« Pauvre frère de Deschacht ! « 

Ses coups de gueule, sa bougeotte, son bonheur chez les Ch’tis : Momo crache les morceaux.

Mons : petit club, petite équipe, petit budget, petits salaires ? Ce n’est pas frappant quand on se balade sur le parking du stade. Les belles caisses se bousculent. On y trouve notamment quelques allemandes de derrière les fagots. Dont celle de Mohamed Dahmane (26 ans), la star du noyau. Elle le fait voyager chaque jour entre Mons et Maubeuge, juste de l’autre côté de la frontière, chez les Ch’tis. C’est son bled, son univers, son Amérique à lui.

Tu as commencé le foot à Hautmont, près de Maubeuge. C’est là qu’il y a eu une terrible tornade au mois d’août !

Mohamed Dahman : Oui, j’ai grandi là-bas et mes parents y habitent toujours. C’était canon. Près de 700 maisons ont été touchées, il y en a des dizaines qui n’étaient plus qu’un gros tas de briques après le passage de la tempête. Et il y a eu 4 morts. Mes parents étaient en vacances en Algérie et leur habitation n’a pas été touchée. Mais quel spectacle de désolation ! J’ai de la famille qui a beaucoup perdu dans l’aventure. Tous des gens qui n’avaient pas besoin de ça parce que Hautmont, c’est typiquement une cité ouvrière, avec un niveau de vie très bas. Ce soir-là, la police m’a appelé pour me dire que ma deuxième voiture, qui était à Hautmont, avait été emportée par la tornade. Il y a aussi eu des dégâts à Maubeuge. Des animaux dangereux se sont échappés du zoo. Une dame a eu la peur de sa vie quand elle a découvert un bébé panthère dans son jardin…

Explique-moi ton attachement à cette région. Ce n’est pas la Côte d’Azur…

Je sais, mais l’être humain que je suis a été construit là-bas. Tout est gris à Maubeuge : la météo, les gens, l’économie, les perspectives. On y parle plus de chômage que de travail. Mais j’ai besoin d’être là-bas pour me sentir bien dans ma tête.

Tim Smolders a failli faire une dépression dans cette région !

Je comprends. Quand on a vécu dans la belle campagne autour de Bruges, on s’habitue difficilement aux ghettos de Maubeuge. C’est un centre-ville au milieu d’une quinzaine ou une vingtaine de quartiers. Comparer Bruges et Maubeuge, c’est comme comparer le centre de Paris et les rues de Zulte…

On va parler de foot. De ton copain Olivier Deschacht pour commencer ?

J’attends toujours qu’il m’appelle pour aller au resto. C’est ce que la direction de Mons a suggéré. Mais c’est mal barré.

Normal : tu l’as démoli dans la presse après Mons-Anderlecht.

Je suis vraiment étonné des proportions que mes déclarations ont prises. Mais bon, j’ai bien nourri les journalistes après ce match. Quand j’ai dit que c’était le plus mauvais défenseur d’Anderlecht, je ne visais pas spécialement son niveau de jeu mais son comportement. Quand tu es le capitaine d’un club pareil, tu dois être irréprochable. Anderlecht, c’est une institution pour moi. C’est le seul club belge que je connaissais quand je jouais en France. Deschacht n’a pas visé que ma mère, il s’en est aussi pris à ma grand-mère. La malheureuse, je ne l’ai même pas connue ! C’est lamentable. Il m’a traité de clochard. D’abord, j’ai pensé qu’il faisait allusion à ma barbe de quelques jours et à ma coiffure un peu négligée en ce moment. Après, il a ajouté : -Ferme ta gueule, tu n’es qu’à Mons. J’ai demandé à l’arbitre d’intervenir, il m’a dit qu’il n’entendait rien. Je me sentais seul. J’ai failli craquer, me rebeller. Ma chance, c’est que le quatrième arbitre l’a vu et m’a conseillé de ne pas réagir. Deschacht a juré sur la tête de son frère qu’il ne m’avait pas insulté. Je ne voudrais pas être à la place de son frère !

 » Dans les petits clubs, le ciel est toujours gris « 

On punit moins facilement un joueur d’Anderlecht qu’un gars de Mons ?

Evidemment. C’est flagrant. Mons est un petit club qui se construit. Pour y arriver, il faudra être patient et supporter beaucoup de choses, dont des décisions arbitrales injustes. Parfois, j’ai l’impression que nous ne pratiquons pas le même sport que le Standard ou Anderlecht. Comme si nous n’étions pas les mêmes êtres humains que les joueurs de ces clubs. Souviens-toi de l’affaire Sergio Conceiçao : il lance son maillot à la tête de l’arbitre mais on arrive encore à trouver du positif dans son geste. C’est fou ! Et quand j’attaque Genk qui m’a obligé à m’entraîner avec des gamins, c’est encore moi le fautif. Alors que j’avais tout filmé. C’est difficile de se faire accepter quand on joue dans un petit club comme Mons. Les commentaires sont vite négatifs. Ici, le ciel est toujours gris.

On te provoque souvent sur le terrain ?

En Wallonie, c’est rare. En Flandre, c’est fréquent. Là-bas, je sais que je suis un sale Arabe. On attend que je pète un câble, mais je reste calme. Mes stats le prouvent : je prends très peu de cartes, et quand j’en reçois, c’est surtout pour des simulations.

Qui est le défenseur le plus violent ?

Marcin Wasilewski est le numéro 1, le plus dur du championnat. Il joue des coudes sans arrêt. Mais ce n’est que de la violence physique.

Et le gentleman du championnat ?

Mohamed Sarr est au-dessus de la mêlée. Il fait son match, joue ses duels proprement, ne provoque pas. Jean-Philippe Caillet est aussi un exemple à suivre.

Après le match à Courtrai, c’est avec les supporters de Mons que tu as eu des problèmes !

Qu’ils chantent Bougez vos couilles, ça ne me pose pas de problème. Mais quand ils visent ma famille, je ne suis plus d’accord. Je suis donc allé trouver les deux gars qui m’avaient insulté. On s’attend à être charrié par les supporters adverses, mais pas par les siens, quand même.

Les chiffres turcs qui tuent

En janvier, tu es revenu de Genk et tu as signé pour trois ans et demi. Mais cet été, tu voulais de nouveau partir ! Tu es l’instable de service ?

Il faut remettre ma signature à Mons dans son contexte. Genk m’obligeait à m’entraîner avec un noyau Z et le coach des -14. Je devais prendre une décision très vite car on a maximum trois jours après les faits pour invoquer une faute grave. Je savais que Mons était le seul club où je pouvais retrouver rapidement du temps de jeu et de la confiance, alors j’ai signé sans hésiter. Mais le président m’avait promis qu’on pourrait parler de mon départ dès la fin de la saison si une bonne affaire se présentait. Ce fut le cas. Plusieurs clubs étrangers sont venus me voir. Et j’ai tranché pour Eskisehirspor, en Turquie. En fait, c’était indirectement le Besiktas qui me transférait, mais comme sa direction pouvait difficilement justifier devant ses supporters et ses sponsors le transfert d’un gars venant d’un petit club belge, il avait été convenu que j’irais dans un premier temps à Eskisehirspor. Les deux clubs collaborent. L’entraîneur et le directeur sportif du Besiktas m’avaient repéré dans notre match contre le Standard : ils s’étaient déplacés pour Milan Jovanovic mais c’est pour moi qu’ils avaient eu un coup de c£ur.

On s’éloigne du sujet : tu voulais de nouveau partir alors que tu avais été si heureux de revenir à Mons six mois plus tôt…

Il y a les chiffres qui tuent. J’aurais gagné 500.000 euros nets par an, hors primes. Un contrat garanti par la FIFA, donc j’aurais été sûr de toucher mon argent. J’ai montré le contrat aux dirigeants de Mons, ils ont rencontré les présidents des deux clubs turcs à Bruxelles. Et là, ils ont dit qu’il était hors de question que je parte. Moi, je savais que je n’aurais plus jamais une occasion pareille, alors je l’ai très mal pris. Je n’étais pas bien dans ma tête et j’ai carrément demandé l’autorisation de rester chez moi pour faire le point. J’ai raté une petite semaine d’entraînement, il fallait que la pilule passe.

Ce n’était pas la première fois que tu vivais un transfert compliqué. Quand tu avais quitté les Francs Borains pour Mons, ça avait déjà coincé. Idem quand tu as claqué la porte à Genk.

C’était déjà pareil quand j’étais en France. Il faut croire que tous mes clubs s’attachent à moi. (Il rigole). Ou alors, ils me voient plus beau que je ne le suis. Quand j’étais à son centre de formation, Lens a demandé plus de 5 millions pour mon transfert dans un club espagnol. Du grand n’importe quoi. Et deux ans plus tard, j’étais au chômage.

Genk te réclame 750.000 euros pour rupture de contrat : tu as peur ?

Non, leur action peut aussi se retourner contre eux. Le tribunal risque de les condamner à me payer tous mes salaires jusqu’au terme du contrat que j’avais là-bas.

 » En Flandre, on me surnomme le Démon « 

Si tu étais resté là-bas, tu y serais peut-être aussi bon et populaire que Wilfried Dalmat aujourd’hui au Standard…

Si je vois les choses comme une personne extérieure, je dis : -Dahmane aurait dû mordre sur sa chique et il aurait explosé à Genk après le C4 de Broos. Mais non, c’était impossible. Il fallait que je m’en aille très vite. Il y avait eu trop de trucs graves. Broos m’avait dit dès le premier jour que je ne serais jamais un de ses attaquants, qu’il m’utiliserait seulement dans l’entrejeu en attendant le retour de blessure de Thomas Chatelle. On m’a traité de pomme pourrie. Un journal flamand a publié une caricature sur laquelle j’étais crucifié. En Flandre, d’ailleurs, on me surnomme le Démon. On a voulu m’obliger à partir en prêt au Brussels. Je sais que rien n’aurait changé avec Ronny Van Geneugden : il entraînait la Réserve et refusait que je bosse avec eux.

Tu as des arguments chocs pour convaincre un entraîneur que tu es un attaquant de pointe et rien d’autre ?

Bien sûr. Depuis que je suis gosse, j’ai une vraie fascination pour tout ce qui est rectangulaire et je shoote dans tout ce qui traîne. Un rectangle, dans mon esprit, c’est un but. Un jour, je me suis fait démonter par mon père : j’avais expédié un obus par la fenêtre d’un local pour jeunes de ma cité. La vaisselle avait explosé. Je démarre vite, je suis rapide à la course, il n’y a qu’en zone de finition que je ressens des poussées d’adrénaline, j’aime sentir la pression qu’il y a autour d’un but, je ne suis pas grand mais j’ai un bon timing, je sais éliminer des adversaires. Donc, je revendique une place d’attaquant.

Mons demande à ses joueurs d’avoir un discours optimiste, des pensées positives : pas facile ?

Il faut rester réaliste. Mons est un club qui doit se battre chaque année pour son maintien. Aujourd’hui, on nous demande de nous mettre rapidement à l’abri. Nous avons commencé par un 3 sur 15. On peut atténuer en disant que nous avons eu un calendrier difficile, mais il ne faut pas fermer les yeux : c’est le bilan d’une équipe qui tourne mal. Je pourrais dire que tout est beau, tout est rose. Mais non. Des tensions dans le vestiaire ? Oui, il y en a. Et ce serait anormal qu’il n’y en ait pas quand le bilan est mauvais. Depuis le début du championnat, j’ai parfois l’impression qu’on a promis à certains joueurs une prime à la défaite. Il ne nous reste plus qu’une chose à faire. Ce que les supporters nous demandent. Bouger nos couilles !

par pierre danvoye

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