PAUL NEWMAN

Depuis 1950, tous les sélectionneurs italiens ont été critiqués : le 29e commissario tecnico n’échappe pas à la règle.

Le lendemain de la qualification pour les quarts de finale, le mardi 27 juin, MarcelloLippi acceptait que le public assiste à l’entraînement de la SquadraAzzurra, ce qui ne lui rendait pas le sourire pour autant. Les supporters le lui firent remarquer en lui lançant :  » Lippi, nous ne sommes pas comme les journalistes ; tu pourrais au moins nous saluer « . Le coach s’exécuta, leur fit un geste de la main et alors résonnèrent les premiers  » Marcello, Marcello !  »

Entre Lippi et la presse, si ce n’est pas la guerre ouverte l’entente n’est pas cordiale. Manifestement, cela dérange plus à l’étranger qu’en Italie. Ces dernières années, XavierJacobelli, directeur de la rédaction du quotidien généraliste de Florence, La Nazione, a multiplié les éditoriaux contre la fédération et critiqué ouvertement la gestion de son ex-président FrancoCarraro. Des pressions ont été exercées sur sa personne et c’est peut-être pour cela qu’il prend un air amusé quand il entend parler du différend actuel entre Lippi et la presse :  » Franchement, depuis la nuit des temps, la relation entre le commissario tecnico et les journalistes a toujours eu un parfum de soufre. Le pire moment reste 1982, l’année du titre mondial. Les joueurs n’apprécièrent pas certains articles et décrétèrent le boycott de la presse. Personnellement, je trouve ces querelles stériles. Elles ne rapportent rien et elles n’intéressent personne. Certainement pas le public pour qui la seule chose qui compte est la qualification pour le tour suivant. Lippi n’a pas voulu donner la composition de l’équipe face à l’Australie. Et alors ? C’est son droit. Ce n’est pas pour cela que les journaux ne vont plus paraître et les télévisions arrêter leurs programmes. Le problème, c’est quand il perd son calme et qu’il insulte les journalistes. Ça c’est inadmissible simplement parce qu’il s’agit d’une question d’éducation « .

Giuseppe Siragusa suit l’équipe nationale depuis 30 ans pour Il Giornale di Sicilia et ne s’émeut pas quand on parle de tensions :  » C’est une histoire vieille comme l’équipe nationale : le sélectionneur est toujours super attaqué. Seuls les hommes changent. Lippi est devenu le 29e coach de l’Italie et les jeunes journalistes, qui ont pris la place des anciens, se posent les mêmes questions. En acceptant le poste Lippi savait qu’il allait jouer dans un drôle de film. Logique, pour quelqu’un que l’on surnomme PaulNewman, vu sa ressemblance à l’acteur américain. Ceci dit je ne pense pas que ce soit propre à l’Italie. JurgenKlinsmann a été matraqué avant le Mondial et cela s’est tassé au fur et à mesure que l’Allemagne est montée en puissance. L’ambiance n’est pas plus sereine en France où RaymondDomenech n’est pas plus épargné que ne le furent Aimé Jacquet et Roger Lemerre. Quant à Sven-Goran Eriksson, il n’a jamais été accepté par l’Angleterre. Même le Brésil n’est pas épargné. Après une conférence de presse pendant laquelle on n’a cessé de le critiquer pour son obstination à titulariser le gros Ronaldo, Carlos Alberto Parreira s’est adressé à un proche. La télévision l’a filmé et a demandé à des spécialistes de la lecture sur les lèvres ce que le coach avait dit. Eh bien, je vous assure que ce n’était pas raffiné du tout « .

L’explosion avant l’Australie

Lors de la conférence de presse la veille du match contre l’Australie, Lippi a laissé transparaître une certaine nervosité. Surtout quand un journaliste étranger lui a demandé s’il n’y avait pas un problème avec GennaroGattuso, lequel, après le deuxième but contre la Tchéquie, est venu l’embrasser de manière assez énergique. Le coach italien :  » Cela ce sont les caresses de Gattuso. Il fait toujours comme cela : il vient vers le banc et donne un coup de poitrine pour montrer son bonheur, sa joie. Mais il le fait toujours avec cette grinta, grrr… « .

Les noms des personnes déférées dans le cadre du scandale qui a secoué le Calcio sont désormais connus. Les journalistes italiens ont traité le sujet en long et en large. En revanche, les journalistes étrangers reviennent souvent sur le sujet et interrogent Lippi sur la répercussion que peut avoir le scandale sur l’équipe nationale. Agacé, Lippi répond :  » En ce moment, il ne se passe rien de nouveau en Italie par rapport à ce qui a été acté depuis un bon mois. Les seules tensions ne concernent que le Mondial. Vous, les étrangers, vous pensez que les joueurs sont ici en train de penser à ce qui s’est passé et à ce qui pourrait se passer. Eh bien ce n’est pas comme cela. Les joueurs ont l’occasion de disputer une Coupe du Monde et ils ne la laisseront pas passer. Les problèmes, ils les affronteront lors de leur retour au pays « .

La tension va encore monter d’un cran quand on lui demandera pourquoi il a opté pour un dispositif avec un seul attaquant contre la Tchéquie. Alors là, Lippi devient carrément polémique, limite agressif :  » Je n’explique rien. La composition de l’équipe de demain, je ne vous la communiquerai pas, même si pour cette raison, je serai critiqué et que je serai taxé d’antipathique On peut changer de temps à autre. S’adapter à un adversaire qui évoluait avec un seul attaquant et dont la force réside dans son entrejeu très agressif. Ce qui importe, c’est mon désir de toujours présenter trois joueurs en phase offensive même s’il ne s’agit pas de véritables attaquants. De toute façon, la veille de la rencontre KarelBruckner n’est resté que cinq minutes à la conférence de presse et après 15 minutes a interdit l’entraînement à la presse. Moi, je suis resté une heure et l’entraînement je l’ai laissé voir à tout le monde. Ce qui m’intéresse c’est d’être sérieux et d’être traité comme une personne sérieuse « .

Avant de clôturer la séance, Lippi a lancé aux journalistes :  » Vous m’attaquez pour cela, c’est une honte. Si vous faites les cons, eh bien maintenant je fais le con moi aussi De toute façon, c’est une affaire de brève durée « . Pour la première fois, il admettait qu’il avait l’intention de stopper une fois le Mondial fini.

Terriblement susceptible

Salvatore Lo Presti, qui a suivi la Juventus pendant des années pour la Gazzetta dello Sport, connaît Lippi depuis qu’il est joueur et n’y va pas par quatre chemins :  » Lippi a toujours été susceptible. Il a une idée de sa personne et il n’aime pas qu’on le contredise. Maintenant, il y a la pression due au Mondial et aussi au fait que l’on voulait le chasser de son poste à 20 jours du Mondial. Cela signifiait que l’on voulait mettre à la poubelle tout le travail qu’il a effectué pendant deux ans « .

Depuis qu’il a été nommé 29e commissario tecnico, Lippi a fait l’unanimité. Il a testé de nombreux joueurs et n’a pas hésité à puiser dans le noyau des équipes dites non traditionnelles. Ainsi contre l’Ukraine, les quatre joueurs de Palerme ( FabioGrosso, AndreaBarzagli, CristianZaccardo et SimoneBarone) ont terminé la rencontre. Et sa liste des 23 n’a pas été remise en question. Un seul joueur a fait l’unanimité contre lui : VincenzoIaquinta.

Entre-temps, l’homme a été éclaboussé par le scandale. Il a beau prétendre qu’il n’a rien à voir avec tout cela, les gens ne le croient pas. Il semble impossible qu’il ne soit au courant de rien alors qu’il a passé sept ans à la Juventus pendant que celle-ci faisait tout son micmac.

Au niveau de l’équipe nationale, le problème de Lippi est que son fils Davide a travaillé pour la GEA, la société de management étroitement mêlée au scandale. Depuis, on a vérifié si Lippi ne sélectionnait pas de préférence les joueurs ayant un contrat avec cette agence. Crainte d’autant plus fondée que tout le monde savait que Davide, n’hésitait pas, pour inciter les joueurs à rejoindre son écurie, à leur promettre une convocation en équipe nationale. A ce niveau, Lippi n’a pas vraiment été inquiété mais il faut préciser que depuis un an, soit depuis que toute l’affaire a commencé à sentir le roussi, les joueurs ont préféré quitter la GEA. Mais la rumeur est plus forte que tout et de nombreuses personnes s’interrogeaient sur l’entêtement du sélectionneur à propos de ChristianVieri, qu’il voulait amener à tout prix en Allemagne alors que l’attaquant n’avait plus rien fait de bon depuis deux ans. La blessure de l’ex-joueur de Monaco a finalement été une aubaine pour Lippi, qui ne peut être accusé d’avoir retenu un ex-représentant de la GEA.

Marcello Lippi n’a pas été mis sous écoute mais il est parfois apparu dans les discussions téléphoniques. Selon les magistrats, LucianoMoggi aurait obtenu du sélectionneur l’une ou l’autre faveur comme de ne pas aligner FabioCannavaro et AlessandroDelPiero lors de rencontres parfois qualificatives, comme celle contre le Bélarus le 12 octobre 2004. Au manager qui ne comprenait pas pourquoi son client n’avait pas été sélectionné, Moggi a répondu :  » Cannavaro ne joue plus à l’Inter mais à la Juve et doit faire ce que je dis « . Et quand il épargna Del Piero au profit de la Juve, Lippi aurait dit :  » Il vaut mieux que je ne l’appelle pas car s’il marque deux buts, il va faire une vie impossible à FabioCapello pour jouer plus « .

Confrontation avec les joueurs

Contre l’Ukraine, Lippi a dévoilé son équipe aux joueurs quelques heures avant le coup d’envoi. Mais, cette fois, contrairement à ce qui c’était passé contre l’Australie, les joueurs eux-mêmes n’ont pas été surpris. En arrivant au stade le lundi 26, FrancescoTotti était convaincu de jouer et Del Piero pensait qu’il resterait sur le banc. Autant dire que les joueurs n’étaient plus sûrs de rien et que même les indications que fournissent les entraînements à huis clos ne leur servent à rien.

Deux jours avant les quarts de finale, Lippi a appelé tous les joueurs et leur a demandé, au cas où ils auraient quelque chose à lui suggérer, de le faire. Le sélectionneur avait été heurté par les déclarations de GianlucaZambrotta, SimonePerrotta et Cannavaro, les trois joueurs ne se montrant pas très satisfaits du dispositif choisi par le coach. Cela faisait d’autant plus mal à Lippi que ces suggestions ne venaient pas de joueurs mécontents de rester sur le banc. De ce côté-là, le sélectionneur n’a pas de crainte à avoir vu qu’après le match contre AndriyShevchenko et ses potes, il n’y a que deux joueurs qui ne sont pas montés au jeu, les gardiens réservistes. Et un garçon comme Del Piero est un modèle de professionnalisme et ne fait pas de remous. Il a même été le premier à sauter sur Totti quand ce dernier a transformé le penalty victorieux contre l’Australie.

Enfin, dans le quartier général de Homburg, il n’y eut pas de dialogue mais un monologue de deux minutes. MarcoMaterazzi :  » L’entraîneur nous a demandé s’il y avait des problèmes. Nous lui avons répondu que non et ça s’est fini comme ça, en tablant sur la confiance mutuelle. C’est comme quand il se passe quelque chose avec ton épouse et qu’elle te demande s’il t’arrive quelque chose. Tu lui dis non et elle te fait confiance. Sinon, qu’est-ce qu’il faudrait faire ? Divorcer pour un rien ? ».

Les bases de la 23e rencontre sans défaite étaient en place : 3-0 contre l’Ukraine.

Défense, contre et exploitation des phases arrêtées

Si l’on s’en tient aux statistiques avant la phase finale, l’Italie est arrivée en Allemagne comme l’une des équipes les plus offensives du tournoi. Le premier match contre le Ghana confortait cette donnée. Mais depuis, la formation transalpine s’est adaptée aux contingences et les quelques adaptations du coach lui ont rendu une forme plus conforme à l’histoire footballistique. Elle ne construit plus le jeu, attend et tente de frapper en contre. Après les quarts de finale, les Azzurri n’avaient effectué que 1.476 passes contre 2.038 au Brésil, 98 centres contre 148 pour l’Allemagne mais ils étaient les premiers avec les Allemands dans le nombre de contres (29). L’Italie a du mal à se débarrasser de sa mauvaise image de marque alors qu’elle est l’équipe qui a commis le moins de fautes (70) et celle qui en a subi le plus (109).

Alors que, pendant deux ans, il avait fourni un travail intelligent, Lippi a failli quitter le Mondial de la plus stupide des manières contre l’Australie. Le sélectionneur a commis toute une panoplie d’erreurs à commencer par la non titularisation de Totti. S’il avait bien fait de faire sortir le Romain après l’exclusion de Daniele De Rossi contre les Etats-Unis, Lippi n’était pas en position de s’en passer contre l’Australie parce qu’il l’avait  » trouvé fatigué « .

Qu’il nous explique pourquoi il a commencé le match avec deux avants centraux et un attaquant d’appui ( LucaToni, AlbertoGilardino et Del Piero) pour finir avec un avant libre (Totti) et un ailier (Iaquinta) ? Qu’il explique aussi pourquoi il a débuté la rencontre sans le seul joueur capable, même à l’arrêt, de distiller de bons services. Totti est monté au jeu à un quart d’heure de la fin alors que l’Italie était réduite à dix depuis une demi-heure et a délivré plus de bonnes passes que la plupart des joueurs en 90 minutes et Del Piero en 75.

Ce jour-là, Lippi s’est planté dans ses changements alors que, jusque-là, il s’était montré maître dans l’art de remplacer un joueur par un autre. A la mi-temps, il a sorti Gilardino, le seul à avoir donné des frayeurs aux Socceroos, Puis, quand Materazzi a été exclu, il a fait monter Barzagli, à la place de Toni alors que n’importe qui aurait enlevé l’inutile et confus Del Piero. Du coup, l’équipe s’est regroupée autour de GigiBuffon et n’a plus fait le jeu. Plus personne ne se démarquait.

Face à l’Ukraine, la Squadra n’a pas répété les mêmes erreurs et n’a surtout pas sous-estimé son adversaire. Même si l’Ukraine était considérée comme le plus faible des huit derniers qualifiés, l’Italie a, comme d’habitude, bien joué derrière. Cannavaro a une nouvelle fois été impeccable (sept fautes seulement depuis le début, huit subies et 18 tacles tous nickels !) Auteur du premier but, Zambrotta a confirmé ses progrès et Buffon ne s’est pas laissé hypnotiser par les tirs des Ukrainiens.

L’Italie grise, monotone mais très solide (elle n’a encaissé qu’un seul but en cinq rencontres et encore il s’agissait d’un auto-goal pour le moins surprenant de Zaccardo), avait obtenu le droit d’affronter l’Allemagne en demi-finales. Elle n’a pas rafraîchi l’image du Calcio mais les joueurs ne s’en plaignent pas.

 » Ce n’est peut-être pas le jeu qui plaît aux journalistes surtout étrangers comme les Espagnols mais nous sommes contents comme ça « , a ironisé Barzagli. Comme quoi, l’éternel débat sur la beauté du jeu ne rime à rien : seul le résultat compte.

NICOLAS RIBAUDO

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