Petit match en début de match !

J’ai inventé un nouveau jeu ! Suffit de posséder une télé qui diffuse des matches, et d’être en compagnie d’un autre malade de foot à peu près de votre force. Cela m’est venu par hasard un soir que mon fils était en visite chez son père, au moment d’entamer le récent Standard-Genk de Coupe de Belgique. Nous avions pris le match un peu en retard, juste après le coup d’envoi. Il y a eu divergence d’emblée parce que ma descendance voulait le commentaire ertéelien, alors que je l’avais coupé pour un CD de Barbara Hendricks : laquelle n’est ni la s£ur de Marc Hendrikx, ni celle de Jimi Hendrix, mais une superstar qui évolue dans le chant au poste de soprano. Barbara prestait ici des lieder de Robert Schumann (*) qui m’avaient déjà arraché des larmes de félicité, et qui m’en arracheraient d’autres – j’en étais sûr – au cas où Standard-Genk s’avérerait foireux.

Parenthèse. Je rappelle que, quand je zyeute seul, je mets de la musique : les commentateurs me perturbent et m’empêchent de regarder sans a priori, la musique attise à l’inverse mon attention. J’admets que, lors de la préhistoire du foot télévisé, le commentaire complétait effectivement ce que l’unique caméra ne nous donnait pas à voir : tandis qu’aujourd’hui sévissent des tas de caméras, des ralentis, des replays, des incrustations, des statistiques, les noms de joueurs sur les maillots… Tout cet apport visuel devrait amener à moins parler autour des images, mais c’est l’inverse : ils causent à deux, à trois, à quatre dans l’espoir de nous éclairer davantage encore ! D’où cette question commençant à me hanter : si toutes ces réflexions en direct apportent réellement un plus de grande importance, arrivera-t-il un jour où quelque génie du marketing imaginera d’en faire aussi bénéficier, en live, les spectateurs sur place ? ! Que penserait la foule de Sclessin si le micro du stade lui diffusait en continu les appréciations de Marc Delire, Pierre Migisha, Benoît Thans ou Fred Waseige ? Elle aimerait ou elle huerait ?

J’en reviens à mon jeu. Je venais donc d’allumer la téloche sans son, en maintenant mordicus le volume sonore de Barbara qui sopranait. Mais pour gommer la contestation du gamin (qui n’en est plus un) et comme nous avions loupé la compo des équipes, m’est venue tout à coup l’idée de lui proposer :  » Choix du son, dans quelques minutes, à celui de nous deux qui cite le premier les 22 acteurs sans se gourer ! S’il se goure, l’autre a gagné ! D’accord ? » Vu que nous avons toujours aimé les petits défis à la con, il a répondu  » D’accord et top chrono « , en regardant sa montre. Et nous nous sommes illico concentrés comme des bêtes, car nous savions tous deux que l’autre irait vite. Surtout pour les Rouches : je me doutais qu’il connaissait les absences de Mohamed Sarr et de Steven Defour, et il se doutait que je me doutais ! Au bout de deux minutes, je l’ai joué à l’influence en lui lâchant  » J’en ai 20 sûrs et certains, et toi ?  »

Sans relâcher son attention, ce petit salaud m’a laconiquement répondu  » Moi, 21…  » Et j’ai paniqué car je savais qu’il disait vrai (je le connais comme si je l’avais fait, ha, ha, ha !) et je n’en étais en réalité qu’à 19 : je n’avais encore vu passer sur l’écran ni Tom Soetaers ni Ivan Bosnjak, et je me demandais s’il y avait Igor Lolo et Tiago Silva ou seulement l’un des deux…

Trente secondes plus tard, j’étais sûr d’avoir reconnu Lolo et Tiago, et j’ai gueulé :  » Je les ai !  »  » Moi aussi, mais t’es le premier, alors accouche… « , a admis mon rejeton sans se démonter. Fier comme un vieux qui a encore toute sa tête, je lui ai récité les 21 que j’avais identifiés, en terminant par Bosnjak qui était forcément le 22e.  » Sorry, pa, t’as perdu « , qu’il m’a répondu fataliste.  » Le deuxième attaquant à Genk aujourd’hui, c’est Jelle Vossen. Il vient d’y avoir un gros plan de lui de dos, avec son nom inscrit. T’as pas vu ? Maintenant, tu coupes ta chanteuse d’église et tu me remets Luc Maton, qui n’est d’ailleurs pas plus mal qu’un autre…  »

Ce fut bien agréable en début de match, je vous le conseille à l’occasion si vous êtes deux ou davantage : il suffit d’allumer votre télé à l’heure du coup d’envoi plus quelques secondes, pour être certain d’avoir raté les compositions d’équipes. Je sais, vous aurez aussi sacrifié pour cela toutes les analyses d’avant-match : mais vous pouvez en profiter pour écouter un peu de musique, d’église ou d’ailleurs…

(*) Editions Arte Verum 2007, avec Roland Pöntinen au piano, y’a pas que le foot dans la vie, y’a pas que la house non plus. »

par bernard jeunejean

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