Pendant 6 secondes, j’étais mort

Dimanche 7 juin. Match décisif du tour final de D2 : Roulers-Antwerp. Le défenseur (20 ans) s’effondre sur le terrain. Il ne doit sa survie qu’au défibrillateur qu’on lui a implanté neuf mois plus tôt.

A nthony Van Loo :  » Depuis cette date, j’ai bien visionné 20 fois les images et à chaque fois j’en ai la chair de poule. Je trouve cela horrible à regarder. Je me revois tomber comme un pudding, ensuite un choc me soulève un instant du sol, inconsciemment et, avant de m’en rendre compte, mon thorax se relève de lui-même 3 secondes plus tard. Horrible ! Plus on regarde les images, plus on fait attention aux détails. Le kiné Stefaan Vandecappelle par exemple qui sprinte dans ma direction comme si sa vie en dépendait.

Ce dont je me souviens : la balle est de mon côté au-delà de la ligne de touche, je marche pour aller la ramasser et soudain je me sens devenir très faible. Comme si je n’avais plus aucune énergie, je sens la vie me quitter de haut en bas. Je me rappelle encore avoir voulu prendre ma tête dans mes mains mais là je tombe. Et à partir de ce moment-là, plus rien !

C’est vraiment une sensation très étrange. La meilleure comparaison que je puisse faire, c’est celle des dessins animés où l’on voit l’esprit quitter le corps du personnage. Je n’ai pas à proprement parler eu mal, étant donné que tout mon corps était insensible à la douleur. En fait, je ne vivais plus. J’ai chuté comme une masse, heureusement que je ne suis pas tombé sur la tête ou la nuque car cela aurait été peut-être encore pire. Mon c£ur battait à 400 pulsations/minute au moment de mon malaise, mais je n’ai pas ressenti la différence. Il battait tellement vite qu’il ne pouvait plus pomper le sang : l’effet est le même que lors d’un arrêt cardiaque. J’ai donc été sans vie pendant 6 longues secondes. Mes pupilles étaient sorties de leur axe. Vincent Provoost était l’un des premiers coéquipiers auprès de moi et il m’a raconté par après que mes yeux étaient tout blancs. Cela devait être une image terrible. 6 secondes, c’est le temps nécessaire au défibrillateur pour développer une puissance de 700 volts afin de fournir le choc salvateur. Malgré la puissance, je n’ai quasi rien senti. Cela vaut mieux, parce que mon frère m’a dit que conscient, c’était l’enfer. Mon frère a déjà subi ce genre de malaise à 4 reprises. Par deux fois, il était resté animé. Un jour il a dû recevoir 10 impulsions du défibrillateur après avoir été victime d’un black-out consécutif à une chute à vélo. Il se demanda à l’époque pourquoi il vivait encore. Il avait le sentiment que s’il devait continuer à vivre de la sorte, ce ne serait vraiment pas possible. D’autres personnes qui ont vécu la même situation confirment ce sentiment.

Lorsque je suis revenu à moi, j’avais le souffle coupé. C’était probablement dû aux 400 pulsations par minute. Je tournoyais et je ne savais pas où j’étais. Je voyais du monde autour de moi et j’entendais la clameur du public. Quelqu’un demandait : -Ça va ? Fais doucement. Ce n’est que lorsqu’on m’a emmené sur une civière que j’ai réalisé ce qui m’arrivait. Une fois à l’intérieur je commençais à me sentir mieux. Je voulais même continuer à suivre le match mais on ne m’a pas laissé faire ! A l’hôpital, ils ont analysé et imprimé les données recueillies sur mon défibrillateur afin de refaire exactement le fil de l’histoire. Ils ont également procédé à une échographie de mon c£ur. Je demandais constamment à l’infirmière de regarder l’évolution du score du match sur son écran d’ordinateur ! Lorsque soudainement ce fut 1-1, je lui ai demandé si je pouvais partir car j’allais devenir fou. Finalement je suis revenu à Schiervelde juste un peu après le coup de sifflet final qui nous permettait de fêter le maintien en D1.  »

 » Nos problèmes de c£ur nous ont rapprochés « 

 » Je savais que ce genre d’accident pouvait m’arriver mais le vivre est bien sûr encore autre chose. J’espère ne plus jamais avoir à revivre pareil scénario. Il convient de ne pas trop s’attarder sur le passé et puis, je joue encore au foot. Mon frère a eu moins de chance, il a dû arrêter la pratique sportive il y a quatre ans. Chez lui, le défibrillateur se situe à l’épaule. Sa cicatrice n’est pas belle et initialement ils avaient mal réglé l’appareil de sorte qu’il recevait parfois des secousses alors que ce n’était pas nécessaire. A présent, il consulte comme moi le Docteur PedroBrugada à Bruxelles. Il n’y a pas mieux dans son domaine.

Les problèmes de mon frère ont débuté avec des pertes de conscience sporadiques. Un jour nous revenions de l’école à vélo et il m’a dit : Anthony, je ne vois plus rien. Heureusement il a chuté sur le bas-côté de la route…

A Louvain, ils ont procédé à des tests et décelé chez lui une malformation cardiaque héréditaire. Il évoluait alors en D3 à Maldegem et on lui intima l’ordre d’arrêter immédiatement le foot. Il ne s’en est toujours pas remis. Au début il jouait encore au foot en salle jusqu’à ce qu’il tombe en plein milieu d’un match. Il n’ose à présent plus faire de sport, même pas de vélo. Cela lui a mangé sa confiance. L’aspect positif, c’est que nos problèmes de c£ur nous ont rapprochés. En fait, nous ne parlons presque jamais de ce sujet entre nous. C’est tabou et cela touche une corde sensible chez lui.

Après qu’on a diagnostiqué la malformation cardiaque chez mon frangin, on m’a également examiné. Ils ont découvert quelque chose de petit, pas de quoi se faire du souci me disaient alors les médecins. Mais au début de la saison passée, toute l’équipe devait procéder à des examens du c£ur à l’hôpital Heilig Hart de Roulers. Chez moi des contrôles supplémentaires furent nécessaires parce qu’on avait découvert quelque chose d’anormal. « 

 » Après l’opération, la douleur était terrible « 

 » Je ne l’oublierai jamais : le 23 juillet 2008 je devais me rendre à l’hôpital avec mes parents et mon manager Patrick Vervoort pour prendre connaissance de l’évaluation de mon c£ur. Le même soir, nous affrontions le Paris Saint-Germain au Parc des Princes. La malformation de mon c£ur semblait être devenue plus importante. Les docteurs m’ont alors dit tout de suite : -Anthony, tu dois arrêter le football. On pouvait voir clairement que le ventricule droit se contractait moins bien que le gauche. Un défibrillateur n’était pas une bonne option selon les médecins. Cela signifiait la fin de ma carrière et cette nouvelle résonnait comme si on m’avait frappé sur la tête avec un marteau. Pour moi c’était un drame, car le football représentait toute ma vie.

Il faut aussi savoir que j’étais passé par le Club Bruges où on ne m’avait pas jugé assez bon pour passer en Espoirs, telle était du moins la conclusion de Hans Galjé, le coordinateur des jeunes. J’ai dû quitter le club, pour ensuite devenir international Espoir à Roulers. J’étais footballeur pro dans un club de D1 depuis un an et je n’avais aucune intention de quitter ce petit monde.

Ce n’est qu’une fois à l’extérieur de l’hôpital que j’ai laissé couler quelques larmes. Je suis immédiatement allé au Schiervelde. Sans dire quoi que ce soit à personne, je suis monté dans le bus, direction Paris avec dans l’idée de disputer mon dernier match sous mes couleurs. Sur la route, j’ai par moments dû masquer mes larmes en me cachant le visage. Pendant l’échauffement, j’ai apostrophé Vincent Provoost, – Aujourd’hui, c’est mon dernier match Vinnie, profites-en bien. Il me répondit : – Allez, comporte-toi normalement. Sur quoi je lui dis qu’il allait bien voir.

J’ai joué une première mi-temps impeccable contre Jérôme Rothen. Je considérais cela comme mes adieux et je voulais absolument prouver que j’avais vraiment le bon niveau. A la mi-temps j’ai dit à l’entraîneur : -Procède à mon changement, car c’est fini. C’est alors que je lui ai expliqué l’avis des médecins.

Lors du voyage retour, Bjorn De Wilde et Gunter Van Handenhoven m’ont demandé pourquoi je ne prendrais pas contact avec le docteur de Khalilou Fadiga, qui semblait être une sommité. A partir de ce moment une lueur d’espoir s’est remise à briller dans ma tête. Fin juillet, j’ai vu le Dr Brugada et suite aux tests à l’effort, il semblait qu’il y avait encore une chance que je rejoue. A condition de me faire implanter un défibrillateur. Sans hésiter, j’ai tout de suite dit : – OK, mettez-moi cet appareil !

Le 28 août, je suis passé sur le billard, et lorsque je me suis réveillé, la douleur était terrible. Les chirurgiens m’expliquèrent qu’ils avaient dû étirer mes abdominaux des deux côtés parce qu’il n’y avait que très peu de place et qu’ils avaient eu du mal à installer le défibrillateur. J’étais très désagréable, agressif même. Je n’arrivais pas à dormir, à me coucher convenablement et à marcher normalement. Pendant trois semaines, je me suis gavé d’antidouleurs.

Après 5 jours d’hospitalisation, je suis rentré à la maison. C’était justement le dimanche du match à domicile contre le Standard et je ne voulais pas rater cela. Lorsqu’on vit du football, l’envie d’être présent est très grande car on sait que cela va nous donner un ballon d’oxygène. Dans des moments pareils, c’est la confiance des amis, de la famille, des coéquipiers et du staff technique qui te porte. Sans ce soutien, j’aurais passé des moments vraiment très déprimants. Rien que de penser à l’idée que les batteries d’un défibrillateur doivent être rechargées tous les six à sept ans ne me réjouit pas mais c’est vital. Je suis redevable à la science d’être toujours là aujourd’hui.

Le premier mois après l’opération, je recevais tous les jours des décharges en guise de tests, parfois même deux fois par jour. Au début, le simple fait de marcher faisait battre mon c£ur à 150 pulsations/minute. Mon retour à la compétition était planifié pour janvier de cette année mais en décembre je suis déjà monté au jeu contre Westerlo. Je me sentais super bien. J’étais comme un enfant auquel on donne une sucette. Contre Anderlecht j’ai également livré une bonne prestation, mais à ces bons moments a suivi un creux de cinq semaines. Ensuite, je suis tout doucement revenu dans le parcours, mais je n’étais pas constant. « 

Réfléchir à la mort

 » Ce n’est que lorsque l’on est seul le soir dans son lit, seul avec le silence, que l’on se rend pleinement compte de ce qui s’est passé. C’est alors qu’on se dit : c’est incroyable, j’ai été mort pendant un instant, la chance était de mon côté. On essaie de se refaire le film mais c’est très difficile. On essaie très vite d’oublier. Parfois les sentiments reviennent. Quand on autorise son esprit à y réfléchir, on se demande ce qu’il adviendrait si on n’était plus là. Lorsque j’essaie de me mettre dans cette situation, j’éprouve des difficultés. Les gens ne réfléchissent que très peu à la mort, mais je trouve que cela vaut la peine d’y penser de temps à autre. Il est très confrontant de ressentir intensément le fait de devoir lâcher tout ce qui vous rattache à la vie. Cela me fait en tout cas réfléchir à propos de pas mal de choses.

Avant je n’étais pas du tout croyant mais après tout ce qui s’est passé je ne suis plus si sûr. Je me dis parfois qu’il y a peut-être quelque chose… D’abord ce contrôle du c£ur par le club en début de saison, ensuite le verdict des médecins de l’hôpital qui m’ont dit que je n’avais qu’une seule option : arrêter. Puis le contact avec le Dr Brugada grâce à des coéquipiers, sa proposition de placer un défibrillateur, ma décision de le faire et finalement ce minuscule appareil qui me sauve la vie. Quand je repasse ce scénario, je me dis que cela n’est quand même pas arrivé tout seul ? Je me retrouve presque mort, allongé sur le sol, je reçois une décharge de 700 volts et je me relève comme si de rien n’était. C’est comme dans un film !

Ces événements m’ont changé en tant que personne. Je profite de la vie beaucoup plus qu’avant. J’étais souvent mécontent ou en train de râler. A présent je suis plus ouvert à ce qu’il m’est donné à vivre. Je sors et je ris davantage. Et je sais maintenant quels sont mes vrais amis, ce qui n’est pas négligeable. Alors pourquoi devrais-je me plaindre ?

Tous les six mois je dois me rendre au contrôle pour voir si ma déviance cardiaque ne s’est pas intensifiée. Après le match contre l’Antwerp tout a été à nouveau vérifié et il s’est avéré que mon c£ur n’avait pas évolué négativement en un an. Tout est donc en ordre, le feu est au vert. A chaque repas je dois simplement prendre du Lisinopril, un médicament qui baisse la tension artérielle et améliore la fonction de pompage du c£ur, pas plus que cela.

J’ai pris l’habitude de téléphoner de la main droite, pour ne pas tenir mon gsm trop près de mon c£ur. Sinon, dans les magasins il est conseillé de ne pas rester entre un portique antivol. Je possède également toujours sur moi une carte qui indique que je suis un patient avec des problèmes cardiaques et qui me permet d’éviter le scanner de sécurité par exemple dans les aéroports. Mais lors de mes dernières vacances en Turquie, il a fallu le temps avant que les officiers de douane aient compris mon cas.

Je pense être à l’abri de tout accident fatal grâce à mon défibrillateur. Sans cet engin vous auriez dû me rendre visite au cimetière pour cette interview. Je ne me sens pas victime. Au contraire. Je suis heureux d’avoir reçu cette deuxième chance de la vie. « 

par christian vandenabeele

« Je pense être à l’abri de tout accident fatal grâce à mon défibrillateur. »

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