PEUR de l’après-vélo

Le champion arrête le 14 avril : toujours méconnu et incompris.

J ohan Museeuw se livre un combat permanent. D’un naturel calme, il est sans cesse à la quête d’une revanche. Son âme et son corps s’affrontent, aussi. Cinq personnes de confiance parlent de cet homme complexe :

Patrick Lefevere : il a été son directeur d’équipe et le connaît depuis onze ans.

Wilfried Peeters : son fidèle bras droit, valet et camarade de chambre pendant six ans chez Quick Step-Davitamon.

Dirk Nachtergaele : son masseur depuis onze ans qui connaît aussi son caractère.

Lieven Maesschalk : le kiné qui l’a suivi pendant deux revalidations inhumaines.

José De Cauwer, le sélectionneur national, qui a été son premier directeur d’équipe chez ADR.

Réservé

Paris, 22 juillet 1990. Le peloton se dirige vers la ligne d’arrivée du Tour de France, que Greg LeMond va gagner pour la troisième fois. Un coureur de Lotto se détache du peloton. Johan Museeuw devient célèbre, deux mois et demi avant son 25e anniversaire. S’il est supérieur en course, il est réservé dans ses interviews. Il conservera cette marque de fabrique :  » J’ai mon caractère. Je suis calme, réservé. Je n’aime pas les déclarations choc qui vous exposent « .

De Cauwer :  » Johan est un vrai Flandrien, très réaliste. Il ne voulait pas rester un valet. Une fois, il n’a pas exécuté les missions que nous lui avions assignées pour une course mais il s’est mêlé au final et s’est imposé dans l’équipe « .

Peeters :  » Johan n’effectue jamais le premier pas. Il est renfermé. En course, c’est différent, il prend des initiatives. Nous nous entendons parfaitement. Quand je lui dis où je vais en vacances, il dit : – Je viens… « 

Lefevere :  » Il ne s’épanche pas en grandes déclarations. A quoi servent-elles ? Johan aime surprendre, comme il y a deux ans à Hambourg : il a gagné au sprint, ce dont nul ne l’imaginait encore capable. Johan est parfois trop gentil. Il n’aime pas les disputes. Il s’exprime en course « .

Responsable

Lokeren, 2 mars 1991. Johan Museeuw souhaite être en forme pour les classiques mais Jean-Luc Vandenbroucke, le directeur de Lotto, l’oblige à rouler 160 courses sur l’année. L’équipe est à son service, à charge pour Museeuw de s’imposer au sprint. Au Circuit Het Volk, cette pression n’est pas sans conséquences. Claude Criquielion lance le sprint mais Museeuw commet une erreur et n’est que sixième. Pendant des jours, il rumine son sentiment de culpabilité à l’égard de ses coéquipiers :  » Chez Lotto, j’étais seul en mire. J’avais d’énormes responsabilités, ce qui suscite la peur d’échouer. Si mes coéquipiers me tiraient sur 60 ou 70 km et que je terminais deuxième, ils avaient travaillé pour rien « .

Lefevere :  » Tous les sprinters sont empreints de ce sentiment en cas d’échec, sauf Robbie McEwen : pour lui, c’est toujours la faute d’un autre. Chez Lotto, Johan devait briller au sprint. Il s’est senti mieux dans le rôle que nous lui avons conféré à partir de 1993. Jean-Luc Vandenbroucke était aussi beaucoup plus nerveux que moi. J’essaie de le libérer de son stress au lieu d’en ajouter une couche « .

Nachtergaele :  » Certains coureurs paniquent tellement, quand ils ont la possibilité de gagner, qu’ils échouent. C’était un peu le cas de Johan. Maintenant, il prend les bonnes décisions, même s’il est plus nerveux pendant ce que nous appelons la semaine sacrée d’avril. Il s’entoure alors de gens de confiance d’un naturel calme. L’ancienne équipe GB-MG a travaillé un an avec le directeur sportif Giancarlo Ferretti. Il avait un mauvais contact avec Johan. Au déjeuner, il s’asseyait à côté de lui et décortiquait la course kilomètre par kilomètre. Johan ne supportait pas ce stress. Patrick Lefevere, lui, sait écouter, tandis que Ferretti est un causeur « .

Valet

Nice, 11 février 1993. Museeuw, qui vient de rejoindre GB-MG, lance Mario Cipollini vers la victoire à trois reprises. Celui-ci en est tellement ravi qu’il laisse plusieurs mètres d’avance à Johan à Paris-Nice. Le Toscan extraverti et le Flandrien réservé tissent des liens étroits. Cipollini déclare qu’il portera Johan à pied, s’il le faut, au Mur de Grammont, au prochain Tour des Flandres. Deux mois plus tard, le bloc GB contrôle la course. Johan Museeuw bat aisément Frans Maassen au sprint. :  » Je n’aime pas le terme valet. Il ne faut pas sous-estimer quelqu’un qui roule au service de l’équipe. Il faut accepter toutes les conceptions du succès. Mais si vous avez le moindre doute, vous pouvez oublier la victoire car vous n’allez pas à fond « .

Peeters :  » Johan a servi LeMond. Il sait ce que c’est. Il donne avant de recevoir. Ainsi, il sublime les autres. Johan force le respect par ses actes. En dix ans, nous avons eu un seul échange vif. Il a duré une minute. Johan n’oublie jamais rien, dans aucun sens « .

Inquiet

Gistel, décembre 1994. Johan Museeuw affronte le vent, seul. Il s’entraîne pour la première fois avec un pulsomètre, selon la méthode italienne. Il doit aller dans le rouge trois fois vingt minutes. Certains jours, son programme lui impose une moyenne de 43 km/h. Comme il n’obtient pas le même rendement en groupe, il s’entraîne seul pendant quatre mois. Là, davantage que la douleur, c’est la solitude qui lui pèse. :  » Je ne suis pas serein. J’ai toujours eu peur de ne pas en faire assez « .

Peeters :  » Sur 100 professionnels, 95 sont incapables de suivre sa discipline. Johan est doté d’une constitution et d’un caractère exceptionnels. Certains coureurs l’accompagnent, mais pas tous les jours. Johan a besoin de sentir qu’il en fait plus qu’un autre. Quand nous roulions ensemble, nous parcourions par exemple 180 km, 5 h 45 à vélo. Arrivé à l’hôtel, Johan roulait encore un quart d’heure aller puis retour « .

Généreux

Lugano, 13 octobre 1996. Museeuw bat Mauro Gianetti au sprint. Il est champion du monde. Il offre immédiatement l’horloge reçue à Dirk Nachtergaele :  » Dirk, tu es un peu champion du monde aussi, aujourd’hui « . Trois heures plus tard, il achève sa dernière interview dans le studio de la radio suisse. Avant de sortir, il remarque une enveloppe estampillée le jour du début du Mondial. Il l’emporte pour Dirk, philatéliste passionné.

 » Dans la vie de tous les jours, je suis émotionnel mais je garde généralement mon opinion pour moi, afin de ne pas blesser les autres. Ça n’apporte rien de bon « .

Nachtergaele :  » Il a roulé 280 km, vécu tant de stress et d’émotions et pense encore à ça ! Johan est très humain. En 1998, quand je me suis fracturé la hanche, à part ma famille, deux hommes étaient à mon chevet : Eddy Merckx et Johan Museeuw. Sans dire un mot, en entrant, il m’a pris la main. Pendant trois minutes, nous sommes restés ainsi. Nos regards étaient éloquents « .

Farceur

Marennes, 11 juillet 1997. Au sprint de la sixième étape du Tour, frustré, Tom Steels jette une bouteille à la tête de Frédéric Moncassin. La direction de la course est implacable : Steels doit faire ses bagages. Il se marie quatre mois plus tard. Wilfried Peeters, Johan Museeuw et quelques autres coureurs de Mapei lui jettent quelques tasses à la tête.  » Quand nous sommes entre nous à l’hôtel, je suis capable de faire des farces « .

Peeters :  » Je pourrais vous en raconter des dizaines d’autres. Quand il se passe quelque chose, ça vient d’ Yvan Van Mol ou de Johan. Il détend l’équipe. Il ne parle pas des courses « .

De Cauwer :  » Chez ADR, Johan et Eddy Planckaert étaient les pires. Mieux valait ne pas défier Johan. Je me souviens d’un soir, au Tour d’Irlande. Planckaert s’était enduit le doigt de beurre avant d’adresser la parole à Johan. En se retournant, celui-ci s’est couvert la joue de beurre. Sans sourciller, il a renversé tout un pot sur Planckaert, qui a riposté avec de la sauce. C’était parti. Quand tout le restaurant nous a regardés, les deux lascars se sont regardés, ont fait signe aux gens et sont partis se doucher « .

Râleur

5 avril 1998. Museeuw passe Hendrik Van Dijck tellement vite que Marc Sergeant, à moto, doit faire des acrobaties pour dégager la voie. Museeuw n’a pas été bon durant le week-end d’ouverture. Il prend sa revanche sur tous les articles qui l’ont catalogués  » vieux  » ou  » sur le retour « . Il arrive à Meerbeke avec 45 secondes d’avance et gagne son troisième Tour des Flandres.  » Un coureur s’énerve à la moindre chose : matériel, habillement, nostalgie « .

Lefevere :  » Cette rage sublime Johan. Parfois, il doit se décharger de ce stress avant de répondre, sur son vélo. En 1996, à Paris-Tours, il aurait pu assurer sa première place à la Coupe du Monde mais il a mal estimé le sprint et a déclaré vouloir arrêter. Une heure plus tard, il regrettait ses paroles. Nous avons effectué ensemble les 550 km qui séparent Tours de Courtrai. Pendant une heure, il a pleuré comme un gosse. Le lundi, il m’a téléphoné pour que je réserve des billets pour Lugano. Le dimanche suivant, il était champion du monde, sur un parcours qui ne lui convenait pas « .

Courageux

Gand, 14 avril 1998. Johan Museeuw fixe le plafond, à l’hôpital. Certains médecins n’ont pas estimé nécessaire de nettoyer complètement une plaie ouverte à son genou. Sa jambe a triplé de volume, les muscles s’atrophient, l’infection gagne tout son corps et on parle d’amputation. Fiévreux, Museeuw est sous morphine. Sa mère tente de lui remonter le moral :  » Quel drôle de pyjama Johan !  » Il rétorque :  » Le même que celui qu’on enfile aux gens avant de les conduire au cimetière « .  » On m’a administré de la morphine mais elle n’agissait pas. Quand même cette drogue n’agit pas, on connaît la douleur « .

Nachtergaele :  » En le voyant, j’ai pensé : -C’est fini, le cyclisme. Quelques jours plus tard, il m’a demandé de lui masser le dos. En m’exécutant, j’ai compris qu’il ne renoncerait jamais. J’ai été convaincu de son retour, tant il était, déjà, empreint de volonté. Ses deux retours sont ses plus grandes victoires « .

Maesschalk :  » La revalidation de Johan était dure, mentalement et physiquement. Après trois semaines de soins intensifs, pendant lesquels il avait eu de la fièvre, il s’est adonné à la physiothérapie trois heures et demie par jour, pour revenir le plus vite possible. Pour pédaler, il faut avoir une flexion d’au moins 110 degrés. Johan souffrait d’une fracture, d’une atteinte des tissus musculaires, son genou était raide et gonflé. Il pouvait tout au plus le plier à dix degrés. Après deux mois, il a pu remonter à vélo. Il devait tout reprendre à zéro. Entre-temps, nous avions dû renforcer toute sa musculature. Il continue d’ailleurs à la travailler, maintenant encore. A chaque étape, il faut compter avec la douleur. Il y a fait face. Jamais il ne m’a demandé une pause. Abandonner ne figure pas dans son dictionnaire. Johan était animé de la farouche volonté de revenir, tout en se posant une question, avec réalisme : en suis-je encore capable ? Il y a deux ans, quand j’ai réaménagé mon cabinet, il a emporté un morceau de papier peint, que j’ai dû signer « .

Maladroit

Gand, 5 avril 2001. Après les Trois Jours de La Panne, Johan affronte la presse. Celle-ci s’attend à ce qu’il annonce sa retraite mais il veut parler de son retour, après sa grave chute à moto, en août 2000. Aigri, il demande qu’on ait plus de respect et de patience à son égard. Comme il n’y a guère de questions, il s’en va. Le coureur introverti mais amical d’autrefois est de plus en plus têtu. Dans diverses interviews, il déclare que les Italiens devraient lui ériger une statue et il fulmine quand c’est une athlète de 15 ans qui remporte le Mérite Sportif de Gistel.  » Je ne suis pas coincé. Du respect, c’est tout ce que je demande « .

Peeters :  » Johan a longtemps tourné sa langue sept fois dans sa bouche avant de parler. Maintenant, quand ça ne va pas, il le dit. Son dernier accident et son traumatisme crânien l’ont changé. Il est plus dur. Durant l’année qui a suivi cette chute, il a souvent raconté des choses bizarres. Je souffrais de voir qu’il n’était pas lui-même. Depuis lors, il s’est amélioré « .

Nachtergaele :  » Il s’exprime plus suite à l’évolution de la presse et au fait que certaines personnes l’ont attaqué. Parfois, il réagit plus rudement qu’il ne le veut. Il fait comme si ça ne le touchait pas mais je suis certain du contraire. Il ne lit guère les articles sur le cyclisme mais il entend toutes les rumeurs. Son refrain, c’est : – Les gens ne me connaissent pas « .

Sensible

Meerbeke, 7 avril 2002. Le tandem de Mapei AndreaTafi-Daniele Nardello prend Johan Museeuw, George Hincapie et Peter Van Petegem en tenaille. Tafi s’impose mais Museeuw emporte aisément le sprint pour la deuxième place de la plus belle course flamande. Sur le podium, il dissimule difficilement sa déception. Ensuite, il va pleurer dans les bras de Dirk Nachtergaele. Il voulait tant remporter un quatrième Tour des Flandres et faire ses adieux en beauté.  » C’est moi qui doit décider d’arrêter. Il ne faut pas m’y pousser. Je rêve de finir en beauté « .

Peeters :  » Johan a très peur d’arrêter. Il redoute ce qui viendra après. Je veux l’aider à franchir ce cap. Je lui ai expliqué comment ça se passait. Il doit rapidement s’impliquer dans le cyclisme et le vivre comme les directeurs d’équipe. Ce sera beaucoup plus difficile pour lui que pour moi. Les grands champions sont toujours fixés sur leur propre personne. Tout le monde a toujours tout fait pour lui. Maintenant, il doit s’occuper des autres « .

Lefevere :  » En 2002, Johan n’était pas prêt à arrêter. Maintenant, je l’ai aidé à fixer une date, le 14 avril, car il ne peut continuer à dire : – J’arrête, je continue. Il y a un an, je l’ai prévenu qu’il ne devait pas attendre que je lui tape sur l’épaule en lui disant qu’il courait l’année de trop. Il aura 39 ans en octobre « .

Loes Geuens

 » Je ne suis PAS COINCé. Je ne demande QUE DU RESPECT  »

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