Petits clubs

Alain Courtois répond à des dirigeants inquiets.

Les Diables Rouges visent une nouvelle qualification pour une phase finale de Coupe du Monde, l’Union Belge a retiré un bénéfice colossal de l’organisation de l’EURO 2000, notre D1 continue à faire recette, les clubs de D1 toucheront bientôt des droits télé revus à la hausse et ils vendent leurs meilleurs joueurs à des équipes étrangères pour des centaines de millions.

D’un autre côté, tous les clubs de divisions inférieures se débattent dans des difficultés financières sans précédent. Ils sont boudés par le public, les présidents se succèdent et les sponsors se font tirer l’oreille. Ils sont pourtant le terreau de notre football et les premiers fournisseurs des équipes de D1. Cherchez l’erreur!

Comment vivent-ils cette situation au quotidien? Ne risque-t-on pas d’assister à un découragement général des dirigeants? Le rôle social de ces clubs ne doit-il pas être davantage récompensé? Sont-ils réellement en danger de mort?

Sport-Foot Magazine a organisé une rencontre entre quatre représentants de nos petits clubs et Alain Courtois, le secrétaire-général de la Fédération. Avec une question essentielle en toile de fond: l’Union Belge se préoccupe-t-elle réellement des clubs de séries inférieures?

Jean-Claude Olio: Je n’irais pas jusqu’à dire que les petits clubs sont en danger de mort, mais ils sont incontestablement en très mauvaise santé. Il est plus que temps de tirer la sonnette d’alarme. Les dirigeants désertent ces clubs. Les statistiques sont affolantes: l’âge moyen des correspondants qualifiés est de 67 ans! La relève n’est pas assurée parce que les gens sont dégoûtés par la situation actuelle.

Roland Louf: Etre dirigeant de club, c’était autrefois un hobby. Aujourd’hui, c’est une corvée!

Claude Libouton: Mon père et mon parrain ont été présidents de Wavre avant moi et je suivais donc déjà de très près le football dans les séries inférieures. Je constate que la mission des dirigeants est cent fois plus compliquée aujourd’hui qu’il y a dix ou vingt ans. On ne trouve plus facilement des gens prêts à consacrer une partie de leur temps à ce boulot ingrat. Et les bénévoles autour du terrain se font de plus en plus rares aussi. A côté de cela, il y a le gros problème du sponsoring: les sociétés vont de plus en plus vers les grands clubs et délaissent donc les séries inférieures.

Alain Mager: J’ai passé dix ans dans le football et je suis parti dégoûté. Mon club, Dison-Verviers, est cliniquement mort mais joue encore parce qu’on a usé d’un tas de stratagèmes pour le maintenir en vie. Il faut trouver 700.000 francs par mois pour assurer sa gestion sportive. C’est impossible. On vit dans l’hypocrisie la plus complète. Pour moi, la fédération n’est plus crédible.

Courtois: « Je suis conscient du dégoût des dirigeants »

Alain Courtois: Je suis moi-même extrêmement perplexe face à la situation des clubs de divisions inférieures. J’ai d’ailleurs demandé un sondage dans le but de l’éclaircir au plus vite. Ces clubs sentent qu’ils ne sont plus nulle part par rapport aux équipes de D1. C’est exactement le problème que connaissent celles-ci face aux grosses cylindrées européennes. Je suis conscient du dégoût actuel des dirigeants. Il n’est pas normal que l’âge moyen des CQ soit aussi élevé et qu’on connaisse un tel problème de bénévoles, alors qu’on prépensionne les gens de plus en plus tôt et qu’il y a donc, théoriquement, de plus en plus de personnes qui pourraient consacrer du temps au football. Il faut se demander d’urgence si:

1. près de 2.200 clubs en Belgique, est-ce encore viable?

2. la fédération exerce-t-elle correctement sa mission de service aux clubs?

Les gens de l’Union Belge doivent arrêter de faire les hypocrites, de dire que tout va bien sous prétexte que les Diables Rouges réussissent de bons résultats. Ils doivent balayer devant leur porte et oser regarder la réalité en face. Notre fédération doit devenir plus transparente.

De leur côté, les clubs aussi doivent faire leur mea culpa et arrêter, par exemple, de prendre des risques financiers énormes. Je suis sidéré quand j’entends ce que touchent certains joueurs dans les séries inférieures et ce qu’on leur offre comme avantages en nature. Des dirigeants bouchent les trous n’importe comment, et quand une nouvelle direction s’installe, les dettes existantes disparaissent. Ce n’est pas sain car on cache les vrais problèmes.

Olio: Je reconnais que j’ai moi-même profité du système. J’avais attendu que la faillite de l’Olympic soit prononcée pour reprendre ce club, car cela me permettait de repartir à zéro, sans dette. C’était peut-être immoral, mais je ne pouvais reprendre le club que dans ces conditions.

Pour ce qui est des salaires, tous les dirigeants de clubs ont un jour commis l’erreur de proposer trop d’argent à certains joueurs. On se laisse emporter par son âme de supporter. Mais cela devient inévitable à partir du moment où les meilleurs éléments vont au plus offrant.

Libouton: Un de mes attaquants est parti à Meldert, en Promotion, pour gagner deux fois plus que chez nous en D3. Il a, en plus, reçu une prime à la signature, un appartement, une voiture, etc. Une fois la montée de Wavre assurée, en fin de saison dernière, j’ai décidé de… diminuer notre budget. Il est aujourd’hui de 6,5 millions alors qu’il se montait à 9 millions en Promotion. C’est le plus petit de D3. Nous travaillons essentiellement avec des jeunes qui se contentent d’un petit contrat. Mais on ne m’épargnera pas si nous faisons la culbute en fin de saison.

Louf: L’ambition sportive l’emporte souvent sur le bon sens. Respecter son budget, c’est prendre le risque de devenir impopulaire. Il faudrait ériger des statues à la gloire de tous les dirigeants impopulaires!

Courtois: « Arrêtez de comparer l’Union Belge à un banquier »

Olio: Beaucoup de clubs font des folies, mais les règlements de la fédération les y obligent parfois. Si vous avez formé un jeune, on pourra quand même venir vous le prendre pour 70.000 francs quand il aura 20 ans. Et encore, l’Entente du Sud a dû négocier des soirées entières avec le ministre Ancion pour obtenir péniblement ce dédommagement ridicule de 5.000 francs par année de formation. Alors qu’il faut 50.000 francs par an (en ONSS, assurances, etc.) pour protéger un Junior ou un Scolaire. Sans compter les salaires. Les noyaux de D1 se composent de 30 ou 35% de joueurs formés dans nos clubs des séries inférieures, mais ils ont presque tous été transférés pour trois fois rien.

Libouton: Laurent Delorge a été l’objet de deux transferts lucratifs, mais Wavre, le club qui a assuré une bonne partie de sa formation, n’a rien touché. C’est anormal.

Olio: Pourquoi les clubs de D1 feraient-ils encore l’effort de former eux-mêmes des joueurs? C’est plus facile et moins cher de venir chercher un gars de 16 ou 18 ans en D3 que de lui enseigner tous les rudiments à partir de 10 ans. Toutes ces aberrations et ces difficultés financières incitent à la tricherie. Vis-à-vis de l’ONSS, par exemple. Et là, j’accuse la fédération: pourquoi se sent-elle obligée de dénoncer les contrats de joueurs à l’ONSS?

Courtois: Je suis pour la clarté et les contrôles. On a crié au loup quand nous avons décidé d’instaurer le système des licences pour les clubs professionnels. Mais c’est une façon de supprimer les tricheries. Quand tout est clair, le contrôle est beaucoup plus facile. Evidemment, il faudra voir dans un an si tous les clubs ont respecté leurs engagements vis-à-vis des banques.

Louf: Les championnats sont faussés au départ car certains clubs trichent alors que d’autres respectent les règles du jeu. Si vous volez l’ONSS, vous avez automatiquement plus d’argent pour renforcer votre équipe. Et si vous déclarez tout, vous risquez de rencontrer des problèmes financiers.

Olio: Des falsifications comme ça, il y en a dans toutes les séries. Je regrette que la fédération ait trouvé un arrangement favorable avec l’ONSS pour les clubs de D1, mais pas pour ceux des séries inférieures, qui doivent continuer à cotiser sur la totalité des salaires de leurs joueurs. En D1, on ne cotise que sur une partie. Les clubs doivent aussi contracter une assurance accidents de travail pour tous les joueurs qui touchent plus de 60.000 francs par an, mais la fédération n’a jamais pris la peine de négocier des primes avantageuses avec les compagnies. C’est pourtant de son ressort. On ne nous épargne rien: il y a les taxes fédérales, mais aussi les taxes sur les ordinateurs, les photocopieuses, la musique qu’on passe dans les buvettes, les panneaux publicitaires. On a même inventé une taxe sur les aires de jeu dans certaines communes.

Courtois: Négocier des avantages financiers pour les clubs avec les pouvoirs publics ou d’autres organes est une de mes priorités. Mais je ne peux rien faire avant que les dirigeants aient mis de l’ordre dans leurs affaires parce que je ne suis pas crédible dans la situation actuelle. Les pouvoirs publics vont me dire qu’ils ne feront aucun effort aussi longtemps que les dirigeants continuent à gérer leur club comme des fous. Il y a des mercenaires parmi les joueurs, mais aussi parmi les dirigeants.

Pour ce qui est des taxes fédérales, je suis favorable à une révision du système actuel. Mais, de grâce, que les clubs arrêtent de comparer l’Union Belge à un banquier ou à un contrôleur des contributions. Ça me fait hurler.

Courtois: « Les règlements de l’Union Belge sont devenus illisibles »

Olio: On reproche aux dirigeants de ne pas connaître les règlements, et c’est fondé. Mieux on les connaît, et moins on met son club en danger. Quand le club de Virton était menacé de ne pas recevoir sa licence pour la D2 parce qu’il n’avait pas assez de joueurs non-amateurs sous contrat, j’ai conseillé à ses dirigeants de se renseigner eux-mêmes parmi les joueurs sous contrat. C’était à la fois simple et illogique. Mais puisque rien, dans les règlements, ne l’interdisait…

Louf: On a réglementé les managers FIFA et les entraîneurs de jeunes. Pourquoi ne fait-on pas la même chose avec les dirigeants?

Courtois: Nous avons organisé des séances d’information pour les dirigeants. Pour la dernière en date, il y avait 200 clubs invités, mais cinq seulement ont envoyé quelqu’un!

Louf: J’ai téléphoné plusieurs fois à la fédération pour connaître les détails pratiques de ce cours. On n’a jamais su me répondre…

Courtois: Je note, et je vais me renseigner. Par ailleurs, j’envisage d’envoyer des secrétaires itinérants dans les provinces, pour mettre les dirigeants au courant de certains points importants des règlements.

Mager: Que la fédération essaye d’abord de faire fonctionner ce qui existe déjà! Chaque fois qu’elle sort une nouveauté, ce n’est qu’une fuite en avant. Quand je vois tout ce que Dison-Verviers a dû dépenser pour défendre sa cause dans « l’affaire Couillet » devant tous ces tribunaux internes… Sans résultat, puisque nous n’avons quand même pas eu raison malgré la tricherie de Couillet.

Olio: Il faut admettre que les règlements fédéraux sont très compliqués.

Courtois: Vous avez raison. Ils sont devenus illisibles…

Mager: Les clubs sont dégoûtés parce qu’on prend des décisions injustes à la fédération. Un exemple qui me concerne: Dison-Verviers a perdu 200 jeunes parce qu’il n’est pas monté en D3 et ne peut donc plus aligner ses équipes d’âge au plus haut niveau. Ils sont tous partis dans d’autres clubs, évidemment. A côté de cela, Virton vient de déclarer un forfait général de ses équipes de jeunes. N’y avait-il pas moyen de trouver une solution qui aurait arrangé tout le monde?

Olio: Tout est compliqué parce que les organes de la fédération sont composés de représentants des clubs, qui sont donc par définition partiaux. Et la fameuse parité linguistique n’est qu’un leurre. Il suffit qu’un dirigeant flamand s’affilie dans un club wallon pour être considéré comme représentant francophone. J’ai proposé que l’appartenance à une des communautés footballistiques dépende du domicile. Cela éviterait des dérives, car les dirigeants changeraient moins facilement de cadre de vie que de club! Certains sont prêts à tout pour garder leur mandat. S’ils le perdent, c’est le drame: ils ne seront plus invités gratuitement aux matches des Diables Rouges ou aux réceptions à gauche et à droite…

Mager: Le mode de désignation est tout à fait dépassé.

Courtois: J’accepte votre critique de subjectivité de certains membres de nos organes. Il faudrait peut-être prévoir une tournante dans les mandats.

Olio: Il y a à côté de cela des membres très compétents qui doivent céder leur mandat parce que leur club est descendu de série sur le terrain. Et ils sont remplacés par des incompétents!

Pierre Bilic et Pierre Danvoye

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