PEAU D’ÉLÉPHANT

Henri Michel a été plus fort que la critique : il est toujours en poste pour le premier Mondial des Ivoiriens.

Le Caire, Hotel Mövenpick, fin janvier 2006, Coupe d’Afrique des Nations. Il est presque minuit. Dans le jardin, la bande à Henri a troqué le Ricard contre le whisky. Le lendemain, il aura toujours la bouche pâteuse mais Henri Michel, le sélectionneur de la Côte d’Ivoire, tient le coup. Ses camarades, le préparateur physique et son adjoint, partagent ce moment avec lui. Tous trois sont provençaux, comme le trahit leur accent.  » Une fois qu’on a accepté une série de particularités de l’Afrique, on finit par vivre à l’africaine. Il n’y a pas que le côté désagréable de la situation « , sourit Gérard Gili.

Gili, ancien entraîneur de l’Egypte, de Bordeaux, de Marseille, de Montpellier, de Bastia et trois fois champion de France, s’est coulé dans le rôle d’assistant d’Henri Michel. Il a été engagé en août de l’année dernière pour sauver le sélectionneur. Michel avait beau multiplier les essais et les changements, il ne parvenait pas à imprimer sa marque à l’équipe. L’opinion publique réclamait son limogeage, mais avec la Coupe d’Afrique et la Coupe du Monde en vue, la Fédération a jugé préférable de le flanquer d’un bon adjoint.

 » Le football africain reste de la danse « , expliquera Henri Michel quelques jours plus tard.  » Nous avons donc adapté le système au sein de l’organisation pour pouvoir progresser. Nous avons un cadre, les qualités requises pour pouvoir effectuer des changements avec succès, mais c’est surtout la continuité du jeu qui était intéressante à la Coupe d’Afrique « .

S’il a survécu à l’opinion publique, Henri Michel n’a toutefois pas résolu tous les problèmes.  » Le point faible de l’Ivoirien, c’est qu’il joue parfois pour jouer. Pour le plaisir. Ce n’est pas toujours compatible avec la dureté. La concentration doit être meilleure, surtout en défense. Ils doivent acquérir plus d’envie de réagir et nous devons mieux maîtriser le jeu « .

 » Guillou est excessif  »

L’Académie fondée par Jean-Marc Guillou à l’ASEC Mimosa, le plus grand club du pays, est une épée de Damoclès au-dessus de la tête du coach national. Depuis que Guillou, qu’il continue à appeler son ami, a démoli la sélection dans les journaux en ajoutant que la Côte d’Ivoire serait championne du monde si 11 Académiciens étaient titulaires, les supporters observent d’un £il plus que critique le groupe d’Henri Michel.  » Je ne compte pas le nombre d’Académiciens qui sont dans le noyau « , explique Michel.  » Pour éviter de faire des différences. Le problème est que Jean-Marc Guillou est excessif. Dans ses propos comme dans sa formation. C’est Jean-Marc. Mais nous n’allons plus le changer, hein !  »

Henri Michel admet néanmoins que ceux qui ont été formés au sein de l’Académie ont quelque chose en plus.  » En regardant l’entraînement, on remarque leur technique « . Mais la formation n’est pas dépourvue de lacunes.  » Comme Jean-Marc lui-même le démontre. Il leur demande de bien jouer mais cela ne suffit pas toujours pour l’élite. Je veux dire par là que le mental ne suit pas toujours. Ils jouent davantage pour s’amuser que pour gagner. C’était sa faiblesse et c’est aussi celle de ses joueurs. Ils commettent énormément de fautes par manque de concentration. Sur le terrain, ils sont aux prises avec une forme négative de stress. On s’épand toujours en éloges sur la Côte d’Ivoire mais nous n’avons encore rien prouvé sur le terrain « .

Henri Michel sait pourquoi. Il a à sa disposition un somptueux appartement à Abidjan, la capitale de la Côte d’Ivoire, mais il s’y fait rare, à cause des troubles politiques. Il n’y habite qu’à l’occasion des matches à domicile.  » Les joueurs ont le sentiment que tout le pays va se calmer s’ils gagnent un match mais cela ne durera que quelques semaines avant que les troubles ne reprennent le dessus. Les joueurs l’apprennent quand ils téléphonent à la famille restée au pays. Aucun joueur ne peut être heureux, sachant que sa famille est en difficulté et que le pays est paralysé. S’entraîner et jouer leur permet de faire le vide un moment. La situation de la Côte d’Ivoire est une grande source de motivation pour nous. Parfois tellement grande qu’elle a un effet pervers « .

Touc, touc ! Pouf !

Un préposé à l’ascenseur arrive, en costume doré, une enveloppe à la main, pendant que Yéo Martial s’exprime d’un ton feutré, comme s’il s’agissait d’informations confidentielles. Martial était l’entraîneur principal de l’équipe ivoirienne qui a gagné la Coupe d’Afrique en 1992. Il est maintenant directeur technique de la Fédération, un poste qui lui permet d’utiliser ses aptitudes analytiques.

A la demande de Jacques Anouma, le président fédéral, il a organisé le scouting des jeunes talents, ces dernières années, à l’intérieur du pays, privé de championnat et dévasté. Quatre fois par an, les sélectionneurs des deux régions rurales et des deux régions des capitales dressent un bilan et organisent des tournois de jeunes au sein desquels l’ASEC Mimosa peut former une formation à part. On en retire une sélection nationale.  » Nous disposons ainsi d’équipes nationales des – 13 ans et des – 15 ans, avec beaucoup de joueurs du nord, ainsi que d’équipes de – 17 ans et de – 20 ans, que nous préparons pour les Jeux Olympiques « , explique Martial.

Quel est le niveau de l’équipe nationale A ?

Yéo Martial : Elle joue bien ses matches amicaux mais elle cale dès qu’elle est sous pression. Matches amicaux contre l’Italie ou le Cameroun : touc, touc ! Mais dès qu’il y a un enjeu : pouf ! Les formations africaines qui ont du succès dans les tournois sont généralement celles qui prennent des points à domicile pendant les qualifications et parviennent donc à s’imposer sous pression. Le Nigeria ressent constamment cette pression. La Côte d’Ivoire aussi. Nous aurions pu vaincre le Cameroun si nous avions disputé ce match sur terrain neutre. Mais une pensée trotte dans la tête de nos joueurs : si nous perdons, que vont penser les gens ? En Afrique, la mentalité varie très fort d’un pays à l’autre. La Tunisie est un peu un Etat policier, contrôlé. Donc, on y a besoin de quelqu’un qui agit ainsi. Les Camerounais se battent toujours pour obtenir quelque chose, c’est dans leur nature. Les Ivoiriens sont plus pondérés : Abidjan est cosmopolite, plus libérale. Les gens peuvent se révolter, nous tenons à notre liberté. Nous nous crispons quand on nous place sous pression.

Pourquoi Henri Michel a-t-il éprouvé autant de mal à trouver la bonne composition d’équipe ?

Depuis le début, la défense pose problème. Les réglages sont en net progrès mais au début, nous étions incapables de préserver nos filets. L’entraîneur cherche le meilleur duo central. La Coupe d’Afrique devait l’y aider. Kolo Touré est un très bon joueur, mais qui va le mieux à ses côtés ? C’est ça, le gros problème. Toutes les équipes jouent en ligne et en zone derrière. Il faut donc deux défenseurs centraux qui aient à peu près le même niveau. Or, il n’est pas facile d’en trouver un qui ait le niveau de Kolo Touré. En Belgique, Didier Zokora avait les qualités requises dans l’axe de la défense, mais en Côte d’Ivoire, nous préférons l’aligner dans l’entrejeu pour récupérer le ballon et créer des ouvertures. Car n’oubliez pas que Zokora, malgré quelques fautes, a toujours bien joué en défense mais a été formé à l’Académie à l’époque où on procédait encore avec un libero. C’est pour ça que nous l’alignons dans l’entrejeu : s’il y commet des erreurs, on peut toujours les rattraper.

Quelle est l’importance de l’Académie de Jean-Marc Guillou pour le football ivoirien ?

Avant, il n’y avait pas de formation similaire en Côte d’Ivoire, pas plus qu’il n’y avait de championnats de jeunes. Seul l’ASEC avait un centre de formation et il a constitué un excellent exemple. Il a démontré qu’il pouvait repérer et former des gosses de la rue. Il y a maintenant plus de 300 centres de formation dans le pays. Certains sont mieux structurés que d’autres mais en tout cas, le pays est bien quadrillé. En gagnant les Jeux de la Francophonie sans les joueurs de l’ASEC, nous avons prouvé qu’il y avait des talents partout. Néanmoins, à l’image de l’Académie de l’ASEC, les Ivoiriens restent nostalgiques : ils veulent voir du beau football. Ce n’est pas évident au niveau de l’équipe nationale et j’ai rassuré Henri Michel. Elle s’entraîne quatre fois grosso modo avant un match puis ne se voit plus pendant deux ou trois mois. Il est donc impossible d’attendre quelque chose. C’est aussi pour cela que la Fédération a décidé de maintenir Henri Michel en poste malgré les critiques, l’année dernière. Nous voulions que le groupe s’exerce longtemps ensemble. Henri Michel travaille d’abord le mental puis il cherche la cohésion secteur par secteur. Je remarque qu’il accorde beaucoup d’attention aux automatismes, aux joueurs les mieux à même d’occuper chaque poste. Cela fonctionne mieux, surtout à gauche. Il ne faut pas non plus oublier que seule une petite partie de l’équipe a déjà participé à la Coupe d’Afrique en 2002 et que les autres disputaient leur premier grand tournoi. A la Coupe du Monde, comme le Sénégal en son temps, nous devons pouvoir atteindre les quarts de finale. Cela rendrait de l’espoir au pays car le football doit réunir les gens.

L’avenir

Le 15 mai dernier, le président fédéral Jacques Anouma a remis les clefs du Centre Technique National, à Bingerville, à 15 kilomètres d’Abidjan. Le CTN, un projet Goal 1 de la FIFA, comprend des bureaux pour le sélectionneur, son assistant et le directeur technique, un terrain avec une belle pelouse protégée par des clôtures et deux vestiaires ultramodernes. Le président espère y adjoindre bientôt des logements, une piscine olympique et une allée d’accès.

Là, l’âme ivoirienne est omniprésente, grâce aux couleurs blanche, orange et verte. L’avenir footballistique du pays y prend progressivement forme. Lors de l’inauguration, Jacques Anouma a déclaré :  » J’espère que d’ici quelques années, les nouveaux Didier Drogba, Yéo Martial et Henri Michel sortiront d’ici « .

RAOUL DE GROOTE, ENVOYÉ SPÉCIAL EN ÉGYPTE

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