» Pendant 15 ans, j’ai fait l’effort de rester dans le foot « 

L’ancien Diable Rouge évoque la faillite du football belge, l’hypocrisie du milieu et les dérapages actuels.

Quelques chevaux en pâture dans la banlieue de Charleroi. Des photos au mur. Quelques souvenirs de ses exploits sportifs, quelques clichés des concours hippiques de sa femme et surtout des photos de ses deux filles. Le Soulier d’Or trône encore sur la cheminée. L’accueil est toujours chaleureux. Philippe Albert est comme cela. Le ton est direct mais transpire l’honnêteté. Après avoir cherché sa voie une fois sa carrière terminée, l’ancien défenseur de Charleroi, Malines, Anderlecht, Newcastle et Fulham a trouvé sa stabilité.

En plus de votre travail de consultant pour BeTV, vous travaillez toujours au marché vespéral pour un grossiste de fruits et légumes ?

Philippe Albert : Oui. C’était important pour moi de travailler. Surtout par rapport à mes frères et mon père, qui a bossé 36 ans à l’usine, à Bouillon. Je savais que cela ne leur aurait pas plu de savoir que je ne faisais rien, que je glandais toute la journée et que je faisais des conneries à gauche et à droite. J’ai préféré prendre le taureau par les cornes et trouver du boulot. Je ne savais pas si cela allait me convenir car je n’y connaissais rien en fruits et légumes. Mais ça fait neuf ans que je suis là et je pense que mes patrons sont contents. Sans quoi, ils m’auraient viré depuis longtemps. On parle souvent de reconversion mais c’est quoi une reconversion réussie ? Un gars qui se lance dans le métier d’entraîneur et qui fait dix clubs en dix ans ? Pour moi, il a raté sa reconversion. Moi, ça fait neuf ans que je travaille pour un patron et je pense l’avoir réussie.

Parlons football… On en revient au point de départ. Etiez-vous un partisan de la réforme ?

Non, pas vraiment. Il faut parfois se baser sur les championnats étrangers où la formule des playoffs n’a jamais duré. On a eu le mérite d’essayer et on en revient à l’ancien système, beaucoup plus adapté.

Pourquoi ?

Je pars du principe qu’il faut 18 clubs et pas 16. Ce système donne quatre matches en plus, tant pour le titre que pour le maintien. On veut interdire les petits clubs mais je vois qu’Eupen a effectué les travaux nécessaires et se débrouille quand même pas mal.

Comment jugez-vous l’Anderlecht actuel par rapport à celui que vous avez connu ?

A mon époque, on vivait déjà dans l’ombre de l’équipe des années 70, celle des Rensenbrink et Vercauteren, qui faisait partie du top européen. Nous, on n’est pas parvenu à ce niveau-là ! On jouait la Ligue des Champions, on avait battu des équipes comme Porto pour se qualifier, on avait un bon groupe mais en rien comparable à celui de la génération précédente. Depuis les années 70, Anderlecht connaît un déclin total. Comme le football belge d’ailleurs.

 » Jacobs est un travailleur de l’ombre. Il n’est pas fait pour le premier plan « 

Et que pensez-vous de l’équipe 2010-2011 ?

Se faire éliminer par le Partizan, perdre à Split, ce sont des contre-performances lamentables, il faut dire ce qui est. A une époque, l’entraîneur passait à la trappe avec des résultats pareils. Luka Peruzovic a été limogé alors qu’on comptait six points d’avance en championnat. Tout cela parce que le jeu n’était pas assez attractif aux yeux de certaines personnes.

Mais le plus aberrant, c’est de virer Peruzovic qui est en tête ou de maintenir Jacobs ?

Faire sauter Peruzovic, évidemment. Mais les dirigeants n’hésitaient pas, pour le bien du club, à prendre des décisions impopulaires. Maintenant, c’est plus mielleux. Tant mieux pour Jacobs, que j’ai connu comme entraîneur des Espoirs et adjoint de Guy Thys et qui est une personne très sympathique. Mais ailleurs, en Europe, avec des éliminations contre Bate Borisov ou le Partizan, il ne continuerait pas. C’est certain.

Il manque un fait d’armes européen, plus qu’un nouveau titre, à Jacobs pour faire oublier ces échecs ?

Je ne sais pas. Cela m’a déjà étonné qu’il accepte le poste de T1 à Anderlecht. C’est un gars qui doit travailler dans l’ombre. Il n’est pas fait pour le premier plan. Il n’est pas assez costaud psychologiquement. Oui, il a été champion la saison dernière mais pour Anderlecht, un titre sur trois, ce n’est pas assez.

Que manque-t-il à Anderlecht ?

De la régularité. Des leaders. Du talent.

Qui a plus de talent, en Belgique ?

Au niveau individuel, le Standard est mieux armé. Mais il y a d’autres problèmes là-bas.

Lesquels ?

Beaucoup trop court au niveau défensif. Ils laissent beaucoup trop d’occasions à l’adversaire. Ils battent Saint-Trond 1-0 mais si c’est 2-4 à la mi-temps, c’est le même prix. Ils ont également aligné trois gardiens depuis le début du championnat. Ce n’est pas une forme de régularité. On fait confiance à Van Hout qui ne démérite pas, puis on remet Blazic. Heureusement, il y a des types comme Defour ou Carcela. Dans un bon jour, Carcela est le meilleur joueur belge de D1 mais dans un mauvais jour, le Standard joue à dix. Witsel revient bien dans le parcours. Tchité est un buteur d’exception. Offensivement, ils sont parés.

Et l’entraîneur ?

Ça m’a étonné qu’il accepte de redevenir entraîneur. Il aurait déjà dû être champion s’il avait battu Roulers. Et quand le public de Sclessin est contre toi, cela devient très difficile. Mais bon, c’est un brave type, qui aime son club et qui, plutôt que de le laisser dans la merde, a bien voulu revenir. Cela prouve qu’il a du caractère. Personnellement, je n’en connais pas beaucoup qui auraient accepté. Il a une certaine forme de sympathie qui fait que les joueurs l’aiment bien.

C’est une force suffisante ?

Oui. Dans un club comme le Standard, quand il y a une ambiance chaleureuse joueurs-entraîneur, il y a moyen de faire quelque chose.

Est-ce qu’un club qui a fêté deux titres peut dire qu’il reconstruit ?

Ce n’est pas un si mauvais discours. Cela enlève la pression des épaules des jeunes. C’est faire profil bas, peut-être pour mieux dribbler Anderlecht en fin de championnat. Et puis, je crois qu’on a tiré le maximum de certains joueurs qui ont évolué en surrégime pendant deux ans. On a demandé trop à des garçons comme Witsel ou Defour. De Camargo et Mbokani n’avaient plus le même rendement.

Bruges…

( Il coupe) Bruges, c’est méconnaissable. On parle de Charleroi comme du club à problèmes de ces dernières années, mais pour moi, Bruges est dans la même situation. Il a perdu son identité en optant pour des joueurs techniques. A Bruges, cette touche technique ne fonctionnera jamais. Ce n’est pas l’esprit de la maison.

Pourquoi ?

Parce que ce n’est pas la technique qui a façonné ce club. Ce sont des joueurs comme Franky Van Der Elst, Jan Ceulemans, Julien Cools, Fons Bastijns, Jean-Pierre Papin, Frank Farina, Daniel Amokachi, Gert Verheyen. Il n’y a pas un tacticien là-dedans et tu as vu les résultats qu’ils ont faits. Et je ne parle même pas des Luc Beyens, Alex Querter, Timmy Simons, Lorenzo Staelens. Ils sont moins talentueux que ceux alignés pour le moment mais ils forçaient des résultats. Ce n’est pas une coïncidence si cela va moins bien à Bruges depuis la retraite de Verheyen.

Un mot sur Charleroi…

Pffff. Je regarde leurs résultats toutes les semaines mais cette équipe manque de complémentarité, de talent, d’ambiance, de tout. En dix ans, les Bayat ont réussi à redresser la situation. Mais on n’arrête pas de saigner le club sans penser à le renforcer. Le président n’est pas assez présent au club. Arrivera un jour où il va falloir débourser si on veut avancer.

 » Quand j’ai signé à Anderlecht, je me voyais mal jouer au Standard. Et Preud’homme, Bodart ou Wilmots n’auraient jamais signé à Anderlecht « 

Que pensez-vous du feuilleton Van Damme ?

C’est le milieu du foot. On ne devrait même pas être étonné. Cela arrive toutes les semaines. Regardez Tevez qui joue à Manchester United, qui embrasse le blason et qui deux semaines après se retrouve à City ! C’est se foutre de la gueule du monde. Moi, à partir du moment où j’avais signé à Anderlecht, je me voyais mal jouer au Standard. C’est ma façon de voir les choses. L’inverse était vrai également. Preud’homme, Bodart ou Wilmots n’auraient jamais signé à Anderlecht. C’était peut-être une certaine forme de naïveté de notre part mais cela nous permettait au moins de rester droits dans nos bottes.

Aujourd’hui, il n’y plus cette barrière ?

Il n’y a plus aucune limite. A partir du moment où le football est médiatisé à outrance, où l’argent coule en permanence de façon hypocrite, comment voulez-vous instaurer des barrières ? Je ne voudrais pas faire carrière à l’heure actuelle. Et pourtant, il y a plus d’avantages. J’aurais préféré arrêter que faire du cinéma.

L’éternel débat de l’argent dans le football…

Plus que l’abondance d’argent, c’est la place que celui-ci prend dans les discussions. Avant, on ne dévoilait pas les sommes, les salaires, etc.

Mais c’est encore plus hypocrite…

Non, ce n’est pas de l’hypocrisie, c’est du respect d’autrui. Il y a des gens qui boutent pendant 50 heures et qui n’arrivent pas à nouer les deux bouts en fin de mois. A quoi ça sert de mettre sur la place publique les salaires ?

Vous trouvez certains salaires indécents ?

Non. A partir du moment où on les offre aux athlètes, c’est logique de les accepter. Par contre, on ne devrait pas leur offrir de tels salaires ! Revenir à une base plus saine. Mais je ne suis jaloux de personne, hein. Je suis arrivé à évoluer dans des clubs comme Newcastle ou Anderlecht où il avait moyen de très bien gagner sa croûte.

Est-ce que c’est le tournant du foot-business à outrance qui vous a poussé à prendre du recul à la fin de votre carrière ?

Cela ne fait que quatre ou cinq ans que je recommence à goûter au monde du football. J’ai eu besoin de décompresser. Je suis resté, au début des années 2000, un an sans rien faire. Je ne m’occupais plus de rien. Pendant 15 ans, j’ai fait l’effort de rester dans un milieu qui n’était pas fait pour moi. Je n’avais pas d’autres alternatives puisque je n’avais pas réalisé de grandes études. J’ai mordu sur ma chique pendant 15 ans et je crois que personne n’a de reproches à me faire dans les différents clubs par lesquels j’ai transité. Après, j’ai tourné la page. Le football prenait une tournure qui ne ressemblait pas à l’image que je m’en faisais. Je me voyais mal côtoyer des gens que je ne voulais pas voir tous les jours. Je pars du principe que quand il y a un troupeau, il vaut mieux s’en éloigner. J’ai préféré vivre ma vie d’homme normal. Ou presque normal, car je n’ai pas que des qualités. Demandez à ma femme !

C’était quoi le football que vous aimiez ?

Quand j’étais gamin, j’étais beaucoup moins doué que les autres et je regardais les matches européens du Standard, d’Anderlecht et de Bruges avec les yeux grands ouverts. Jamais, je ne m’imaginais un jour jouer dans ces stades. Alors, quand cela m’est arrivé, j’en ai profité. En fait, cela n’avait rien à voir avec mes rêves de gamin. Une fois qu’on connait les coulisses, le mythe s’écroule.

Finalement, que vous a donné le football ?

Beaucoup de choses, quand même. Une certaine aisance financière. Il m’a permis de quitter Bouillon, même si j’aurais pu y vivre, et de découvrir d’autres régions, comme le Pays Noir, ou le nord de l’Angleterre où j’ai retrouvé la même chaleur qu’à Charleroi. Il m’a permis de parler flamand grâce à mon transfert à Malines. Et avec le recul, le football ne m’a pas tellement coûté car finalement, j’ai pris les bonnes décisions au bon moment.

Si on vous proposait de retourner au stade, vous iriez où ?

A Malines. Pour l’ambiance et les valeurs. Les supporters n’ont jamais laissé tomber le club. Quand j’y étais retourné avec Charleroi, j’avais reçu un accueil extraordinaire.

PAR STÉPHANE VANDE VELDE – PHOTOS: REPORTERS/ GOUVERNEUR

 » Il y a des gens qui boutent pendant 50 heures et n’arrivent pas à nouer les deux bouts. Par respect, ne donnez pas les salaires des joueurs ! « 

 » Depuis les années 70, Anderlecht connaît un déclin total. Comme le foot belge d’ailleurs. « 

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