Il voulait rester simple adjoint mais le voilà propulsé T1 avec comme mission de devenir champion de Hongrie !

Le Malinois Valère Billen (53 ans) est devenu l’entraîneur principal d’Ujpest Dosza le 14 juillet dernier soit après la sévère essuyée à domicile (0-4) lors du match aller du premier tour qualificatif de la Coupe de l’UEFA par le FC Vaduz (un club du Liechentsein jouant en D2 suisse). Ujpest (où Billen était adjoint depuis un an) avait terminé deuxième du dernier championnat de Hongrie et engagé un nouvel entraîneur principal : Bertalan Bicskei (62 ans, ex entraîneur national de Hongrie et de Malaisie) à la place de Geza Meszoly. Mais le nouveau patron n’aura duré que trois semaines…

Billen : L’élimination en Coupe UEFA a été une catastrophe. Supporters et joueurs ont été cruellement déçus et je suis devenu entraîneur principal sans le demander. J ai été bombardé à ce poste, avec ma photo en grand dans tous les journaux. Je n’avais pas besoin de ça. Mon avenir ici dépend désormais des résultats de l’équipe. Si je reçois mon bon de sortie, je me retrouverai sans doute dans un avion à destination de la Belgique. Mais je me plais ici et mon amie également. Je me voyais déjà passer des années au bord du Danube, je voulais apprendre le hongrois. Comme entraîneur de terrain, j’avais un contrat de trois ans. Il me sera difficile de tenir aussi longtemps comme coach en chef. La pression est énorme. Le club veut le titre à tout prix cette saison. Bien sûr, je suis maître du travail réalisé, mais pas des résultats. Mon avenir dépend désormais du fait que le ballon heurte le poteau ou passe quelques millimètres plus bas, dans le but. Comme tous les entraîneurs.

Perturbé par l’enjeu

Vous semblez manquer d’ambitions…

J’ai nourri le rêve de devenir un grand entraîneur mais je n’y suis pas parvenu. Je veux simplement être un aussi bon entraîneur que possible et je ne ressentais plus le besoin d’être nommé entraîneur principal. Je me sentais très bien dans mon ancien rôle, ici. J’ai surtout besoin de calme, de sécurité. J’adore bavarder tard dans la nuit avec mes amis, assis dans des fauteuils, dans le jardin, sous une lumière tamisée. Je n’ai plus besoin de grands rêves ni de projets dingues. Le risque de devoir tout recommencer à zéro ailleurs me perturbe. Quand j’ai compris que je me retrouvais exposé, j’ai eu les larmes aux yeux.

Si mais je ne pouvais pas. Je dois assumer mes responsabilités envers l’équipe que j’aime.

Vous pouvez aussi réussir, évidemment…

Certainement ! J’y crois. Nous allons développer un football de pression, à fond. Notre saison ne sera certainement pas monotone. Je veux gagner. Je suis prêt. Néanmoins, je dois être réaliste et convoiter la première place ne l’est pas. Nous entamons la saison avec une équipe diminuée par des transferts partants. Et le club n’a pas un budget suffisant pour pallier tous les départs. Je pense qu’une cinquième ou une sixième place serait plus réaliste. Nous devons peaufiner pas mal de détails tactiques comme revenir plus vite en perte de balle. Tout est trop lent. Les joueurs restent postés trop haut.

Doit-on travailler différemment avec des Hongrois ?

Il faut rester relax avec eux. Ils émergent à peine d’un ordre militaire et les gens commencent à redresser l’échine. Il ne faut donc pas les replonger brutalement dans une discipline de fer. Le passé est beaucoup trop frais. C’était d’ailleurs le principal problème de l’entraîneur précédent. C’était un homme de la vieille garde, qui prône discipline et ordre. Cela ne fonctionnait pas. Un système est essentiel mais il faut le mettre en place par petites touches. Surtout, il faut expliquer aux joueurs pourquoi on choisit telle approche, pourquoi on effectue tel exercice. Le communisme a laissé des cicatrices : beaucoup de gens manquent de résistance mentale. Dès que quelque chose ne va pas, ils sont moralement au tapis. Ils attendent alors qu’on les relève. Ils sont assez peu créatifs également. Se reposer sur un entraîneur est donc important pour eux. Quand ils décèlent du positif en vous, ils vous offrent leur confiance.

Respecter la culture de l’équipe

Comment vous y prenez-vous ?

Il faut intégrer leur culture. Le lundi matin, la plupart des joueurs rendent visite à leur mère. C’est une coutume répandue à Budapest. Il ne faut donc pas bouleverser cette habitude en instaurant une séance le lundi matin. Il y a aussi le chocolat. Les Hongrois s’imaginent que manger du chocolat rend heureux. On ne peut le leur interdire d’un coup. Il faut leur expliquer que ce n’est pas sain et blabla. Je place mon sceau pas à pas. J’ai déjà nettement augmenté le rythme des entraînements. A mes débuts ici, plusieurs joueurs avaient du mal à rester concentrés durant tout un entraînement. Depuis, ils savent que j’exige une attention de tous les instants. Je leur explique inlassablement ce que j’attends d’eux. Ils m’appellent Valère Munca. C’est le terme hongrois pour travail. Mais l’ambiance reste détendue. Ici, un homme ne s’adressera jamais directement à une femme. Voilà que j’arrive et que j’embrasse les femmes d’ouvrage. Au début, ils ont fait des yeux grands comme ça ! Mais certains suivent mon exemple. J’essaie de les faire rire. Aujourd’hui, à la fin de l’entraînement, je leur ai demandé de s’approcher de moi. Ils se sont précipités, curieux. Je leur ai dit : -Si vous étiez une bande de filles je vous embrasserais tous ! Mais vous n’êtes que d’affreux garçons. Donc, je vous dis salut, vous vous êtes bien entraînés. A demain ! Ils ont rigolé et ils trouvent que je suis un chouette coach.

Votre approche était plus dure en Belgique, non ?

Certainement. J’ai changé en Afrique. J’y suis parti il y a des années avec une conception figée du football et de la vie. Quand le courant ne passe pas avec un Africain, vous n’en obtenez rien du tout. Rien. J’ai été obligé de changer. Communiquer coûte étonnamment peu d’énergie. On évite ainsi les conflits. C’est une approche plus raffinée, qui me plaît. Je n’aboie plus quand quelque chose ne va pas comme je le voudrais. Je réfléchis au moyen de rectifier le tir, à la façon de formuler ma pensée. Je reste respectueux. L’Afrique m’a calmé, elle m’a permis de devenir un meilleur entraîneur.

Je n’essaie pas de jouer les prophètes ou les philosophes. Je laisse s’exprimer mon c£ur et ce que j’ai vu du monde. La Hongrie a des points communs avec l’Afrique. Beaucoup de gens ont du mal à nouer les deux bouts, à vivre décemment. J’ai l’impression que plus les gens ont une vie pénible, plus ils sont susceptibles. En Afrique, un joueur m’a un jour demandé de lui prêter quelques francs pour prendre le bus, faute de quoi il n’allait pas pouvoir rentrer chez lui. Ces conditions de vie vous forgent une autre personnalité… Je comprends ce que ressentent les Hongrois.

ILKA DE BISSCHOP, EN HONGRIE

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