Phoque you ?

T hat’s the question, en effet ! Vas-tu toi aussi, lecteur footballeur, tenter le dribble da foquinha, ce  » dribble du phoque  » qui, en dix jours, a sillonné le Net et les télés ? Rappel : le gars s’appelle Kerlon Souza Moura, il a 19 ans et joue à Cruzeiro au Brésil. Son truc est de demander le ballon, de le faire illico monter jusqu’au front, puis d’enclencher une course droit au but sans cesser de jongler de la tête. Et a priori, si tu ne l’arrêtes pas fautivement, Kerlon est capable de traverser tout un terrain avant d’entrer dans le but avec le cuir ! Trouvaille ! Génie ! Génie parce que trouvaille… tant l’invention de gestes réellement neufs est rarissime ! Bien sûr, voir soudain un coup du foulard réussi, admirer tout à coup un coup du sombrero joli, cela donne du bonheur comme l’oasis dans le désert : parce que la rareté rend heureux quoiqu’on l’ait déjà rencontrée… Mais ici, c’est encore autre chose, c’est pour ainsi dire du jamais vu…

Mon dernier  » jamais vu  » en foot datait de 1984,… et je ne l’ai jamais revu depuis ! Il s’agissait d’une rentrée en touche lors du championnat américain de soccer. Le gars avait pris tout l’élan qu’il pouvait, en préparation d’une battue puis exécutait un flick flack avant avec appui sur la balle tenue à bout de bras. Au sortir du geste, il enchaînait sur un throw-in parfaitement réglementaire : le ballon était parti comme une fusée pour être, au point de penalty, propulsé dans les filets par la tête d’un partenaire ! A l’époque dans France Football, JacquesThibert s’était montré poète :  » La fantaisie existe encore… Le football n’a pas encore atteint les limites de l’exploration… Tous trouveront dans ce geste matière à réflexion et encouragement à l’insolite… Si les footballeurs admettent les chiens fous dans leur cénacle, le jeu sera rendu à son essence première… Pour réussir son coup magique, ce footballeur ne peut être qu’un chien fou… Salut à lui et à tous les autres qui aboient dans la plaine « .

Et donc, plus de 20 ans après, bienvenue à Kerlon, nouveau chien fou ! Bienvenue ? Pas sûr si l’on en croit les réactions au Brésil même ! Brésil, pays béni du foot, pays de l’amour des gestes et du jeu ! Tu te dis que Kerlon doit y provoquer en ce moment des déferlantes d’enthousiasme, et qu’ils sont des milliers qui phoquent à qui mieux-mieux sur les plages de Copacabana ! Pas vraiment. Les Brésiliens sont divisés. D’aucuns veulent l’interdiction pure et simple du geste, parlant de provoc par Kerlon, cet empêcheur de jouer au pied. Sûr que ce n’est pas fastoche d’y aller en duel contre lui : disputer le ballon de la tête à un gars en train de galoper, ça fait un peu chasse-mouche aléatoire ! Ne reste dès lors qu’à lui planter tes studs dans le faciès, en lui reprochant de t’obliger à jouer dangereusement ; ou à lui rentrer dans le lard, de façon classique et virile, sans te préoccuper du ballon. C’est ce que semblent résolus à faire les opposants de Kerlon, lequel est critiqué parce que sa spécialité revient en définitive à chercher la faute systématiquement. Et alors ? C’est plus honnête de la chercher par simulation ?

Chercher la faute appartient au foot, c’est l’apanage des dribbleurs… et ceux-ci s’exposent pour y parvenir, Kerlon plus qu’un autre ! C’est bien là le paradoxe : ses détracteurs lui reprochent presque de réduire le foot à un sport de ballerines, alors que ce mec est un dur qui va au combat sans broncher.  » Quand j’enclenche mon dribble, je sais que je vais prendre un coup « , dit-il.  » Ce que j’ignore, c’est à quel endroit du corps je vais être frappé.  » Cela me semble plutôt courageux ; et plus rugbystique que footballistique car s’il y a bien une leçon que le récent Mondial de rugby a donnée au monde du foot, c’est bien que nous sommes de lamentables pleurnicheurs/rouspéteurs…

Pas trop d’illusions toutefois, le réalisme devrait hélas finir par retrouver ses marques… Mais même si la foquinha risque d’être un météorite davantage qu’un geste décisif demain travaillé dans toutes les écoles de foot, faut dire merci à Kerlon : pour nous donner à rêver que toutes ces prouesses de chiens fous, aujourd’hui entrevues en freestyle, komball ou joga bonito, puissent un jour envahir nos vrais matches ! En pensant aussi à dire à Kerlon de ne pas trop rêver lui-même, quand certains lui prédisent déjà via sa spécialité une grosse carrière européenne : ça ne vaut pas la peine de quitter ceux qu’on aime, pour aller faire danser des ballons sur son nez ! On connaît la chanson.

par bernard jeunejean

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