PASSAGER DE LA PLUIE

Pierre Bilic

Si le temps a changé dans le ciel du Lisp en fin de saison passée, ce fut en grande partie grâce à l’ancien attaquant de l’Etoile Rouge.

D ragan Mrdja (22 ans) ne se tourne pas de film dans la tête. Il aime l’herbe humide et se sent bien quand la balle fuse mais il se sent bien dans toutes les conditions. Même quand son club qu’il avait rejoint il y a tout juste un an avait traversé une longue période de sécheresse. A un moment, plus personne n’aurait misé un grain de riz chinois sur les chances du Lierse de rester en D1. Dragan s’est demandé sur quel plateau il était tombé et ne reviendra pas sur le tournage de Paul Put et certains acteurs de série B. Cet énorme drame fut peut-être une des chances de sa carrière. La venue de René Trost précéda le choix entre le bon grain et l’ivraie. Des jeunes ont saisi leur chance à deux mains.

Alors que Put ignorait totalement les potentialités de Mrdja, le nouveau coach hollandais, au contraire, exploita ses qualités et le buteur serbe trouva son rythme de croisière, au point d’être décisif durant le tour final de D2 :  » Je ne m’attendais pas à vivre tant de moments difficiles en Belgique. Je n’avais pas quitté l’Etoile Rouge Belgrade pour me retrouver dans une telle situation. Mais ces épreuves m’ont fortifié. J’ai toujours été ambitieux mais il faut un peu de chance pour développer ses plans. Je suis heureux d’avoir aidé le Lierse à résoudre ses problèmes mais c’est une £uvre collective. Quand Trost est arrivé, ce club n’était plus qu’un oiseau pour le chat. Dès le premier entraînement, j’ai compris que cet homme connaissait son métier, faisait confiance à ceux qui mouillaient leur maillot. J’avais enfin un patron sportif prêt à exploiter mes qualités. C’est tout le club qui est revenu à la vie. Sans René Trost et une direction à la hauteur, nous n’y serions pas parvenus. En décembre, le Lierse avait toujours la lanterne rouge et seulement 9 points alors que le 16e, La Louvière, en comptait deux fois plus. Tout s’est joué lors de la dernière journée. Le Lierse devait battre Roulers et Beveren ne pouvait pas s’imposer face à Mouscron. J’ai réussi l’unique but de notre dernier match mais Beveren émergea à la 87e minute contre les Hurlus. Ce fut une terrible déception « .

 » Il ne nous restait plus qu’à disputer le tour final de D2. Le début de cette compétition fut différé et Trost nous accorda alors quelques jours de congé. Je suis rentré en Serbie et cela me fit un bien fou. Je me suis vidé la tête de tous les soucis, craintes et frustrations qui furent les nôtres. Quand je suis revenu, c’était pour rester en D1 et rien d’autre. J’ai pris part à cinq des six matches de cette course d’obstacles. J’ai fait l’impasse sur un de ces rendez-vous en raison de mon mariage. Cet événement était prévu de longue date et je ne pouvais pas l’annuler. Trost a compris. En cinq matches, j’ai marqué cinq buts et cela m’a fait plaisir de rendre quelque chose à ce club. Cette saison, je suis persuadé qu’on vivra une saison tranquille « .

15 buts cette saison

Complètement requinqué par un tour final de D2 remporté par son club, Mrdja a acquis un nouveau statut au Lierse et en D1. Tout le monde se méfie de cet attaquant solide sur patte et doté d’une belle pointe de vitesse. Adjoint de Trost, Eric Van Meir a mesuré l’étendue des progrès de ce jeune attaquant qui vient d’être convoqué en équipe nationale Espoirs de Serbie et suscite l’intérêt de clubs étrangers.

 » Dragan dispose indiscutablement d’un potentiel intéressant « , commente Van Meir.  » C’est un joueur positif et très motivé. Il sait où il va et devrait vivre une magnifique carrière. La saison passée, il a tenu le coup alors que le Lierse était dans la tourmente et que son temps de jeu était limité. Dragan a su rebondir avec Trost. A son âge, il est perfectible. C’est un joueur généreux qui se dépense beaucoup et devra mieux choisir ses moments et ne plus foncer sans cesse. Il s’exprime en pointe ou sur le flanc droit où sa vitesse est intéressante. Quand Dragan peut s’enfoncer à fond la caisse vers le gardien adverse, c’est intéressant. Il a toutes les qualités d’un joueur de rupture mais doit aussi apprendre à garder la balle en jouant dos au but adverse. Dans cet exercice, il lui arrive trop souvent de perdre la balle et le Lierse s’expose alors des contres dangereux. Son jeu de tête peut être bonifié aussi. La venue de Bob Peeters est intéressante pour lui car ce joueur qui a un long parcours lui apportera sa ruse, son vécu, son intelligence, son placement. Dragan dispose enfin d’une frappe intéressante et instantanée. La saison passée, il a marqué deux fois en championnat. Je lui ai lancé un défi : atteindre le chiffre 15 cette saison afin de confirmer son talent « .

Installé dans la région avec sa femme Ivana, Dragan a trouvé ses marques mais se fondre dans un nouveau pays n’est pas toujours facile. Son compatriote, le défenseur Mario Andic, qui était présent à ses côtes lors de l’entretien, a beaucoup souffert du mal du pays, de l’éloignement des siens, et de l’ennui entre deux entraînements durant ses premiers mois passées en Belgique. Ivan débarqua avec sa fiancée qui est désormais son épouse et cette présence lui a facilité la vie.

Déjà un parcours chahuté

En Serbie, il provient d’un village, Vlajkovac, situé à 80 km de Belgrade, près de la frontière roumaine. Après un passage dans deux petits clubs (Jedinstvo Vlajkovac et Radnicki Vrsac), il est remarqué par l’Etoile Rouge Belgrade où il débarque à l’âge de 13 ans. Suivi attentivement par le recruteur qu’est devenu Neba Malbasa, Mrdja y parcourt tous les équipes d’âge avant que Zoran Filipovic (un ancien joueur du Club Bruges, 1980-81) le lance dans le grand bain de la D1. Il effectue des remplacements, monte de temps en temps au jeu, apprend son métier, se définit alors que la concurrence est sévère. Le successeur de Filipovic, Slavo Muslin (ex-Lokeren) a d’autres priorités mais l’Etoile Rouge croit en lui et le prête à un club de D2, Jedinstvo Ub.

Ljubko Petrovic le relance. Il joue en Coupe d’Europe avant de se blesser au dos. C’est la traversée du désert avec un autre coach, Ratko Dostanic, qui l’utilise occasionnellement.

 » Moi, je voulais jouer et j’ai décidé de partir « , dit-il.  » A 21 ans, je ne voulais pas moisir sur le banc. Je quittais l’Etoile Rouge par la petite porte alors que les grands clubs étrangers viennent y faire leurs courses, c’est vrai, mais cela ne me dérangeait pas du tout. J’étais décidé à prouver à mon ancien club qu’il avait tort et j’y parviendrai. J’ai eu un contact en Corée du Sud mais l’Etoile Rouge refusa de me laisser filer en Asie. Finalement, un agent de joueurs installé en Belgique, Dejan Veljkovic, a réalisé mon transfert au Lierse. Je repartais de zéro en plongeant dans l’inconnu. Chez nous, le jeu est plus posé, plus technique. En Belgique, l’aspect tactique est très important. On ne néglige rien, tout va vite, ce qui m’arrange bien. Un attaquant encaisse beaucoup de coups et il faut se faire respecter. Puis, il y a ce temps humide : j’adore jouer quand il pleut…  »

PIERRE BILIC

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