PHARAON BLUES

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Les confessions du meilleur joueur de la CAN 2006 et sa délicate intégration bruxelloise sur fond de mythologie égyptienne.

Ahmed Hassan (31 ans) parque sa Mercedes style corps diplomatique devant le stade et c’est un homme grippé et cassé qui en sort. Il se sent mal depuis la veille et va d’ailleurs être dispensé de l’entraînement prévu deux heures plus tard. Séquelles post-ramadan ? Comme tout bon Musulman, il a fêté la fin du jeûne avec des copains.  » Mais enfin, qu’est-ce que vous allez imaginer là ? », rigole son guide d’adoption en Belgique. Ce guide, c’est Abdel Tantush, un Bruxellois d’origine libyenne qui lui sert d’interprète, d’accompagnateur, d’ami intime, de consolateur,… Tantush entraîne des jeunes du White Star Woluwe, où il est aussi responsable du scouting. Dès l’arrivée de Hassan à Anderlecht, Herman Van Holsbeeck lui a demandé d’aider l’Egyptien à s’intégrer chez nous.

Dieu vivant en Egypte, Hassan fut aussi une star de tout gros calibre durant huit saisons en Turquie. Il est arrivé à Anderlecht, il y a quelques mois, avec des références kilométriques – surtout au niveau de l’équipe nationale : près de 120 caps, 20 buts, 2 victoires à la CAN. Mais son premier bilan en mauve est insuffisant : il n’est pas titulaire incontestable, sa relation avec Frankie Vercauteren n’est guère chaleureuse, il marque peu et semble balader en permanence son blues entre son domicile et le stade. Après le match de Ligue des Champions contre Milan, il a confié son mal-être dans la presse, a signalé qu’il envisagerait très vite un départ s’il n’était pas plus souvent dans l’équipe. Le coach lui a interdit tout contact avec les médias mais il peut à nouveau s’exprimer.

SETH, dieu de l’obscurité et du mal

Comment va votre moral ? Vos déclarations après Anderlecht-Milan, c’était un simple ras-le-bol temporaire ou l’expression de vos véritables intentions ?

Ahmed Hassan : Je ne veux plus revenir là-dessus. On passe à autre chose. Je suis ici pour avancer, pas pour regarder en arrière ou reculer. Si vous n’êtes pas bien avec votre femme ou dans votre boulot, vous vous dites que ce serait peut-être mieux d’aller voir ailleurs. Mais on peut vite changer d’avis.

Et donc, vous vous concentrez à nouveau sur le Sporting ?

Evidemment. Le club est positif et fait tout pour moi, on me donne tout ce que je demande, je ne manque de rien. Je veux avoir le même comportement vis-à-vis d’Anderlecht.

Ce n’est pas dur à vivre d’être contesté en Belgique alors que vous avez été considéré pendant huit ans comme un des trois meilleurs étrangers du championnat de Turquie ?

Je vais aussi devenir un des meilleurs étrangers du championnat de Belgique, c’est tout ce que je peux vous dire. Ça va venir, petit à petit, laissez-moi un peu de temps. Je ne doutais pas de moi en signant ici et je ne doute pas plus aujourd’hui.

Vous n’êtes même pas impatient ?

Je m’impatiente, c’est sûr. Ça me dérange de ne pas encore avoir montré tout ce que j’ai dans le ventre alors qu’on est en novembre. Je me pose des questions. Je me demande ce qui cloche. Que me manque-t-il ? Je ne trouve pas les réponses mais je veux être positif : si je continue à explorer toutes les solutions possibles, la roue finira bien par tourner et je redeviendrai le joueur que les Turcs ont vu pendant huit ans, je serai à nouveau le Hassan qui brille avec l’équipe égyptienne.

Vous ne vous attendiez pas à tomber dans un championnat pareil ?

C’est clair qu’ici, il n’y a pas beaucoup de techniciens. Je vois surtout des costauds qui vont au duel et qui courent vite… Mais je suis un footballeur professionnel d’un bon niveau, donc je dois pouvoir m’adapter n’importe où et je prouverai que j’ai sans problème le niveau pour briller en Belgique.

Le gros point positif, c’est l’accueil du public, non ? Vous n’êtes peut-être pas le joueur préféré de l’entraîneur mais vous êtes un des chouchous des supporters !

C’est vrai, je sens que les gens m’aiment bien, le courant est directement passé. Je leur promets qu’ils verront bientôt un autre Hassan.

THOT, dieu de la sagesse

Vous aviez déjà connu la LC avec Besiktas : l’aventure que vous vivez aujourd’hui avec Anderlecht est-elle aussi forte ?

La grosse différence, c’est l’expérience. A Besiktas, il y avait dans le noyau beaucoup de gars qui avaient un vécu énorme, qui avaient déjà bataillé au plus haut niveau : des Turcs, des Brésiliens, des Italiens, des Roumains. C’est ce qu’il manque dans l’Anderlecht actuel. Ce groupe est fort jeune. Les qualités sont là mais trois ou quatre joueurs seulement ont vu du pays et disputé de très gros matches. Au niveau de la Ligue des Champions, ça ne pardonne pas. La sagesse indispensable à un tournoi comme la Ligue des Champions ne s’acquiert qu’en accumulant les gros matches.

Comme tous les joueurs d’Anderlecht, vous aviez sûrement coché le match à domicile contre Milan. Mais vous l’avez commencé sur le banc. C’est pour ça que vous avez eu un tel cafard après cette rencontre ?

(Evasif). C’est vrai, c’est un match que j’aurais voulu jouer comme titulaire. Mais tous les joueurs d’Anderlecht n’auraient voulu le rater pour rien au monde. Et comme il n’y a que 11 places sur le terrain…

Il n’empêche qu’en 20 minutes, vous avez montré plus de belles choses que certains coéquipiers en une heure et demie. C’était l’avis général, en tout cas.

J’aurais peut-être été moins bon si j’avais commencé le match, je n’en sais rien, on ne le saura jamais…

KHEPRI, dieu du changement des êtres durant leur vie

En fin de saison passée, Fulham, Newcastle et l’Espanyol Barcelone s’intéressaient à vous. Pourquoi avez-vous choisi Anderlecht ?

En vieillissant, on ne voit plus nécessairement les choses sous le même angle. Par exemple, j’ai gagné deux Coupes d’Afrique des Nations mais je n’ai jamais été champion national. Je savais qu’en signant à Anderlecht, j’avais une bonne chance de combler ce vide. Ce fut un argument décisif.

Habituellement, quand Anderlecht n’est pas en tête du championnat, c’est Bruges. Pas de chance pour vous : aujourd’hui, il y a aussi Genk qui vient se mêler à la bagarre !

Il est beaucoup trop tôt pour tirer des conclusions.

Mais Anderlecht n’a pas existé contre Genk, qui devrait donc être un fameux client ?

C’était un match très bizarre. Genk a marqué deux buts dans les dix premières minutes, puis deux autres dans les cinq dernières. Mais entre la 10e et la 85e, nous avons complètement contrôlé cette équipe et nous avons tiré partout sauf dans le goal : sur le piquet, sur la transversale, un peu trop à gauche, un peu trop à droite, sur le mur. Ce 1-4 ne reflétait absolument pas la physionomie du match et je ne comprends pas qu’on ait pu dire, après cette soirée-là, que Genk devenait favori pour le titre et qu’Anderlecht n’avait pas les qualités pour le concurrencer. C’est beaucoup trop réducteur.

Maintenant, c’est le Standard qui vous attend : encore un grand rendez-vous, et celui-là, il ne faudrait plus le rater !

Tout le monde nous attend mais nous sommes prêts.

On avait annoncé une machine anderlechtoise durant l’été mais on attend toujours qu’elle démarre ! C’est pour quand ?

Je ne suis qu’un des joueurs du Sporting, je ne peux pas répondre.

Avez-vous l’impression qu’on voit progressivement arriver cette machine de guerre ?

Ça viendra. Avec le temps. Tous les nouveaux, il faut les intégrer et ça ne se fait pas aussi facilement.

RÊ, dieu du soleil

Vous faites partie des nominés pour le titre de meilleur footballeur africain des 50 dernières années : un aboutissement ?

Ça n’a pas la même saveur qu’un titre national ou international avec une équipe, ce n’est ni plus fort, ni moins beau, ça m’inspire simplement des sentiments différents. Les distinctions personnelles, c’est chouette aussi. J’ai été élu meilleur joueur de la CAN 2006, devant les stars du Cameroun, de la Côte d’Ivoire, etc. Didier Drogba et Samuel Eto’o ont fini derrière moi, vous savez ! De tous les joueurs présents à cette Coupe d’Afrique, il doit y en avoir près de 70 qui évoluent dans de grands clubs européens. Mais c’est moi qui ai remporté le trophée de meilleur joueur. En plus, l’Egypte a gagné le tournoi et j’ai marqué quatre buts : vous ne trouvez pas que c’est extraordinaire ?

Evidemment que c’est extraordinaire pour vous… Avec vos 123 matches, vous êtes le quatrième joueur le plus capé du foot égyptien : vous visez le record de Hossam Hassan (170 matches) ?

J’en rêve, oui. Je n’ai que 31 ans, donc tout est possible. Je me sens bien, en plus. Et l’Egypte compte toujours sur moi. J’ai débuté en équipe nationale à 20 ans, en 1995, et j’ai toujours été titulaire quand j’étais disponible. J’ai disputé six phases finales de la Coupe d’Afrique des Nations, je l’ai remportée deux fois, tout baigne en sélection et je ne vois pas pourquoi ça s’arrêterait subitement.

L’Afrique organisera sa première Coupe du Monde en 2010…

(… il coupe). Il faut que l’Egypte y aille. Absolument. Nous avons plusieurs fois échoué bêtement dans les qualifications, mais en 2010, notre place sera en Afrique du Sud, pas à la maison. C’est l’objectif ultime de ma carrière. Tout est possible si la Fédération égyptienne arrête de chambouler continuellement le staff. Le manque de stabilité, c’est notre plus gros problème.

Vous faisiez allusion à Drogba et Eto’o : d’accord, vous avez terminé devant eux au référendum du meilleur joueur de la dernière CAN, mais ils sont dans les plus grands clubs européens alors que vous êtes à Anderlecht !

C’est le mektoub, le destin divin. Leur grande chance a été de pouvoir venir très tôt en Europe. Eto’o a quitté le Cameroun pour l’Espagne à 16 ans, Drogba a abandonné la Côte d’Ivoire pour la France à 19 ans. Moi, je ne me suis retrouvé en Turquie qu’à 23 ans. Ça vous donne une idée du temps que j’ai perdu. J’ai reçu des offres à 19 ans, moi aussi. A l’époque, je n’avais pas encore débuté en équipe nationale mais des clubs européens s’intéressaient déjà à moi. Le PSV était chaud et me proposait un contrat. Mais mon club réclamait 2 millions de dollars pour le transfert. Je ne dois pas vous faire un dessin : je n’avais aucune chance de quitter l’Egypte pour un prix pareil. Romario et Ronaldo sont venus très jeunes au PSV, vous voyez où cela les a menés. Moi, je restais bloqué, victime de la politique des clubs égyptiens : les meilleurs devaient demeurer au pays. Dans la plupart des autres pays d’Afrique, on laisse les grands espoirs signer dans des clubs français ou suisses dès qu’il y a une offre. Rien n’a changé en Egypte, les clubs continuent à réclamer des sommes folles pour leurs meilleurs joueurs. Mohamed Abo Treika est considéré comme un des meilleurs joueurs africains mais son club, Al Ahly, demande 3 ou 4 millions d’euros pour son transfert, alors il reste au pays. Pour beaucoup de joueurs, il suffit de jouer une CAN d’enfer pour obtenir un gros transfert en Europe, mais dans mon pays, ce n’est pas si simple.

ANUBIS, dieu des morts

Il semble que vous ayez été fort marqué par le décès de Mohammed Abdel Wahab, un de vos équipiers en équipe nationale, qui a fait un arrêt cardiaque à l’entraînement en août ?

C’est terrible. Il s’entraînait avec Al Ahly, le meilleur club d’Egypte, et il s’est écroulé comme ça, sans prévenir. A 22 ans, vous vous rendez compte ? C’était un grand espoir du foot égyptien, un back gauche plein d’avenir, il était titulaire à la dernière CAN. Mais c’est comme ça, c’est le mektoub. Moins d’une semaine plus tôt, deux joueurs de D1 égyptienne s’étaient tués dans un accident de voiture. La loi des séries. Le mektoub, je vous dis.

Comment a réagi le monde du foot égyptien ?

Nous avons tous été abasourdis. Tous les joueurs de l’équipe d’Egypte étaient à son enterrement, c’était une journée de malheur national, et nous avons passé la soirée dans la famille de Mohammed. Nous préparions un match éliminatoire de la CAN contre le Burundi, qui s’est joué deux jours plus tard. Nous sommes montés sur le terrain avec plusieurs objectifs : gagner pour lui, montrer qu’il était toujours avec nous et qu’il méritait de remporter ce match avec l’équipe. L’émotion était incroyable dans le stade. En tant que capitaine, j’ai pris mes responsabilités et j’ai demandé de porter son numéro. Nous avons écrasé le Burundi (4-1) et j’ai marqué un but. C’était le moindre des hommages à lui rendre. La Fédération a offert la recette à sa famille et nous lui avons versé notre prime.

MIN, dieu de la virilité

Parlons de choses plus agréables : la famille s’est agrandie récemment.

Oui, ma femme a accouché d’une fille le 21 octobre. Nous avions déjà deux garçons.

Mais votre famille reste en Egypte : n’est-ce pas une explication de votre adaptation difficile ?

Le foot est un boulot comme un autre, il ne peut pas avoir que des avantages. Ma femme et mes fils étaient avec moi en Turquie, mais maintenant ils vont à l’école, donc c’est mieux qu’ils restent en Egypte. Parfois, c’est dur, évidemment. Depuis que ma fille est née, je pense à elle chaque soir en m’endormant et je rêve d’elle chaque nuit. Mais je ne l’ai pas encore vue. Je ne sais même pas quand j’aurai l’occasion d’aller la découvrir, à cause de notre programme très chargé.

On sent que ça vous mine : c’est normal, vous êtes considéré comme un chaud, sur le terrain mais aussi en dehors…

(Il rigole). On peut penser ça, je n’ai aucun problème.

On dit aussi qu’avec vous, le soufflé retombe vite.

Bah, vous savez… Tout le monde fait attention à tout ce que je fais, alors que moi, je ne me préoccupe vraiment pas de la façon dont je suis perçu. Je pense à mes matches, je me concentre, et tout le reste m’importe peu.

Jean Tigana, votre entraîneur à Besiktas, vous percevait aussi comme un footballeur qui jouait à la carte, qui choisissait ses matches.

(Il se marre). C’est le problème de Tigana, pas le mien. Il peut penser et dire ce qu’il veut, je retiens seulement que j’avais un très bon contact avec lui et qu’il me faisait toujours confiance. Il s’est un jour fâché parce que j’étais rentré en retard d’un match international, mais deux jours plus tard, il me titularisait pour un choc contre Fenerbahçe : ça veut tout dire, non ? Et finalement, n’était-ce pas à lui de trouver les bons mots pour que je sois performant chaque semaine ? Ce n’est pas le travail d’un entraîneur, ça ? Moi, j’ai besoin d’être bien dans ma tête pour être bon sur le terrain. Si vous voyez que je ne suis pas moi-même sur la pelouse, vous pouvez être sûr que ça ne va pas au niveau psychologique.

Et ici, vous êtes bien dans votre tête ?

(Il rigole). Bah, là, vous voyez bien que je suis un peu grippé…

PIERRE DANVOYE

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