Passés à l’orange

Ils jouent en Hollande et évoquent le football d’outre-Moerdijk avant le derby des Plats pays.

Pour trois des internationaux belges évoluant actuellement aux Pays-Bas, le derby des Plats Pays aura une saveur un peu spéciale, même si Bob Peeters ne sera pas de la partie.

Quels souvenirs conservez-vous de ces derbies ?

Thomas Buffel (Feyenoord) : J’ai disputé quelques derbies en équipes d’âge et même à ce niveau, c’était… vivant.

Bob Peeters (Vitesse) : J’étais sur le banc, sous Leekens, au Mondial 1998, au terme de ma première saison aux Pays-Bas.

Tom Soetaers (transféré de Roda à l’Ajax) : j’ai fait deux nuls en jeunes. Il est donc temps de gagner une fois !

Pourquoi l’adaptation de Sonck à l’Ajax est-elle plus pénible que prévu ?

Peeters : Amsterdam, c’est le bluff à l’état pur. On dit que Wesley est un vrai Néerlandais. Loin s’en faut. Les Amstellodamois sont spéciaux. Un exemple, peut-être extrême : Jan van Halst nous a rejoints, l’an dernier. Quand on lui disait quelque chose, il répondait : Ferme-là ! J’en passe, et des meilleures. Vous n’imaginez pas ce que j’ai déjà entendu ici, en six ans. De Kerkrade à Arnhem, j’ai déjà pu voir la différence et ce n’est rien comparé à Amsterdam.

Buffel : La concurrence est pire. C’est la facette la plus difficile à gérer. Il doit jouer comme à Genk. C’est pour ça que l’Ajax l’a transféré. Evidemment, quand on débarque dans un club, on veut faire mieux, au lieu de rester soi-même. L’Ajax construit son jeu depuis l’arrière alors qu’à Genk, Wesley allait chercher le ballon dans l’entrejeu. Ici, il doit rester en pointe. Si vous ne restez pas là, on vous passe.

Sonck n’a pas l’air libéré.

Sonck a perdu quelques kilos. S’entraîne-t-on plus durement ?

Soetaers : Différemment. On insiste sur la possession du ballon, un jeu de position offensif, les passes, les tirs. On répète tout ça à satiété. On court plus en Belgique.

Peeters : Koeman pourrait varier davantage ses séances mais il dit que pour progresser, il faut répéter chaque mouvement. Ça marche. Vergoossen est peut-être plus dur mais Sonck pouvait sans doute lever le pied, parfois, alors qu’à l’Ajax, il doit travailler comme les autres. Peut-être veut-il en faire trop, aussi, sans oublier le facteur stress. Un joueur n’est pas un robot. Pourquoi croyez-vous que Maradona s’est drogué ?

Buffel : La vitesse d’exécution est plus élevée. Il faut être constamment en mouvement pour se démarquer et on dépense beaucoup d’énergie.

Il a peu de ballons. Est-ce le principal changement ?

Peeters : On remarque à son jeu qu’il a peur de commettre des erreurs. C’est logique. Il y a une grande différence entre Genk et l’Ajax, notamment en termes de rayonnement. L’Ajax est un club de format mondial. Allez en Afrique : vous n’y verrez pas de maillots de Genk, sauf peut-être sur le frère de Seyfo. J’ai travaillé avec Koeman à Vitesse, dans un système à peu près identique, avec deux ailiers. C’est difficile. Wesley est trop statique. On a plus de liberté de mouvement avec un avant en décrochage. De frustration, on veut envoyer le ballon dans les filets mais encore faut-il l’avoir ! Sonck doit prendre le ballon, pouvoir faire des fautes. Il n’a pas l’air libéré. C’est normal : meilleur buteur, Soulier d’Or, Footballeur Pro de l’année, c’est lourd à porter.

Soetaers : En championnat, hormis contre deux ou trois équipes, l’Ajax sera toujours en possession du ballon. Si Sonck joue régulièrement, il marquera. Aux Pays-Bas, on reçoit peu de ballons mais ils sont précis. Il en aura plus à l’Ajax qu’à Roda, par exemple. A Genk, tout tournait autour de lui. Il était le meilleur et jouait systématiquement. Maintenant, il doit se faire une place. Son équipe a 23 ou 24 bons joueurs et sur le terrain, tout le monde est important.

Buffel : Il réussira, s’il se fait à l’idée d’avoir moins de balles. Dans les matches contre l’Ajax, voire contre le PSV, je devais vraiment me placer au service de l’équipe. C’est difficile à gérer quand on est habitué à prester soi-même. Contre l’Ajax, je devais profiter de ma vitesse pour stopper Trabelsi. Je ne montrais rien mais je neutralisais ce compartiment.

Les Néerlandais apprécient la convivialité et la gastronomie belges. Qu’est-ce qu’un Belge apprécie aux Pays-Bas ?

Buffel : Oh… Rotterdam n’est pas très loin de Bruges. Ici, on peut découvrir des tas de cuisines différentes : du Surinam, de Chine, d’Indonésie…

Peeters : Le football est chouette. Pour le reste, la Belgique est mieux. Je suis très chauvin. Je ne voudrais pas habiter aux Pays-Bas. Les gens sont bien mais je préfère les Belges. Ils sont beaucoup plus simples et ne font pas de blabla. Je veux profiter de la vie, ce qu’on fait mieux en Belgique, d’après moi.

Un salaire mensuel cinq fois supérieur à celui obtenu à Anderlecht.

Les Pays-Bas paient-ils nettement mieux ?

Soetaers : Certainement mieux que la Belgique. L’Ajax n’est pas mal du tout. J’ai signé un formidable contrat de quatre saisons mais je n’avais pas à me plaindre des conditions de Roda. Mon salaire mensuel de base était quatre à cinq fois supérieur à celui que j’obtenais à Anderlecht. Il y a une grande différence entre l’Ajax et le Sporting (il rit). C’est incomparable. Quand on émarge à l’élite des Pays-Bas, on jongle avec des sommes dignes du bon vieux temps en Espagne et en Italie.

Peeters : J’avais un bon contrat à Roda. Au bout d’un an et demi, il est devenu un très bon contrat. A Vitesse, disons qu’il est phénoménal.

Buffel : Comme jeune à Feyenoord, ce n’était pas terrible. Il dépendait de mon développement. L’année suivante, j’ai été le meilleur du championnat et j’ai obtenu un contrat A, tout en intégrant le premier noyau. Depuis, mon contrat a déjà été revu deux fois à la hausse. La dernière version est belle. Elle m’offre une certaine certitude et le sentiment que le club est content de moi, ce qui est réciproque. Ça doit être comparable à ce qu’on peut gagner à Anderlecht ou à Bruges. Là aussi, il y a des joueurs qui gagnent beaucoup et d’autres qui ne touchent que la moitié. L’argent compte mais pour l’instant, je pense davantage à progresser.

Quand on apprend que Geert De Vlieger doit vendre des abonnements par téléphone, à Willem II, on se dit que le football batave n’est plus ce qu’il était.

Soetaers : Le pays est en crise mais celle-ci passera, d’ici deux ou trois ans. Pour l’instant, les gens sont moins enclins à investir dans un club mais ce qui était possible avant doit le redevenir.

Peeters : Il est normal qu’on revoie un peu ces sommes. Ceux qui sont toujours sous contrat échappent au phénomène. La masse salariale était trop importante mais un joueur n’en a rien à faire. Qui va refuser un contrat de six ans qui assure son avenir ? Il faudrait être fou. Ceci dit, quand ça va moins bien, les supporters décrochent. Vitesse est passé de 23.000 abonnés à 15 ou 16.000, en une saison.

Buffel : Beaucoup de clubs viennent de rénover leur stade ou d’en construire un autre. Si, en plus, ils font des folies en matière de transferts, ils se mettent la corde au cou. C’est quand même étrange car le football vit, ici. Chaque match se joue presque à guichets fermés, même quand il oppose deux petites équipes.

Le jeu néerlandais est plus dur et plus tactique.

Joue-t-on vraiment de manière plus ouverte aux Pays-Bas ?

Peeters : Foutaises ! On dit toujours qu’il y a plus d’occasions de buts aux Pays-Bas mais les quelques matches belges que j’ai vu récemment étaient plus ouverts qu’aux Pays-Bas. On a quand même marqué beaucoup de buts la saison passée ? Ici, il y a eu beaucoup de 1-0. Le jeu se fait plus réaliste, plus défensif. A mon arrivée à Roda, j’ai découvert un autre style car à l’époque, la Belgique alignait encore un libero. Depuis, la défense en ligne des Pays-bas s’est répandue dans toute l’Europe. Le jeu néerlandais est plus dur et plus tactique. En Belgique, il était presque impossible d’être hors-jeu. Ici, au début, j’étais hors-jeu six ou sept fois en une demi-heure. On travaille beaucoup les trajectoires, les échappées, la façon de se démarquer alors qu’en Belgique, on s’occupe surtout de soi-même. Quand on s’habitue à ce changement, on progresse.

Soetaers : Je ne les trouve pas plus durs mais on joue davantage au football. Ça ne facilite pas nécessairement la vie des attaquants mais c’est plus amusant, plus offensif. L’Ajax, en tout cas, veut attaquer sans arrêt et est en possession du ballon pendant 80 % d’un match. C’est intéressant pour les joueurs à vocation offensive. La plupart des équipes jouent pour gagner, qu’elles affrontent le PSV ou le FC Zwolle. En Belgique, en déplacement, on a toujours tendance à jouer le point. Ici, les gens aiment les joueurs qui réalisent des actions et passent un homme sans réfléchir. Il faut oser. Ici, l’audace est le maître-mot.

En Intertoto, Heerenveen a battu deux fois le Lierse, de manière très convaincante. Est-ce significatif de la différence de niveau entre les deux pays ?

Soetaers : Je ne pense pas que la différence soit si grande entre les clubs du subtop des deux pays. Seul l’élite néerlandaise est d’un niveau supérieur à la Belgique : son potentiel est nettement plus important, parce qu’elle a des moyens supérieurs. En dessous, la différence réside dans le nombre des équipes. Il y a huit ou neuf bons clubs du haut du tableau ici alors que la Belgique n’a que trois ou quatre équipes constantes à ce niveau.

Peeters : Le Lierse a été laminé. Mon oncle est un fervent supporter du Lierse mais il m’a dit : si Heerenveen jouait en Belgique, il serait dans le top trois.

Buffel : Il est difficile de porter un jugement sur base de deux matches, surtout que je n’ai jamais évolué à un haut niveau en Belgique, mais c’est quand même significatif, surtout parce que ce sont deux membres du subtop.

Raconte-t-on toujours des blagues sur les Belges ?

Buffel : Ce sont souvent les mêmes. Ils ne doivent pas en avoir beaucoup. Voilà la dernière : un Belge fait la file, car le trafic est réduit de trois bandes à une, suite à un contrôle policier. Nous recherchons un tueur en série, explique l’agent au conducteur. Le soir, le Belge revient du travail et tombe dans une file similaire, de l’autre côté. La police explique qu’elle cherche toujours un tueur en série. Le Belge de répondre : Je veux bien jouer le rôle, si vous voulez ! »

Soetaers : Que devez-vous faire quand un Néerlandais rampe vers vous en hurlant, des larmes dans les yeux ? Tirer encore une fois ! (Il rit). Quand ils racontent des blagues sur les Belges, je riposte.

Raoul De Groote

 » On ne peut comparer Anderlecht à l’Ajax « (Tom Soetaers)

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