Père Jean-Pierre

Avant la finale de la Coupe, le président des Hurlus se dévoile comme il ne l’a jamais fait. Monologue.

Il y a aussi le succès de l’Excelsior, passé du statut amateur à celui de professionnel. Il y a encore du travail: je ne suis pas vite content, j’en veux toujours plus. Pas pour ma richesse personnelle mais pour le bien-être des autres. Pour la ville, qui était la plus pauvre de la région. Mouscron n’est peut-être pas très riche mais déborde d’enthousiasme quand il s’agit de travailler ensemble pour construire quelque chose. Je ne suis jamais tout à fait content. On peut dire qu’une insatisfaction permanente m’habite. J’ai sans cesse de nouveaux projets pour offrir un meilleur avenir à cette région.

Je voudrais aussi éveiller le sens social des jeunes, afin qu’ils prennent en mains le sort de Mouscron et de la région. The struggle for life, mais not only for own life. L’enthousiasme et la vocation sociale de notre conseil des enfants m’emplit d’admiration. Nous devons entretenir cet idéalisme. Je pense qu’il s’agit d’une qualité innée mais qu’elle est souvent étouffée par la vie.

C’est valable sur le plan mondial, entre le Nord et le Sud. Nous devons changer les choses. Il n’est pas possible que des gens s’étouffent dans le confort et l’argent pendant que d’autres meurent en rue. Il faut trouver un certain équilibre entre les pauvres et les riches, en Europe et entre les continents, dans l’intérêt de la société occidentale ».

Le rôle important de la femmme

« Montrer l’exemple est l’essentiel. Pas en paroles mais en actes qui marquent les gens. Pas en disant ce qu’il faut faire mais en le faisant. C’est comme ça qu’on a le plus d’influence sur les enfants.

Selon moi, les femmes jouent un rôle plus important que les hommes dans la société. La mère a plus d’influence sur ses enfants que le père. Je le répète souvent: imaginez que notre société manque d’argent pour élever ses enfants et qu’il faille sacrifier quelqu’un. Ce sera l’homme car les femmes accompliront leur mission. Elles formeront une nouvelle génération d’hommes. Par leur nature, elles sont plus proches de leurs enfants et jouent un rôle plus important dans leur éducation.

Ma motivation me vient de mon enfance. Nous étions très pauvres. Le sol de la maison n’était même pas carrelé. J’ai perdu ma mère à l’âge de sept ans. Mon père est mort trois ans plus tard. J’ai passé deux ans à l’orphelinat puis je suis devenu interne au collège. Ceux qui ont souffert de la faim et vécu de l’assistance publique connaissent les vraies valeurs de la vie. Je veux rendre quelque chose à la société. C’est de là que viennent mes réflexes sociaux.

Je suis profondément croyant. Ça m’aide. Ma femme et moi assistons à la messe presque tous les jours. Prier ensemble nous permet de voir la vie sous un autre angle dans les moments difficiles, de relativiser les choses, de trouver des solutions.

Je me rends en France, pour prier une demi-heure dans une petite chapelle de Tourcoing. A l’abri des regards indiscrets. C’est très enrichissant. Ça modifie mon regard sur moi-même et sur la vie. Il m’arrive de me retirer une journée entière, afin de méditer, de me concentrer, de prier. J’en ai de plus en plus besoin pour trouver mon équilibre et pour appréhender les choses avec plus de nuances. Lorsqu’on reste le nez sur son travail, on risque de ne plus prendre les bonnes décisions ».

Le monde actuel manque de culture

« Pourtant, pendant des années, je n’ai plus pratiqué. J’ai été révolutionnaire, anti-clérical. J’étais contre la structure de l’église et ses méthodes. Toujours maintenant. J’ai passé huit ans à l’internat, entouré de prêtres, j’étais obligé d’assister à la messe tous les jours. Tout était obligatoire. C’était trop. Ce n’est pas non plus parce que nous sommes croyants que nous devons être d’accord avec l’Eglise en tous points. Croire, ce n’est pas seulement aller à la messe, prier ou avoir un rite.

Je pense que le monde actuel manque de culture, au sens large du terme. Par exemple, les gens qui aiment la musique ou la littérature disposent d’un pilier dans les moments difficiles, ils peuvent y trouver une réponse à leur chagrin ou porter un autre regard dessus. Nous avons besoin de cette culture, ou de l’âme de la société, comme vous voulez.

Ceux qui vivent pour l’aspect matériel, corporel ou l’argent ne peuvent pas trouver de véritable bonheur. Nous vivons dans un monde plus riche, plus confortable, mais je ne suis pas sûr que les gens soient plus heureux qu’avant. Au contraire. Ils doivent donc chercher autre chose. La vie a un sens. Nous ne sommes pas nés pour disparaître, sans qu’il y ait une signification à ce passage. J’ai eu la chance de rencontrer quelqu’un qui m’aide. Dieu, oui. Cette rencontre a changé ma vie, m’a donné d’autres priorités et un autre regard sur la vie. Depuis cette rencontre, je me sens tout petit. Chaque homme peut mieux faire. Depuis, je me débrouille un peu mieux. En mon for intérieur, je me suis un peu amélioré.

Je connais et respecte des gens qui ne croient pas. Des gens bien, qui ont des pensées et des gestes nobles. Les gens qui croient en l’homme et qui tentent de faire le bien ainsi sont sans doute plus proches de Dieu que moi-même, qui suis peut-être un mauvais Chrétien ou qui voudrais en tout cas en être un meilleur ».

Certains reçoivent bien plus alors que j’ai connu des hauts et des bas. J’ai dû me battre contre moi-même alors que d’autres ont un coeur tendre, de nature. Quand vous les rencontrez, vous sentez immédiatement qu’ils sont vraiment bons. Malheureusement, je ne suis pas né ainsi. Sûrement pas (il sourit)… »

Communiste pour certains

« Peut-être est-ce dû à ma vie, à ces années passées dans la rue, entouré du mal… A la mort de ma mère, j’étais souvent seul, à la maison ou dans la rue, car mon père, fort handicapé, n’avait jamais de temps. Il devait travailler. Ensuite, il est tombé malade et est décédé à son tour. A cette époque, j’ai donc vécu comme un sauvageon, dans la rue. Il n’y avait personne pour m’élever. Mais ce fut une époque heureuse. Je me sentais libre et j’en ai conservé quelque chose. Il m’est difficile de me laisser imposer des choses. Je n’accepte pas facilement une discipline qui vient de l’extérieur. Je suis très réactionnaire, très révolutionnaire. A l’école, j’étais un peu anti. Communiste, même, aux yeux de certains. Mais mes amis me disent que j’avais déjà une vocation sociale. Ils l’avaient déjà perçue à cette époque alors que je ne m’en rendais pas compte. Il semble que je n’agissais pas pour mon propre intérêt.

Seul, un homme peut difficilement trouver le bonheur. C’est un état qui doit être partagé avec d’autres. Même si vous avez tout, que vous habitez le plus bel endroit au monde… Non, je ne pense pas qu’on puisse être heureux seul. Je n’ai jamais vu de corbillard suivi d’un coffre-fort, donc à quoi cela sert-il? Pour moi, l’argent représente l’essence dont ma famille a besoin. Sinon, il ne m’intéresse pas.

Jusqu’à l’âge de 20 ans, j’ignorais ce qu’était un restaurant. Ma vie professionnelle m’a changé. Un moment donné, j’étais au restaurant au moins une fois par jour, et encore bien, dans les meilleurs établissements. Vouloir profiter des bonnes choses n’est pas un péché mais il ne faut pas exagérer, naturellement. J’ai abandonné tout ça. J’ai fumé plusieurs paquets de cigarettes par jour. C’est fini. Il y a trois ans, j’ai également décidé de ne plus consommer d’alcool. Et bien, c’est terminé. Ce que je regrette, c’est qu’Interbrew a dû limoger trois personnes à cause de ça. Car à cette époque… Comme bourgmestre, je dois assister à toutes les réceptions. Enfin, ces trois personnes ont dû retrouver du travail chez Chaudfontaine, maintenant (il rit)… »

La même devise que Socrate

« Quand vous avez le plus beau travail du monde, comme moi, au service d’autrui, vous devez vous soigner comme un footballeur, je trouve. Etre suffisamment en forme pour utiliser vos talents du mieux possible. Ça fait partie de ma mission. Je veux également être maître de moi-même. Je ne désire pas que ça me soit imposé par d’autres, que le médecin m’y contraigne, vous comprenez. Ça rejoint un peu la philosophie de Socrate: Connais-toi toi-même. Mieux tu te connaîtras, plus loin tu iras. L’homme doit se connaître, tenter de mieux se cerner et voir ce qui est bon et moins bon en lui.

Le monde du football est tout sauf sain, mais la politique n’est pas différente. Ils sont le reflet de la société. Ou bien vous faites comme tout le monde, ou bien… Peut-être ai-je envie de faire les choses différemment mais je veux rester dans ce milieu. Non, je ne souhaite pas me retirer mais appréhender les choses différemment et m’y prendre autrement.

Je suis empli d’espoir, pour tout, et certainement pour le monde du football. Je suis épaté de voir, rien qu’en Belgique, des centaines de milliers de personnes courir de terrain en terrain, chaque week-end, de la P4 à la D1, gratuitement, pour écarter les jeunes de la rue. C’est une richesse unique, formidable. Peut-être est-ce aussi la richesse de l’Europe, cette disponibilité des gens, sur le plan culturel et sportif, dans tous les pays. Là, tout ne tourne pas autour du seul argent, la vie prend une autre dimension.

Ce n’est pas un hasard si notre stade comprend un lieu de recueillement. Au départ, l’endroit devait accueillir une chapelle, à la demande d’un joueur, d’ailleurs, ce qui m’arrangeait très bien (il sourit). Au terme de discussions, nous avons compris qu’il ne pouvait s’agir d’une chapelle catholique mais de quelque chose d’oecuménique, destiné à toutes les religions. Nous avons des musulmans, des orthodoxes, des protestants. Nous allons donc arranger cet espace afin que chacun s’y sente chez lui, y compris les libre-penseurs.

Pendant mes voyages de jeunesse, j’ai découvert qu’il y a plusieurs voies. J’ai dû travailler à l’étranger pour apprendre des langues car je ne pouvais pas me payer des cours. J’ai vu des gens d’origines, de cultures, d’idéologies et d’approches différentes atteindre le même objectif. Il est important que les gens comprennent qu’accepter les différences de langue, de culture et de pensée est un acte enrichissant. Nous ne devons pas essayer de rassembler tout le monde dans la même église ou dans le même parti politique mais respecter les différences de pensée.

Cet espace de recueillement est également un symbole: tout n’est pas argent et matérialisme. Nous devons réfléchir à d’autres aspects de la vie et nous demander si nous n’avons pas besoin d’autre chose pour trouver le bonheur. Les gens ont de plus en plus besoin de recueillement. On peut s’y adonner dans la nature ou dans un fauteuil, chez soi ».

Christian Vandenabeele,

« Quand j’ai arrêté de boire, Interbrew a dû licencier trois personnes »

« Ma rencontre avec Dieu a changé ma vie »

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