» Père, pardonne les dirigeants de Gand car ils ne savent pas ce qu’ils font »

Le phénomène / orateur / philosophe norvégien s’exprime pour la première fois depuis son C4.

Trond Sollied peste sur  » ce ciel gris et triste typiquement belge  » mais reconnaît que pour le reste, la vie est belle. Malgré son limogeage à La Gantoise, fin octobre.  » Je prends du bon temps. Je regarde plein de matches à la télé, je vais voir mon fils de 10 ans qui joue dans un petit club de la région, je me rends encore au stade parce que je suis un gars sociable et que j’ai besoin d’une vie sociale, je fais des sorties à vélo dès qu’il fait beau, j’ai repris la natation. Je passe beaucoup de temps en famille. C’est un luxe ! Je suis heureux.  »

L’interview a lieu à l’ombre du nouveau stade en construction des Buffalos. L’homme du Nord parle enfin, et en exclusivité, de sa mise à l’écart. A la Sollied, donc avec des réponses parfois énigmatiques, des certitudes à l’occasion étonnantes et l’une ou l’autre référence… à l’armée, à la bible, au suicide,…

Tu imaginais que tu serais sur un des deux bancs pour le match d’inauguration du nouveau stade ?

Trond Sollied : Nouveau stade ? Quel nouveau stade ? Attends un peu. En Norvège comme ici, on dit qu’il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Ce chantier n’est pas terminé, loin de là.

Tu n’avais pas un projet à long terme avec Gand ?

Absolument pas. J’avais signé pour deux ans, mon contrat se terminait à la fin de cette saison et il n’y a jamais eu de discussions concrètes pour le prolonger. J’étais revenu en 2011 pour des raisons purement familiales, parce qu’il fallait que je passe un peu de temps en Belgique. Sans ça, je ne suis pas sûr que j’aurais repris le boulot dans ce championnat. Maintenant, mon contexte familial ne m’oblige plus à rester ici, donc je peux repartir dans un autre pays.

Pourquoi tu n’as jamais voulu t’exprimer depuis ton limogeage ?

J’ai reçu plusieurs demandes mais je n’avais pas envie de me justifier. Tout est tellement simple : j’ai été mis dehors, tout le monde voit le résultat, l’évolution du club entre-temps. La direction estimait que je n’étais plus bon et qu’un autre allait être meilleur ? OK, pas de problème.

Les deux coaches qui t’ont suivi sont meilleurs ? Gand était septième quand tu as été limogé…

Ce n’est pas à moi de juger, les chiffres sont clairs et tout le monde les voit. Les patrons du club ont pris leurs responsabilités. Quand tu es entraîneur, tu sais que ça peut t’arriver à tout moment et tu dois être préparé. Je l’étais. Mais je ne suis pas obligé pour autant d’être d’accord.

 » Pas d’argent pour des renforts en été ? On sait payer trois coaches et transférer sept joueurs en janvier !  »

Dès l’été, on s’est douté que Gand allait connaître une saison difficile !

Première chose à savoir : c’était mon troisième séjour ici et, pour la première fois, j’ai compris que j’aurais très peu d’impact sur le recrutement. Pour moi, c’est un sérieux problème, je ne suis pas habitué à travailler comme ça. Et je savais que ça risquait d’être compliqué si on n’attirait pas des renforts pour des postes clés. Je n’étais pas exigeant, je demandais seulement un peu d’expérience.

Tu avais perdu Tim Smoders, Elimane Coulibaly, Jesper Jorgensen, Yassine El Ghanassy, Zlatan Ljubijankic : énorme !

Reprends les statistiques de la saison passée et regarde qui avait marqué la plupart des buts et donné la majorité des assists. Tu as déjà une réponse. Aujourd’hui, La Gantoise ne met plus en moyenne qu’un but par match.

Le raisonnement des dirigeants était simple : impossible de payer en même temps un stade et des joueurs de haut niveau. Tu les suis ?

Euh… (Il réfléchit). Je vois quand même qu’ils en sont à leur troisième entraîneur cette saison et que sept nouveaux joueurs sont arrivés en janvier. Le noyau actuel n’est plus du tout le même que celui qu’on m’avait donné. Mais j’avais été rassurant avant la saison. J’avais dit qu’il ne fallait pas s’inquiéter, que j’avais des bons jeunes, qu’ils allaient atteindre un bon niveau mais qu’il fallait un peu de patience, surtout que trois des nouveaux joueurs n’étaient arrivés qu’à la fin du mois d’août. On ne pouvait pas nous demander de gagner chaque semaine, c’était complètement impossible.

C’était quand même utopique de penser à une qualification européenne ?

Pas du tout ! Nous aurions pu le faire. Quand on m’a viré, Gand n’avait que six points de retard sur Bruges et Anderlecht. Ce n’est pas grand-chose : deux victoires. J’ai toujours qualifié Gand pour l’Europe et j’aurais pu réussir ce résultat une fois de plus, même avec le noyau que j’avais en début de championnat.

C’est frustrant de voir qu’il y a de l’argent pour transférer en janvier alors qu’il n’y en avait pas pendant l’été ?

Chaque semaine, il y a un tirage du Lotto. Ils ont peut-être gagné… (Il rigole). Je constate en tout cas que de l’argent a dû rentrer en été puisque quinze joueurs étaient partis. En janvier, il y a sept arrivées et à nouveau dix départs. Autant de roulement dans le personnel, ce n’est jamais bon. Regarde Anderlecht, Genk et Lokeren : ça bouge peu dans leurs noyaux, d’une saison à l’autre. Et ces clubs font des bons résultats. Même Courtrai, à un niveau un peu inférieur. La stabilité, c’est primordial. Pas seulement dans le foot. Si tes collègues changent continuellement, le résultat de ton travail sera moins bon.

 » Un coach peut être soulagé quand on le met dehors  »

Si tu dois comparer tes trois séjours à Gand sur l’échelle du bonheur…

10 sur 10, les trois fois. Je suis toujours allé à l’entraînement avec le sourire. Smiling gives you positive energy. Dans tous les clubs où j’ai travaillé, j’ai veillé à ce que mes joueurs soient souriants. S’il n’y a pas de fun, tu as une bande de losers.

Comment a évolué ton lien avec la direction de Gand depuis ton premier jour ici ?

C’est comme ta femme et toi : il y a des jours avec et des jours sans…

Ce n’était pas une erreur de revenir une troisième fois dans le même club ?

Non, c’était une bonne opportunité pour moi à ce moment-là. J’ai signé un contrat émotionnel.

Et maintenant, tu en es où dans tes émotions par rapport à Gand ?

Ils ont rompu le contrat, je suis libre dans ma tête… Pour moi, quand c’est fini, c’est fini. Je suis marié avec ma femme, pas avec un club ou des dirigeants.

Tu n’imagines quand même pas un quatrième passage dans le futur ?

Et pourquoi pas ? On estime aujourd’hui que je ne suis plus assez bon, mais qui peut garantir qu’ils ne vont pas me recontacter un jour et me dire : -Sorry, on s’est trompés. Il y a tellement d’exemples dans le monde du foot.

Comment tu apprends ton limogeage ? On te téléphone ? On vient te voir ?

C’est de la cuisine interne. Mais on ne me l’a pas annoncé dans les toilettes du centre d’entraînement. (Il rigole).

Ton état d’esprit à ce moment-là ?

Déçu et surpris. Mais tu sais que ça peut venir à tout moment.

Mais c’est mieux si ça ne vient pas.

Pas si sûr !

Il y a des coaches qui sont soulagés quand on les met dehors ?

Oui.

C’était ton cas ?

Je n’ai pas dit ça…

Ce jour-là, qu’est-ce que tu penses des dirigeants de Gand ?

J’ai un passage de la bible qui me vient à l’esprit :  » Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font  » ! Il faut lire la bible, on peut y trouver plein de choses intéressantes.

Ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient ?

Ce n’est plus mon business.

Tu respectes leur décision ?

Oui, puisque ce sont mes patrons. Mais entre respecter et accepter, il y a un fossé.

 » Parfois compliqué de travailler avec des dirigeants qui n’ont jamais rien gagné  »

Pendant l’été, tu aurais pu retourner dans un club qui jouait la Ligue des Champions. Tu n’as pas hésité, en voyant autant de bons joueurs quitter Gand ?

Non. Les départs n’avaient pas encore commencé à ce moment-là. Et de toute façon, je n’ai jamais cassé un contrat et je n’avais pas l’intention de le faire.

Un mois avant ton limogeage, vous allez au Standard et on entend déjà que tu joues ta tête. Mais vous gagnez là-bas et tu peux rester. Tu t’es senti sous pression ?

Pas du tout. Ceux qui doivent faire quelque chose, ils ne gagnent jamais. Ceux qui veulent réussir, ils peuvent gagner…

Tu veux dire que c’est un handicap pour un coach quand il a une pression qui vient de son patron ?

Un handicap pour la direction, pas pour moi ! Il y en a qui n’ont jamais rien gagné et ne savent pas ce que c’est. Si on me dit que je dois gagner, je vois qui me parle, je me demande si cette personne a déjà remporté des prix. Ici, la réponse était claire : non !

Ta relation est différente avec un président qui a un palmarès et un autre qui n’en a pas ?

Pas nécessairement. Mais moi, les victoires, les titres, je connais. J’en ai eu presque partout, comme joueur puis comme entraîneur.

Il manque donc une culture de la gagne à Gand ?

Il n’y a pas de tradition du succès. Pour construire un grand club, tu as notamment besoin de personnes qui ont déjà gagné quelque chose. Moi, quand je bâtis un noyau, je cherche toujours quelques joueurs qui ont un palmarès et je me focalise en priorité sur eux.

Tu as cru que Bob Peeters allait vite faire changer les choses, quand il t’a remplacé ?

Peeters, La Gantoise… ce n’était plus du tout mon business. Je n’ai plus trop suivi.

Tu pressentais que ça irait encore moins bien ?

Pas de commentaires là-dessus, j’imagine seulement que chacun a fait de son mieux.

Est-ce que ton groupe n’était pas trop jeune pour avoir l’autodiscipline sur laquelle tu as toujours compté ?

Avoir de la discipline, ce n’est pas une question d’âge. J’avais des joueurs qui s’entraînaient très bien, très sérieusement, à un haut niveau.

Tu n’es pas un entraîneur strict : tu ne crois pas que ça s’est déjà retourné contre toi ?

Non. Et la discipline, la vraie, qu’est-ce que c’est ? Ce que j’ai connu à l’armée. On te colle à terre, tu dois te relever, on ne t’autorise pas à réfléchir, tu es tout juste bon à obéir aux ordres. On ne va pas quand même pas introduire tout ça dans le football ?

Un Sollied militaire, ça donnait quoi ?

J’ai été très heureux pendant un an et demi. Je suis entré au service comme adolescent, et j’étais un homme en quittant. J’ai aussi appris ce que l’armée est censée t’apprendre en priorité : tuer. Quelqu’un vient vers toi avec une arme, tu dois pouvoir te défendre…

Des joueurs disent que la musique allait à fond dans le vestiaire jusqu’à un quart d’heure du début des matches.

Il ne faut pas exagérer. Oui, il y avait de la musique, mais ça n’allait pas à fond. Et on l’arrêtait définitivement quand les joueurs partaient à l’échauffement. Demande à la plupart des footballeurs de quoi ils ont besoin avant un match. Il y en a beaucoup qui te répondront qu’ils ont envie d’entendre de la musique. La demande venait d’eux. C’est comme ça dans beaucoup de grands clubs, ça permet de se mettre dans le bon état d’esprit. Il y a aussi plein d’athlètes qui se préparent comme ça.

Michel Louwagie dit qu’un Sollied motivé est toujours un très grand entraîneur.

Thank you very much !

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS : KOEN BAUTERS

 » Je suis marié avec ma femme. Pas avec un club ou des dirigeants.  »

 » Ceux qui doivent faire quelque chose ne gagnent jamais. Mais ceux qui veulent réussir peuvent gagner.  »

 » S’il n’y a pas de fun à l’entraînement, tu as une bande de losers.  »

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