Père et fils

Le demi défensif limbourgeois, vu par son père (qui fut aussi son entraîneur chez les jeunes).

C’est sous le maillot du Standard que Bernd Thijs a effectué ses premiers pas en D1. Mais c’est à Genk qu’il a explosé, surtout depuis l’arrivée de Sef Vergoossen. Il est désormais un pion incontournable dans l’entrejeu des champions de Belgique, aux côtés de Josip Skoko. Il a aussi intégré le groupe des Diables Rouges. Albert, son père qui fut aussi son entraîneur chez les jeunes à Wellen (petite bourgade limbourgeoise entre St-Trond et Tongres), et Lise, sa soeur qui tapa également dans un ballon autrefois, ont suivi de près son évolution.

« Il ne fera jamais l’unanimité »

Le talent de Bernd s’est-il révélé très tôt?

Albert: En équipes d’âge, Bernd terminait toujours la saison dans une catégorie supérieure à la sienne. Au début, il se distinguait par sa petite taille et son extrême rapidité. Puis, subitement, il a commencé à grandir. Mais il a toujours joué de la même manière qu’aujourd’hui: il courait à gauche et à droite, colmatait les brèches et se mettait au service de l’équipe. Parfois, il était trop collectif. Il avait déjà une bonne frappe, mais souvent, au lieu de tenter sa chance lui-même, il cédait le ballon à un partenaire qu’il estimait mieux placé mais qui… tirait à côté. Les réactions, au bord du terrain, fusaient: – Bernd, pourquoin’astupastiré toi-même? Il n’a pas tardé à se retrouver dans le collimateur des grands clubs de la région. Quand je parle de la région, je songe surtout à Liège et au Standard, qui recrutaient beaucoup dans le Limbourg. A 15 ans, il s’est retrouvé à Sclessin. Directement en Scolaires nationaux, ce qui était une bonne chose. Je ne l’ai laissé signer que pour un an. J’ai expliqué à Roger Henrotay que j’avais des doutes sur sa capacité à évoluer à ce niveau et que je ne voulais pas prendre de risques. Après trois mois, cependant, il a été convoqué en équipe nationale. Le doute, alors, n’était plus permis. D’autres clubs commençaient à se mettre sur les rangs. Y compris Anderlecht. J’ai laissé Bernd décider lui-même. Alors que nous étions en route, il m’a confié dans la voiture: – Papa, j’aiprismadécision: jeresteauStandard, c’estquej’auraileplusdechancesdepercer! Mon épouse n’aurait pas été déçue par un transfert vers Anderlecht. Mais je ne me voyais pas le conduire tous les jours à Bruxelles. Et puis, il y avait constamment ces échos de jeunes joueurs anderlechtois, plus doués les uns que les autres, qui restaient en rade sans jamais avoir l’occasion d’évoluer en équipe fanion.

Avec son style de jeu, Bernd ne fera jamais l’unanimité. Il travaille, récupère des ballons et adresse immédiatement une passe. Il ne se lancera jamais dans de grandes arabesques. Mais il est efficace et c’est ce qui compte à mes yeux. Au Standard, il a joué en équipe Réserve dès l’âge de 16 ans. Et, à 17 ans, il faisait déjà des apparitions régulières en équipe Première. Sa chance, ce fut sans doute d’avoir marqué à la dernière minute d’un match à Alost, alors qu’il venait d’entrer au jeu. C’est le genre d’événement que tout le monde retient. S’imposer au Standard n’était pas une mince affaire à l’époque. C’était encore le temps des vedettes: Régis Genaux, Philippe Léonard, Michaël Goossens, Guy Hellers, Gilbert Bodart, Marc Wilmots et j’en oublie. Il y avait beaucoup de Brésiliens également: Dinga, le défenseur central avec ses grosses cuisses, et puis tous ceux qui sont arrivés de Seraing: Edmilson et Wamberto, notamment. J’allais conduire Bernd tous les jours. L’école se terminait à 16h20 et l’entraînement débutait à 17h00. Juste le temps d’arriver…Il mangeait ses tartines dans la voiture. J’assistais aux entraînements. Et je suivais mon fils d’un oeil attentif.

Bernd: Mon père m’a enseigné toute la technique de base. Les frappes, les passes du pied droit ou du pied gauche. Au Standard, et après à Genk, je n’ai eu qu’à perfectionner les différents aspects de mon jeu.

Albert: A un moment donné, alors que Bernd avait 18 ans, j’avais insisté auprès de Simon Tahamata (entraîneur des jeunes à l’époque) pour qu’il travaille la résistance et l’explosivité de mon fils. Mais il recevait des ordres d’en haut et n’a pratiquement jamais pu faire ce que bon lui semblait. « C’est beau l’idéalisme »

Vous semblez avoir joué un grand rôle dans la carrière de Bernd?

Albert: Je l’ai surtout guidé et conseillé. Mais je me suis dévoué pour beaucoup de jeunes. J’ai entraîné jusqu’à 30 heures par semaine, autrefois. Je faisais même le tour du Limbourg pour aller chercher des gamins et les ramener chez eux après l’entraînement. C’est beau l’idéalisme, n’est-ce pas? Lorsqu’il était petit, Bernd a aussi joué au football en salle. Comme Préminime, il a même été champion de Belgique. Cela lui a sans doute été utile pour la technique et le toucher de balle.

Bernd: Le football en salle, c’était pour le fun. Pour m’amuser avec les copains. Mon père s’est beaucoup sacrifié, mais lorsqu’il a constaté le peu de reconnaissance qu’il en a retiré dans l’entourage du club, il a préféré arrêter.

Aujourd’hui, vous n’entraînez plus?

Albert: Non. Je donne encore parfois un coup de main lors des stages, mais c’est tout. Je suis devenu un simple supporter.

Quel rôle la famille a-t-elle joué dans l’épanouissement de Bernd?

Bernd: Elle a contribué à mon équilibre. Je dois beaucoup à mes parents, à ma soeur et aujourd’hui à mon épouse. Déjà, en Scolaires, il m’arrivait d’aller me coucher à 21h00 ou 21h30, lorsque j’avais un match le lendemain. Mes parents n’ont jamais dû insister. Je le faisais de ma propre initiative.

Albert: Bernd a toujours été très sérieux dans l’approche de son métier. Nous n’avons jamais dû lui indiquer le comportement à suivre. Cela coulait de source, pour lui. Ce que j’apprécie désormais, c’est que ses amis d’enfance sont toujours ses amis actuels. Ce sont toujours les mêmes, qui venaient à la maison autrefois et qui vont aujourd’hui lui rendre visite, pour parler de tout et de rien. Ce sont eux qu’il va voir jouer, lorsqu’il en a l’occasion le dimanche après-midi, en 2e ou 3e Provinciale. C’est la preuve que malgré le statut qu’il a acquis, il n’a pas changé. Il se vend mal

A quoi constatez-vous que Bernd a bien progressé?

Albert: Aux réactions des gens. La saison dernière, au stade Fenix, je mettais parfois 45 minutes pour aller du parking à l’entrée principale. Tout le monde m’apostrophait. Et puis: autrefois, il était le fils d’Albert. Aujourd’hui, je suis le père de Bernd. (Ilrit)

Et cette réputation d’introverti?

Bernd: Elle est fondée. Ma soeur et moi avons des caractères très différents. Lise est très extravertie. Mon père, également, est un vrai moulin à paroles. Personnellement, je ne parle que lorsque j’estime que c’est nécessaire. Sur le terrain, je n’hésite pas à donner de la voix. En dehors, je laisse parler les autres.

Albert: Parfois, je lui reproche son côté introverti. Il se vend mal.

Bernd: Question de caractère. Personnellement, je n’aime pas me mettre en évidence par des déclarations dans la presse. Je préfère le faire sur le terrain. Cela m’énerve, lorsque je vois certains se vanter dans les journaux ou à la télévision, alors qu’ils viennent à peine de jouer deux ou trois bons matches.

Avez-vous dû vous forcer pour parler sur le terrain?

Bernd: C’est venu avec l’âge et la maturité. Dans le rôle central que j’occupe, c’est indispensable de guider ses partenaires. C’est aussi ce que l’entraîneur attend de moi. Au Standard, je parlais moins. Parce que j’étais plus jeune, mais aussi parce que j’avais l’impression que les autres n’acceptaient pas que je donne des directives.

Vous êtes-vous directement senti plus à l’aise à Genk?

Bernd: Pas directement, non. Au début, avec Johan Boskamp, j’ai même connu des moments très difficiles également. C’est surtout avec l’arrivée de Sef Vergoossen que j’ai acquis davantage de responsabilités. Il a su tirer le maximum de chacun. Et tenant compte des qualités et des défauts. L’homme de 100 millions

A votre arrivée à Genk, Johan Boskamp avait déclaré que vous étiez un international en puissance. A l’époque, beaucoup étaient sceptiques. La réalité d’aujourd’hui lui a pourtant donné raison.

Albert: Honnêtement, je n’avais pas pensé que Bernd partirait à la Coupe du Monde. Mais, lorsque le rêve est devenu réalité, j’en ai été très fier. La saison dernière, j’ai essuyé plus de larmes que durant toute ma vie. Parce qu’il est devenu international, mais aussi parce que tout allait si bien pour lui dans son club. J’ai une grande g…, mais un petit coeur. En ce qui concerne Johan Boskamp, il ne faut pas oublier que c’est lui qui a recruté la plupart des joueurs qui ont conduit Genk vers le titre. Cela n’a pas marché sous sa direction parce qu’il n’y avait pas de collectif.

Bernd: Moi-même, je savais déjà que j’avais des qualités à l’époque. Je l’avais déjà démontré en certaines occasions, mais jamais de façon régulière. Je devais surtout devenir plus constant. Des journaux m’ont confronté avec cette déclaration de Johan Boskamp. Je n’ai pas répondu, car cela n’aurait servi qu’à accentuer la pression. Je préfère travailler pour moi-même, sans tenir compte de tout ce que l’on raconte.

Albert: Ou de ce que l’on lit. Je me souviens que, lorsque Bernd a été transféré du Standard vers Genk, HetBelangvanLimburg avait titré: « L’homme de 100 millions ». Vous parlez d’une pression! Alors que le prix réel du transfert pouvait facilement être réduit de moitié…

Vous semblez être davantage intéressé par ce qui figure dans la presse que Bernd…

Albert: Je lis tout, en effet. Trois journaux flamands, deux journaux francophones à l’époque où mon fils évoluait au Standard.

Bernd: J’achète rarement les journaux. Je les consulte dans la salle des joueurs de Genk, mais je n’y prête pas d’attention démesurée. J’achète régulièrement Sport/ FootMagazine, parce qu’on y trouve tout ce qui concerne le ballon rond. Mais aussi d’autres revues. Il n’y a pas que le football dans la vie. Le rouquin à la casquette

Songez-vous à un transfert à l’étranger?

Bernd: Pas vraiment. Mais je pense que j’aurais le niveau. C’est surtout sur le plan physique que les compétitions étrangères nous sont supérieures. On court sans arrêt. Et, dans ce domaine, j’ai beaucoup progressé. Avec Genk, nous avons connu une période durant laquelle nous avons disputé neuf matches en trois semaines, cette saison. J’ai tenu le coup sans problèmes. Autrefois, j’aurais été sur les genoux ou blessé. Au niveau footballistique, je pense que c’est pareil partout. La télévision retransmet toujours les matches au sommet dans les championnats étrangers. Lorsqu’un match oppose deux équipes de bas de classement, le niveau n’est pas supérieur à ce qu’il est en Belgique. Si, un jour, je pars à l’étranger, je devrai être conscient de mes limites et ne pas opter pour Arsenal ou Manchester United. Mais, actuellement, ce n’est pas à l’ordre du jour. Je suis très bien à Genk.

Albert: Il n’y a qu’une compétition qui est au-dessus du lot: c’est le championnat d’Espagne. Dans un autre pays, un bon joueur belge pourrait se débrouiller à condition d’opter pour un club moyen. Autrefois, j’aurais bien vu Bernd en Angleterre. Je trouve qu’il a le style de jeu adéquat: il court beaucoup, possède un bon jeu de tête, une bonne frappe.

Votre suspension à Madrid demeure-t-elle l’un des plus mauvais souvenirs de votre carrière?

Bernd: Jouer au stade Santiago Bernabeu, c’est une occasion qui se présente peut-être une ou deux fois dans une carrière. Lorsque j’ai écopé du carton jaune fatal contre l’AEK Athènes, tout le monde a bien vu que j’étais très déçu. Mais c’est le passé, je ne veux plus en parler.

Et les casquettes?

Bernd: J’en porte moins en public. Le club l’a interdit. En rue ou à la maison, je fais ce que je veux, mais dans l’enceinte du stade, je dois rester nu-tête. Beaucoup de gens pensaient que j’enfilais une casquette pour dissimuler mes cheveux roux. En fait, c’était simplement par facilité. Au sortir de la douche, je n’avais pas envie de passer une demi-heure avec le peigne et le sèche-cheveux. J’enfilais une casquette, et ni vu, ni connu. Je ne fais plus de complexes pour la couleur de mes cheveux. Lorsque j’étais petit, j’ai parfois fait l’objet de moqueries. Vous savez comment sont les gosses… Ce temps-là est révolu.

Albert: Je fais plus de complexes que mon fils. Aujourd’hui encore, je ne supporte pas que l’on me fasse des remarques concernant la couleur de mes cheveux. Je m’irrite facilement à ce sujet. Je suis le seul roux de la famille. Du côté de mon épouse, en revanche, tous les frères et soeurs sont roux. Et c’est le cas aussi de nos deux enfants, Bernd et Lise.

Daniel Devos

« A 17 ans, il jouait déjà en première au Standard » (le père)

« A Genk, c’est Boskamp qui a pratiquement recruté tous les champions » (le père)

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