ou utopiste ! Mais comment ne pas être son fervent supporter, quand Platoche s’en va-t-en guerre contre les endettements fous (Barcelone : 440 millions, Man U : 900), et promet dès 2013 de châtier tout qui claquera plus qu’il n’engrange, les sanctions variant de l’interdiction de transférer à l’exclusion des coupes européennes !

Qu’il cause quotas et bi-nationalités, ou entende protéger les équipes nationales face aux clubs carnassiers, Platini ne veut que le bien du foot, et la cupidité ne le dévore pas comme elle en dévore d’autres. Entêté parfois, candide souvent, il sera s’il le souhaite chef du foot mondial en 2015 : joueur mythique d’abord, aura non affairiste ensuite, qui donc pourrait lui chiper la succession de Sepp Blatter ?

Mais gaffe, rapport à la candeur. Elle est giga quand Libé lui cause dopage. Platoche n’y croit pas, avançant les arguments éculés du milieu : les contrôles sont nombreux et quasi toujours négatifs, le turnover de joueurs rend compliqué un dopage collectif en club, et le footballeur diminuerait lucidité et adresse en recourant aux substances illicites… Comme si les voyous se dirigeaient spontanément vers le vélo, et les âmes pures vers le foot ! J’ignore si ça le secouera, mais Platini doit lire le dernier bouquin du célèbre docteur Jean-Pierre de Mondenard (2) qui balaie tous les arguments classiques, en même temps qu’il retrace un historique impressionnant des relations entre dope et foot (L’OM de Tapie, le scandale de la Juve, Maradona…). Pour de Mondenard, des antalgiques au cannabis, de la coke à l’autotransfusion, en passant évidemment par les amphés, les anabolisants et l’EPO, tout est dopage et condamnable ! Et tout est exploitable en foot, pour améliorer artificiellement la performance : qu’il s’agisse d’endurance, vitesse, puissance, adresse ou lucidité ! De quoi occuper Platoche à la FIFA entre 2023 et 2027, car faudra bien deux premiers mandats pour éradiquer d’abord le trop-plein de fric en foot. Après quoi, à 72 piges, il lui restera son quatrième mandat, pour envisager enfin la vidéo dans l’arbitrage, le jeu, le fair-play tout court et pas financier… Patience.

(1) http://www.liberation.fr/sports/01012341825-mon-but-est-de-proteger-les-clubs-de-la-faillite

(2) Dopage dans le football. La loi du silence, éditions Jean-Claude Gawsewitch, Paris, 2010.

PAR BERNARD JEUNEJEAN

A 72 piges, il restera à Platini son quatrième mandat, pour envisager enfin la vidéo dans l’arbitrage, le fair-play tout court

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