Peur d’arrêter

A 43 ans, il repart pour une nouvelle saison.

Boro Vucevic fête aujourd’hui ses 43 ans. Les déboires d’Alost n’ont toutefois pas constitué une excuse suffisante pour l’inciter à mettre un terme à sa carrière. Il repart en effet pour une nouvelle saison, cette fois avec Liège.

« J’éprouve parfois une drôle de sensation en constatant que beaucoup de copains ont remisé les baskets depuis belle lurette », avoue-t-il. « Ce qui me pousse à continuer? La passion du sport, tout simplement. Si je suis en bonne condition physique et que le mental suit, je ne vois pas pourquoi je devrais arrêter pour une simple question d’âge, alors que je figure encore parmi les meilleurs joueurs sur le terrain lors de certains matches. Le secret de ma longévité? La nature qui m’a doté d’une bonne constitution. Et l’hygiène de vie que j’ai toujours respectée. Je m’entraîne sérieusement pendant la saison et je reste actif pendant les vacances: je nage, je fais du vélo, un jogging. Je ne me suis jamais autorisé le moindre excès en dehors du terrain. Je surveille mon alimentation et je me couche tôt. Je pense toutefois que cette saison-ci sera ma dernière. Je continuerai peut-être pour le plaisir, mais pas au niveau professionnel. A un moment, il faut pouvoir dire stop. J’avoue pourtant que j’appréhende ce moment. J’ignore comment je réagirai lorsque je m’apercevrai que ma carrière est derrière moi. Il y aura probablement un grand vide dans ma vie. Mais je dois m’en faire une raison: les meilleurs choses ont une fin ».

« Ce que je ferai après? Le coaching m’intéresserait, mais à certaines conditions. Il faut que l’équipe que j’entraîne soit compatible avec mon tempérament. Je ne veux pas devenir coach pour le simple plaisir de m’asseoir sur le banc. J’ai toujours travaillé sérieusement et je sais que j’exigerai la même discipline de la part de mes joueurs. Ils ne devront pas être hyper-doués, mais je n’accepterais pas des dilettantes. Le basket m’a beaucoup donné, et je ne veux pas aujourd’hui profiter du basket en trichant. Je veux conserver l’esprit qui m’a animé durant toute ma carrière ».

L’homme de Louis Casteels

Boro Vucevic est né le 29 août 1958 à Bar, dans le Montenegro. « C’est au bord de la Mer Adriatique. J’y retourne chaque année pendant les vacances pour revoir la famille. J’ai commencé le basket assez tard, vers 15 ans. J’aimais bien le football aussi, mais comme j’étais le plus grand de ma classe, on m’a proposé de choisir le basket. A 20 ans, je suis parti au Bosna Sarajevo où j’ai joué neuf saisons. J’ai été champion d’Europe en 1979, lors de ma deuxième saison. J’ai aussi remporté plusieurs titres et plusieurs coupes dans la Yougoslavie encore unie. Je suis ensuite parti en Suisse, à Lausanne. En cinq ans, j’ai disputé trois finales du championnat, mais je les ai toutes perdues. Nous n’avions pas la meilleure équipe mais nous avions un bon coach, le Croate Matan Rimac, qui a officié au Cibona Zagreb et à Split précédemment, et qui a tiré le maximum du groupe.

J’ai débarqué en Belgique à 34 ans, pour ce que je pensais être une fin de carrière paisible. Je n’imaginais pas que je jouerais encore deux ans à Ypres, deux ans à Bruxelles et cinq ans à Alost. Et que je repartirais en 2001 pour une nouvelle saison avec Liège.

Mes meilleurs souvenirs ici sont nombreux. Mais le plus beau, c’est d’avoir été accueilli de manière formidable. J’ai été apprécié partout où je suis passé et je me suis fait de nombreux amis. D’ailleurs, si le pays ne m’avait pas plu, je serais probablement reparti après une saison ».

Boro Vucevic a longtemps été l’homme de Louis Casteels. « Je l’ai connu à Ypres et je l’ai ensuite suivi à Bruxelles et à Alost. Lorsqu’un coach compose son équipe, il essaye toujours d’attirer les joueurs qui lui ont donné satisfaction. Et les joueurs refusent rarement de rejoindre un coach qui leur a donné confiance. Lorsqu’il y a une symbiose entre les joueurs et le coach, la moitié du travail a déjà été accompli. J’ai toujours entretenu de très bonnes relations avec Louis Casteels. Nous avons travaillé ensemble pendant quatre ans et il n’y a jamais eu le moindre problème entre nous. Les résultats ont suivi. Avec, en point d’orgue, le succès conquis en Coupe de Belgique avec le Brussels. Nous avons battu Ostende en finale à Hasselt, mais pour en arriver là, nous avions aussi éliminé Malines et Quaregnon ».

Ses anciens clubs ont disparu

« Ce que j’espère de cette saison à Liège? Un meilleur classement que la saison dernière. Une place dans les six premiers, donc. Cela devrait être réalisable, car l’équipe a été renforcée. Mais cinq joueurs sont nouveaux. Il faudra un certain temps pour trouver les automatismes. J’avais déjà travaillé avec John Van Crombruggen à Bruxelles. Un bon coach, très expérimenté. Tous les ingrédients sont réunis pour réaliser une bonne saison. De mon côté, je pense pouvoir apporter ce que j’ai apporté à mes équipes précédentes. Après neuf saisons en Belgique, on me connaît. Mon jeu n’a pas changé ».

Vraiment?

« D’accord, je joue désormais sur mon expérience, sur mon placement. Avec l’âge, j’ai appris les ficelles du métier. Là où, autrefois, je courais dans tous les sens, je choisis désormais le chemin le plus court vers l’anneau. Je ne gaspille plus d’énergie inutilement ».

Le shoot est resté.

« Chaque joueur a sa spécialité. La mienne, c’est ça. Question d’entraînement, mais aussi de feeling. Il faut bien sentir le ballon entre les doigts ».

Boro Vucevic ne souffre pas outre mesure à l’entraînement face à des joueurs de 20 ans. Etonnant. « Je m’entraîne toujours avec le même enthousiasme. C’est la seule manière de continuer au plus haut niveau. Je ne peux pas me permettre, parce que j’ai 43 ans, de travailler moins que les autres. J’essaye d’apporter mon expérience aux jeunes. J’ai connu toutes les situations: j’ai joué dans différents pays, contre des équipes fortes ou faibles, des matches difficiles et d’autres qui l’étaient moins. En match, je m’efforce de corriger certains détails. Lorsque deux équipes sont de qualité équivalente, les détails font la différence ».

On ne doit pas être superstitieux dans la Cité ardente: deux des anciens clubs de Boro Vucevic ont disparu et le troisième est descendu en D2. « Mais ce n’est pas de ma faute », rigole le joueur. « J’étais sur le terrain dans toutes ces équipes. Pas dans le comité. L’organisation de certaines équipes belges laisse encore à désirer. A quelques exceptions près, les structures n’ont pas suivi l’évolution du professionnalisme chez les joueurs. Les dirigeants manquent de vision à long terme: ils vivent au jour le jour. La gestion est souvent en cause dans les problèmes financiers. Je n’insère toutefois pas Ypres dans cette catégorie. Les déboires de Lernout & Hauspie étaient imprévisibles. Ypres était bien parti. Tout a été réduit à néant ».

L’ouverture des frontières est positive

« Sur le terrain, le basket belge a beaucoup progressé en dix ans. Il suffit de regarder les résultats des clubs en Coupe d’Europe. Grâce aux étrangers qui ont haussé le niveau du championnat, mais aussi grâce aux joueurs belges. Plusieurs d’entre eux ont été enrôlés par des grands clubs étrangers: Eric Struelens, Tomas Van den Spiegel, Jean-Marc Jaumin, Dimitri Lauwers. C’est un signe qui ne trompe pas ».

Mais ces joueurs belges évoluent à l’étranger en qualité d’Européen. Lorsque Vucevic est arrivé en Belgique en 1992, les joueurs yougoslaves étaient encore assimilés à des étrangers. Boro prenait donc la place d’un Américain dans l’effectif. Ses mérites n’en sont que plus grands. « J’étais arrivé avec de bonnes références et le coach a pris le risque de m’enrôler comme étranger. Comme cela s’est bien passé, l’expérience a été renouvelée. Depuis quatre ans, j’ai un passeport belge, et de toute façon, il n’y a plus de limitations du nombre de joueurs européens en championnat, qu’ils soient communautaires ou pas. Je trouve cela logique. En NBA, on ne regarde pas non plus les origines des joueurs. Qu’on laisse les meilleurs éléments évoluer dans les meilleures ligues. Pourquoi Eric Struelens devrait-il jouer dans un club belge, s’il a les capacités d’évoluer dans un grand club européen comme le Real Madrid, sous l’unique prétexte qu’il a une carte d’identité belge? Le seul critère devrait être la qualité du joueur, pas sa nationalité. Je suis certain que, d’ici quelques années, il y aura en Europe une ligue d’une vingtaine de clubs très riches qui rassemblera les meilleurs joueurs. L’évolution va déjà dans ce sens. C’est positif. Cela permettra de développer le basket en Europe. Car on verra du très beau spectacle dans cette Euroligue ».

L’ouverture des frontières doit toutefois être utilisée à bon escient: certains clubs ont tendance à attirer des joueurs de l’Est de seconde zone. « Entièrement d’accord », confesse Boro Vucevic. « Certains dirigeants croient encore que, parce qu’on est né en Croatie ou en Yougoslavie, on est forcément doué pour le basket. Ce n’est évidemment pas vrai. Mais la situation va se stabiliser. Pour l’instant, on en est encore au début de l’ouverture des frontières et il faut apprendre comment utiliser cette liberté de manière adéquate. Le sport est devenu un business. On a longtemps véhiculé l’idée qu’en Europe de l’Est, le sport était un moyen de sortir de la misère. Elle n’était pas fausse, mais les Occidentaux devraient comprendre que, pour eux aussi, la réussite sportive peut leur permettre d’atteindre un certain statut social. Tout le monde ne peut pas être premier de classe. Et un diplôme scolaire n’est pas encore la garantie de trouver un emploi. Alors, si l’on est doué pour la pratique sportive, pourquoi ne pas s’y donner à fond? ».

Daniel Devos

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