PERTE TOTALE

The Lucky One. C’est ainsi qu’on le surnommait aux Pays-Bas. Après un peu moins de deux ans, c’est la fin du bonheur de John van den Brom à Bruxelles. Il est trop léger. Anderlecht panse ses plaies. Il peut commencer à recenser les dégâts.

John van den Brom laissera quand même un souvenir inoubliable à Bruxelles. Celui d’un entraîneur fou de joie qui, dans les bras de son adjoint, Besnik Hasi, s’est jeté sur la pelouse du stade Constant Vanden Stock, après avoir qualifié le Sporting pour la Ligue des Champions, contre Limassol. Il était alors en poste depuis deux mois et il avait réussi là où avait échoué son prédécesseur, Ariel Jacobs, pendant quatre ans. Mais cela avait coûté du sang, de la sueur et des larmes.

Anderlecht s’était bien tiré du match à Chypre, malgré la défaite 2-1. À Bruxelles aussi, le Sporting s’était rongé les sangs : le but libérateur n’était tombé qu’en fin de partie. Toutefois, Van den Brom avait réussi. Il avait lancé dans le match un illustre inconnu, Massimo Bruno, qui avait d’emblée montré pourquoi il avait été repris en délivrant la passe décisive à Dieumerci Mbokani.

Van den Brom n’a pas raté son entrée, même si le début de championnat a été pénible. Le revirement ne s’est produit que contre le Zenit Saint-Pétersbourg, début novembre 2012. L’entraîneur est parvenu à faire jouer ses hommes avec ambition contre les Russes. Anderlecht s’est imposé 1-0. La Ligue des Champions a haussé le niveau de l’équipe en championnat aussi et après le Nouvel-An, Anderlecht était en tête.

Puis, plus rien. À l’approche des play-offs, les Anderlechtois se sont crispés. Il n’est plus resté grand-chose du groupe empreint d’assurance qui avait mis des bâtons dans les roues d’adversaires de qualité, sur la scène européenne. Sur le terrain, ce n’était plus qu’une collection de joueurs en proie au doute, qui n’étaient même pas toujours d’accord avec les choix conservateurs de l’entraîneur. C’est un Anderlecht mort de peur qui a précédé de peu Zulte Waregem pour s’emparer de son 32e titre.

De mal en pis

Si le Sporting a montré deux visages la saison passée, l’exercice actuel n’est que la longue suite de la déchéance qui s’est amorcée il y a un an. Pourtant, ce coup-ci, il n’y a aucune pression. La qualification automatique du Sporting pour la Ligue des Champions l’a rasséréné. Des joueurs chevronnés sont partis et le club mise à fond sur les jeunes, revoyant ses ambitions. Pourtant, face à Benfica, Van den Brom aligne une formation méconnaissable. L’audace et le culot qu’il avait affichés lors de sa présentation se sont envolés.

Contrairement au match contre Chypre un an plus tôt, rien ne va plus. La lamentable prestation d’Anderlecht au Portugal donne le ton d’une campagne européenne qui s’achève comme la précédente, à la dernière place. Il ne reste plus rien des progrès que l’équipe avait accomplis après le Zenit Saint-Pétersbourg, selon l’entraîneur.

En championnat également, c’est de mal en pis. En opérant une cure de rajeunissement, Anderlecht a emprunté une voie nouvelle et il estime que Van den Brom est l’homme idéal pour mener à bien cette métamorphose. Il a joué à l’Ajax, il en est devenu le responsable de la formation. Bref, il a le profil idéal, juge Herman Van Holsbeeck. Las, quand l’éclosion des jeunes devient une réalité, l’ancien Ajacide n’est pas en mesure de répondre aux attentes.

Il tente de justifier l’irrégularité de ses joueurs en invoquant leur âge. Ce n’est pas courageux mais ce n’est pas surprenant non plus. Déjà pendant l’année du titre, on avait remarqué que Van den Brom s’en tenait aux valeurs sûres. Bruno a bien éclaté mais Dennis Praet est souvent le premier à être écarté dans les moments difficiles. Le coach repêche même le vieux Marcin Wasilewski. Il effectue finalement peu de changements à l’équipe avec laquelle Ariël Jacobs avait été champion juste avant son arrivée.

Van den Brom fustige de plus en plus fréquemment l’apathie de ses joueurs. Quelle que soit la manière dont il dispose ses pions, son équipe n’a pas l’air affûtée, de fait. C’était déjà le cas la saison passée. Individuellement et collectivement, les joueurs ont manifestement régressé. Certes, ils continuent à courir, mais ils ont perdu leur accélération. Plus personne n’a d’éclair, même pas les jeunes.

Résignation

Le rouleau compresseur qu’était Anderlecht quand il était dans un moins bon jour mais qu’il devait prendre la mesure de son adversaire s’est évanoui dans la nature. Les joueurs lisent la démission dans l’attitude de leur entraîneur, qui se replie de plus en plus souvent sur son banc quand plus rien ne va. Dans ces matches, par son langage corporel, Van den Brom a déjà montré qu’il avait abandonné.

On n’a revu un peu de ce rouleau compresseur qu’à une reprise, quand Anderlecht, mené 2-0 contre Lokeren, a redressé la tête pour presser l’équipe locale dos à son but et réduire l’écart. Lokeren a craqué. Jusqu’à ce que Van den Brom intervienne. À 25 minutes du coup de sifflet final, il a troqué sa construction patiente contre un football opportuniste.

Il a lancé David Pollet dans la bataille et envoyé Praet, son meilleur élément, sur le flanc. Celui-ci n’en a plus touché une et le jeu s’est dissous. Van den Brom a paralysé sa propre équipe. À l’issue du match, Van Holsbeeck a réédité sa confiance en l’entraîneur.

Pour les initiés, ce n’est pas un hasard si le début de la descente aux enfers coïncide avec le limogeage du préparateur physique Mario Innaurato. Comme le médecin du Sporting, Kris Vollon, Innaurato s’est rapidement posé des questions sur l’approche trop décontractée du nouvel entraîneur. Leur scepticisme leur a valu d’être renvoyé durant la première saison du Néerlandais.

Le contredire se paie cher à Anderlecht. Demy de Zeeuw en a fait l’amère expérience après la défaite contre Benfica, quand il a déclaré que la tactique était à l’origine de ce revers, disant ainsi tout haut ce que tout le monde avait vu. Van Holsbeeck le remet à sa place en public. Dans les couloirs de Neerpede, on vante volontiers le style direct et l’ouverture de Van den Brom mais on ne tolère pas ces qualités chez tout le monde.

Avec un entraîneur qui préfère la belle vie au dur labeur, la chute était prévisible. Van den Brom a sauvegardé les apparences un moment, en s’appuyant sur le travail effectué par Jacobs et Innaurato, mais ensuite, l’équipe s’est effondrée. Van Holsbeeck savait pertinemment que les entraînements étaient trop laxistes et il a d’ailleurs abordé le sujet avec son entraîneur en automne. Trop tard.

Bon vivant

On ne change pas la nature d’un être. On n’a pas redressé la situation. Dans une interview accordée à notre magazine, l’agent de Van den Brom avait dit que celui-ci était un Bourguignon. Il n’a sans doute pas compris qu’il mettait ainsi le doigt sur la plaie. Van den Brom se sentait parfaitement à l’aise en Belgique. Il pouvait mieux y profiter de la vie que dans les calvinistes Pays-Bas. Il n’a jamais caché son plaisir à savourer un bon verre de vin et il a souvent donné congé à ses joueurs.

Les intéressés ne s’en sont pas plaints. Ils préféraient un chouette gars comme ce Néerlandais à quelqu’un comme Frankie Vercauteren qui les convoquait au stade pour des heures supplémentaires. Avec Van den Brom, c’était plus cool. Après la défaite en Ligue des Champions à Saint-Pétersbourg, l’année dernière, il a autorisé ses joueurs à sortir, à une heure du matin.

Plusieurs footballeurs en ont profité. Quelques jours plus tard, durant ce sombre mois d’octobre 2012, le Sporting s’est incliné 2-0 à Charleroi. On a expliqué que les joueurs étaient fatigués par ce lourd déplacement européen.

Anderlecht a payé cher ce manque d’entraînement car celui qui n’est pas en forme s’expose à des blessures. Matias Suarez en a été victime. Il s’est fait remonter les bretelles par l’entraîneur et le manager, après la défaite contre le PSG. Le lendemain, il s’est déchiré les ligaments croisés de son genou droit, déjà opéré. Le tancer n’était pas la solution. Surtout pas dans le chef d’un entraîneur dont on avait loué le people management.

Suarez ne s’est jamais senti à l’aise avec Van den Brom. Il a perdu la chaleur de son coéquipier argentin Lucas Biglia, du team manager mi-espagnol José Garcia, de Peter Smeets et de sa deuxième mère, Louiza de Melo de la cellule sociale, ainsi que du médecin du club, son confident, Kris Vollon. Ces cinq personnes ont quitté le Sporting en été, de leur propre chef ou de celui de la hiérarchie. Leur départ a démantelé le suivi des joueurs d’Anderlecht, tant prisé. Et Suarez en a fait les frais.

Un homme de réseaux

Suite au renvoi de Van den Brom, on peut se demander si l’entraîneur des gardiens Max de Jong et le préparateur physique Jurgen Segers, recrutés à ADO La Haye, resteront encore longtemps à Bruxelles. L’avenir de Besnik Hasi est également incertain. Un contrat de deux ans l’attend s’il réussit les play-offs. Sinon, il est exclu qu’il redevienne T2 et il n’est pas impossible qu’Anderlecht doive recomposer un staff complet.

Van den Brom laisse derrière lui un Sporting en proie au doute. Il n’a ni équipe ni style de jeu. Il a engagé trois Néerlandais et deux Serbes. Bram Nuytinck a convaincu un moment, Samuel Armenteros est déjà parti et Demy de Zeeuw a déjà connu de meilleurs moments. Van den Brom s’est surtout distingué par sa connaissance des réseaux. Il a eu beaucoup d’impact sur les transferts. Il a attiré ses amis à Bruxelles. Malgré un avis négatif de la cellule de scouting, il a insisté pour qu’on engage Luka Milivojevic, un joueur de l’agent Ranko Stojic, engagé aussi à l’avis de Jan Streuer.

Streuer a été le premier agent de Van den Brom – ils viennent du même village. Leurs chemins se sont recroisés à Vitesse, à la fin des années 90. Van den Brom était joueur, Streuer directeur technique. C’était l’époque du président mégalomane Karel Aalbers. Vitesse avait accueilli un flot de joueurs de l’ancienne Yougoslavie et avait fait l’objet d’une enquête pour ses flux d’argent douteux. Le nom de Stojic est apparu dans l’enquête. Streuer a quitté Vitesse en 2007 pour devenir directeur du scouting du Shakhtar Donetsk. Il est maintenant un master mind sur le marché international des transferts. C’est lui qui a conseillé Van den Brom à Anderlecht.

Streuer a toujours été un modèle pour Van den Brom. On ne peut nier que l’entraîneur ait le sens des affaires. Il s’entoure d’une jeune génération de managers. Il a encore joué avec son propre agent, Louis Laros, et c’est via son collègue Patrick van Diemen, un ancien joueur d’Anderlecht, qu’Armenteros a débarqué à Neerpede. De Zeeuw y est arrivé via Sören Lerby, un autre membre du réseau de Van den Brom et Streuer.

Lors de son engagement, Van Holsbeeck a déclaré que le recrutement de De Zeeuw constituait la preuve qu’Anderlecht comptait à nouveau sur la scène internationale. Rien n’est moins vrai. Le réseau de Van den Brom n’a en tout cas pas renforcé Anderlecht.

Couverture médiatique

Après la défaite contre le Lierse, l’entraîneur a constaté que  » nous ne sommes peut-être pas aussi bons que nous le pensons tous.  » Le  » tous « , c’est un petit mensonge. Van den Brom est parvenu à se couvrir du point de vue médiatique. Il a l’art de flatter les journalistes qu’il faut, ce que ses prédécesseurs, Jacobs et Vercauteren n’ont jamais fait, ce qui leur a valu des problèmes.

Van den Brom a conclu un pacte avec le plus grand quotidien du pays, de sorte qu’aucune critique sur son fonctionnement n’a émergé en public. Club et coach sont devenus aveugles. Ils n’ont pas vu leurs erreurs. Le soir de cette horrible prestation au Lierse, Van den Brom buvait une bouteille de bon vin avec son ami Stanley Menzo et des journalistes du quotidien Het Laatste Nieuws. Une interview conviviale mais fatale pour sa crédibilité.

Herman Van Holsbeeck a été le premier à Anderlecht à tomber sous le charme de Van den Brom, qui avait ressuscité Dmitri Bulykine à ADO La Haye. Le Russe avait perdu tout son panache à Bruxelles. Se mouiller ainsi pour le prometteur Néerlandais était un acte courageux. Aujourd’hui, la seule conclusion à tirer est que c’était un mauvais choix, que Van den Brom a débarqué au Sporting en quadragénaire dont le style correspond à l’esprit de l’époque. Un people manager. Un amoureux du Barça, qui voyait plus loin que le seul résultat. Comme on l’a déjà dit dans le passé, à Bruxelles, on a compris que Van den Brom ne figurait pas parmi cette lignée d’entraîneurs novateurs. ?

PAR JAN HAUSPIE- PHOTOS: IMAGEGLOBE

Malgré un avis négatif de la cellule de scouting, il a insisté pour qu’on engage Luka Milivojevic.

La défaite au Lierse ne l’a pas empêché de déguster un bon verre de vin en compagnie de Stanley Menzo.

Van den Brom avait l’art de flatter les journalistes, ce que ses prédécesseurs Ariel Jacobs et Frankie Vercauteren n’ont jamais fait.

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