Petit Suisse

Une hantise des dix dernières minutes va-t-elle s’installer à Mons?

Chapeau au public de Mons et de Bruges! Samedi soir, les supporters de ces deux équipes ont chanté et applaudi pendant deux heures sous la drache. Certains étaient plus impatients de rentrer chez eux. Sef Vergoossen, par exemple. De passage dans le Hainaut pour scouter les Brugeois que son équipe affrontera ce week-end, le coach de Genk, pourtant installé dans la seule tribune couverte, a estimé qu’il en avait vu assez après 75 minutes, et il quitta le stade.

Quelques secondes plus tard, Verlinden relâchait une balle que Roussel n’avait plus qu’à expédier dans le goal pour égaliser. Bruges n’a pas un gardien de classe mondiale, mais ça, Vergoossen le sait depuis longtemps. Mons a aussi des problèmes de dernier rempart, et ça aussi, c’est bien dommage…

Les Dragons sortent bredouilles de leur trois rendez-vous consécutifs avec les grands. Trois défaites sur le même score (2-1), trois fois le but décisif encaissé dans les dix dernières minutes suite à une erreur du gardien, trois échecs après avoir fait jeu égal avec ces candidats au titre. Dans le groupe, certaines dents commencent à grincer. Van de Putte avait failli à Anderlecht. Delwarte s’est troué contre Genk et Bruges. Sur ces six buts, les portiers de Mons en ont cinq sur la conscience!

Dans le jeu, les hommes de Marc Grosjean ont donc à nouveau étalé de grandes qualités. Même si on a ressenti l’absence de Berquemanne, que le jeune Guinéen Sylla n’a pas remplacé avantageusement. Sylla a entamé le match aux côtés de Joly, avec Kharif devant eux, Rivenet à droite et La Placa à gauche.

Depuis la blessure de Pascal De Vreese, la composition de la ligne médiane de Mons a changé plus d’une fois. Grosjean a essayé plusieurs joueurs dans le rôle du Flandrien, mais aucun d’entre eux n’est encore parvenu à s’affirmer totalement dans le dos de Roussel: La Placa, Kharif et Rivenet. Il est régulièrement arrivé que des médians switchent en cours de match parce qu’ils ne trouvaient pas leurs marques à la position qu’ils occupaient au coup d’envoi. Ce fut à nouveau le cas samedi soir, Rivenet et La Placa échangeant régulièrement leur flanc. Ces changements de rôle ne sont jamais prévus lors de la théorie.

« L’avantage de footballeurs intelligents, c’est qu’ils sentent eux-mêmes s’ils seront plus efficaces à un poste voisin », signale Grosjean. « C’est un processus très naturel. Si un de mes joueurs se sent prisonnier à la place que je lui ai attribuée, il discute brièvement avec un équipier et ils inversent leurs rôles. En fait, un seul de mes médians offensifs actuellement disponibles est confiné à un poste précis: Londo. C’est clairement à gauche qu’il a le meilleur rendement. Avant sa blessure, De Vreese avait aussi une nette préférence pour une place fixe: l’axe, car il a besoin d’avoir une vision panoramique du terrain. Les autres peuvent jouer à plusieurs places. Mais c’est sur La Placa que je compte le plus pour remplacer De Vreese à long terme. Ils ont les mêmes caractéristiques, la même morphologie et le même sens du but. La Placa n’est pas encore à 100% mais ça devrait venir avec les matches. De Vreese avait aussi eu besoin de deux ou trois semaines pour se retrouver totalement dans ce rôle. J’attends de La Placa qu’il mette davantage de simplicité dans son jeu. Il a encore trop tendance à tenter des dribbles à risques qui ne rapportent pas grand-chose quand ils réussissent mais qui peuvent offrir des occasions en or à l’adversaire quand ils échouent. Il doit encore comprendre qu’on n’est plus en D2, que la moindre erreur peut aujourd’hui avoir des conséquences catastrophiques. Depuis le début de la saison, La Placa a évolué moins vite que certains autres joueurs, mais je suis persuadé que ça va venir ».

« Mons n’est pas l’équipe des nains de jardin »

Jean-Pierre La Placa veut y croire. Après un début de saison très délicat, fait de séjours prolongés sur le banc, il a complètement explosé lors de la venue de Charleroi: un but et deux assists en une vingtaine de minutes. Il ne lui a pas fallu longtemps pour se rendre indispensable. Les yeux du petit gabarit suisse (29 ans, 1m73, 67 kg) s’illuminent encore quand il évoque cette folle soirée.

Jean-Pierre La Placa: Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. Je rentre et je marque de la tête sur mon premier ballon. Pas un but chanceux: je prends bien le ballon et je l’expédie là où je veux le voir arriver. Dès ce moment-là, j’ai ressenti une terrible force intérieure monter en moi. Charleroi était occupé à nous contrarier sérieusement et avait carrément pris le commandement des opérations: j’ai coupé l’adversaire dans son élan. Après mon but, je me sentais capable de n’importe quoi. J’avais l’impression que tout me réussirait. J’étais galvanisé.

Vous n’avez pas dû marquer beaucoup de buts de la tête dans votre carrière?

Très peu, effectivement. Quelques-uns en Suisse, jamais en Belgique avant de scorer contre Charleroi. C’est normal: les défenseurs belges sont tellement bien bâtis… D’ailleurs, si on fait le compte des gars de Charleroi qui m’entouraient sur cette phase-là, on voit que je n’aurais dû avoir aucune chance.

Considérez-vous votre petite taille comme un avantage ou un inconvénient?

Je suis théoriquement barré dans le jeu aérien, mais j’ai toujours joué sur mes atouts: ma vivacité, ma vitesse de pointe. Il est clair que les défenseurs costauds détestent les petits gabarits qui bougent sans arrêt.

Il y a une dizaine de joueurs de moins d’un mètre quatre-vingts dans le noyau de Mons: c’est l’équipe des nains de jardin!

(Il se marre). N’exagérez pas… Mais c’est vrai qu’il n’est pas courant d’aborder le championnat de D1 avec autant de joueurs de petite taille. Nous adaptons notre jeu à cette réalité. Grâce à nos petits joueurs et à une tour comme Roussel devant, nous sommes capables de procéder de deux façons et ainsi de varier notre jeu en cours de match. Il nous arrive de jouer un bon moment au sol, puis de changer subitement notre fusil d’épaule et d’envoyer de longs ballons vers Roussel.

Que retenez-vous des trois matches que vous venez de jouer contre les favoris du championnat?

Pour nous, une chose était claire avant même d’aborder ces trois grands rendez-vous: Mons mérite de rester en D1. Sur la base de ce que nous avons montré depuis le début du championnat, c’est incontestable. Avant de partir à Anderlecht, nous nous sommes dit que chaque point pris contre ce club, Genk ou Bruges serait du bonus. Au bout du compte, nous sommes persuadés d’être passés à côté d’un excellent bilan dans ces trois rencontres. »J’ai joué en Suisse avec Pister et Baudry »

La D1, vous auriez pu ne jamais la revoir! Comment aviez-vous pu quitter l’élite suisse pour une aventure en D2 belge?

Je savais que je prenais un risque. Quand j’ai signé, Mons venait de monter de D3 en D2. Je faisais un pas en arrière. Mais j’étais convaincu que c’était une bonne décision car mon univers se bouchait en Suisse. Comme je ne jouais plus beaucoup, on ne parlait plus de moi. C’était difficile à vivre parce que j’avais été dans l’actualité pendant dix saisons d’affilée en D1. J’ai longtemps essayé de m’accrocher, mais ça ne me rapportait rien et j’ai fini par baisser les bras. Je n’étais plus bien dans ma tête. C’était la galère et j’étais décidé à relever un nouveau défi. Comme il n’y avait pas d’offres de D1 suisse, il fallait que j’accepte de faire un pas en arrière. Et, la D2 belge, c’est de toute façon mieux que la D2 suisse.

Comment avez-vous atterri à Mons?

Un peu par hasard. Je jouais avec Olivier Baudry à Aarau. Un jour, il m’a dit qu’un ancien joueur du championnat de Suisse était devenu entraîneur en Belgique: Thierry Pister. éa a fait tilt. Pister, je l’avais côtoyé à Lausanne. Il m’avait laissé une formidable impression. On s’entendait très bien. Je l’ai appelé parce que je voulais quitter Aarau, où je ne faisais plus partie des plans de l’entraîneur. Pister m’a dit qu’il venait de faire monter son équipe en D2 et qu’il avait besoin de joueurs. Je suis venu pour un test de quatre jours et j’ai été engagé.

Avez-vous retrouvé, à Mons, le même Pister qu’à Lausanne?

Il avait changé de casquette mais le gars était toujours exactement le même: un meneur d’hommes, un gros caractère, un perfectionniste. Déjà quand il était joueur, il voulait que tout le monde soit au top dans sa tête. C’était un vrai compétiteur.

Comment avez-vous vécu son départ de Mons?

J’étais employé par Mons, pas par Pister. Pour moi, ce départ n’a pas changé grand-chose. Michel Wintacq me connaissait très bien quand il a repris l’équipe. Il m’avait vu à l’oeuvre depuis mon arrivée. Lors de ma première saison, j’avais marqué 18 buts et donné une quinzaine d’assists. Wintacq le savait et il m’a gardé dans l’équipe. L’an dernier, j’ai encore joué presque tous les matches. »Peu de Suisses en Belgique? C’est normal »

Pourquoi n’y a-t-il pas plus de joueurs suisses dans l’histoire du championnat de Belgique?

Il ne faut pas se voiler la face: au niveau de la qualité de vie, il n’y a pas photo entre la Belgique et la Suisse. La vie est chère dans mon pays, mais les salaires ne sont pas comparables non plus. Et il y a les paysages. Je suis originaire de Genève et ma femme est de Sion. A nous deux, nous réunissons une belle palette de panoramas très différents: le Lac Léman, la pleine nature, les vallées, la haute montagne. Tout cela me manque, c’est clair. Après ma carrière de joueur, je ne m’éterniserai pas ici.

Par contre, il y a eu pas mal de Belges dans le championnat de Suisse.

Dès qu’on parle de la Belgique à un supporter suisse, il n’a qu’un nom à la bouche: Michel Renquin. Son aura chez nous est phénoménale. Il restera à jamais le gars qui a participé à la Coupe du Monde au Mexique et porté le maillot du Standard.

Vous avez pas mal voyagé depuis vos débuts professionnels: Lausanne, Sion, Bâle, Toulouse, à nouveau Sion, Aarau…

J’ai saisi les opportunités qui se présentaient à moi. On m’a proposé d’aller à Sion dans un club qui jouait la tête du championnat. Ensuite, Bâle était un défi encore plus exaltant: une superbe équipe, un public plus chaud que dans n’importe quel autre club suisse et une ville magnifique. On sent que la Bundesliga n’est pas loin de Bâle et j’ai parfois joué devant 40.000 personnes. A l’époque déjà, Bâle avait un objectif bien précis: détrôner les Grasshoppers Zurich et devenir le premier club suisse. Cette ambition a été réalisée entre-temps. Il était écrit que Bâle deviendrait tôt ou tard le porte-drapeau de notre football. Aujourd’hui, c’est le numéro 1 absolu au niveau du public, du sponsoring, des infrastructures… Ce club ne s’est pas qualifié par hasard pour la Ligue des Champions, cette saison.

Ailleurs en Suisse, la passion est beaucoup moins forte!

C’est regrettable. Par rapport à ce qu’on voit en Belgique, il n’y a aucune comparaison. Les gens vont au stade pour les affiches et les derbies, c’est tout. Il m’est arrivé de jouer en D1 devant 2.500 personnes. Vous pouvez être footballeur professionnel en Suisse mais traverser le centre-ville tout à fait incognito. Les gens ne vont pas s’agripper à vous. Il faut jouer à Bâle ou à Zurich pour avoir une chance d’être reconnu en rue. Le Suisse moyen est fou de ski ou de hockey sur glace, pas de foot.

Pourquoi avez-vous choisi ce sport, alors?

C’est la faute de mon père: il m’a jeté une balle dans les pieds alors que je savais à peine marcher (il rit). Le virus m’a pris et ne m’a plus jamais quitté.

Pourquoi avez-vous fait une incursion en France?

Je suis resté six mois à Toulouse. Cette aventure m’a ouvert les yeux. J’ai compris qu’il fallait être titulaire indiscutable en D1 suisse pour avoir une chance de jouer en D1 française. Je ne regrette quand même pas d’être allé là-bas. C’était aussi une façon de connaître le pays où mes parents ont passé une partie de leur vie. Ils ont grandi en Sicile, mais ils sont partis en France pour la carrière de mon père, qui était soudeur. Ils se sont ensuite établis en Suisse, à nouveau pour des raisons professionnelles. J’ai du sang sicilien mais je ne ressens aucune attache avec l’Italie.

Pierre Danvoye

« Dès qu’on parle de football belge à un Suisse, il n’a qu’un nom à la bouche: Renquin »

« J’ai compris beaucoup de choses lors de ma demi-saison à Toulouse »

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